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© Unsplash

La thérapie entre amies, pour réparer les amitiés abîmées

Justine Rossius

On s’est demandés s’il était possible de suivre une thérapie avec une ami·e, à la manière d’une thérapie de couple. Une façon a priori saine de sauver une amitié et de décrypter les dynamiques parfois compliquées qui s’y jouent.

Je suis une trentenaire, en couple, avec un job à temps plein et des travaux de rénovation à gérer. Mes amies vivent des situations similaires, jonglant également avec des responsabilités parentales, certaines ayant même un ou plusieurs enfants. Autrefois, nos moments ensemble étaient spontanés: on se retrouvait dans la cour de récréation, le samedi à la salle de danse, en auditoire ou lors des fêtes du week-end. Cependant, avec la disparition de ces contextes informels et l’accumulation de nos responsabilités respectives, continuer à se voir fréquemment est un vrai défi.

C’est un fait: plus on grandit, plus nos relations évoluent et les dynamiques qui s’y jouent se modifient. Il arrive qu’on se rende compte que l’on prend toujours l’initiative, ou qu’un·e ami·e annule systématiquement nos rendez-vous à la dernière fois. L’amour est un verbe d’action, mais l’amitié semble l’être aussi.

Comment s’assurer d’entretenir une relation saine avec ses ami·e·s ? S’il est logique de travailler sur la relation avec son partenaire, pourquoi ne pas le faire avec les copain·ine·s ?Peut-on consulter un·e psychologue avec ses meilleur·e·s potes aussi? Je me suis penchée sur le sujet avec Sarah Hertens, thérapeute spécialisée en relations humaines.

Quelle est l’importance du thème de l’amitié dans votre pratique? Est-il souvent abordé dans vos séances?

« Certainement. Le thème de l’amitié prend de plus en plus d’importance, en particulier en raison du nombre croissant de célibataires pour qui l’amitié revêt une grande importance. Ceci est également vrai pour ceux qui traversent des difficultés dans leurs relations familiales; il n’est pas surprenant qu’ils désignent souvent leurs amis comme leur famille choisie. Quoi qu’il en soit, la question de l’amitié est fréquemment abordée lors des séances de thérapie, qu’elles soient individuelles ou de couple. Cela se manifeste notamment lorsque votre partenaire et vos amis ne s’entendent pas, ou lorsque vous préférez partager tout avec vos amies alors que votre partenaire attache plus d’importance à son intimité. »

Quels sont les sujets qui reviennent le plus souvent à ce propos?

« La jalousie est un sentiment qui revient fréquemment. Par exemple, j’ai un client dont le meilleur ami semble connaître un succès et avoir plus d’opportunités, ce qui engendre chez mon client un sentiment d’infériorité. Il se retrouve alors dans une situation de compétition, même si son ami ne perçoit peut-être pas la situation de cette manière.

J’ai également accompagné une femme confrontée à une situation très délicate. Elle a amené son amie en thérapie. Elle venait de vivre une rupture difficile, et sa meilleure amie avait par la suite eu une brève liaison avec son ex-partenaire. Cette situation avait sérieusement ébranlé leur amitié, la première amie se sentant profondément trahie. Malgré cela, elle aspirait à maintenir leur amitié, considérant que celle-ci avait perduré plus longtemps que sa relation passée avec son ex. Initialement, la deuxième amie n’avait pas osé expliquer pourquoi elle avait eu cette liaison avec l’ex de son amie, par crainte de lui infliger encore plus de douleur. Le fait d’avoir pu exprimer tous ces sentiments en présence d’un médiateur a eu un impact significatif sur elles. À travers trois séances, elles ont réussi à mettre toutes les cartes sur table, et cela s’est conclu de manière positive.

Un thème récurrent concerne la dilution ou le changement d’intensité des amitiés. Pendant les années d’études, on partage les moments de joie et de tristesse, on est ensemble dans les hauts et les bas de la vie, mais avec le temps, lorsque l’on déménage dans une autre ville, que l’on établit une relation stable, qu’on a une maison et un enfant, les priorités évoluent et certaines amitiés perdent en intensité. Les personnes sans relations peuvent alors se sentir rejetées et abandonnées par leurs amis, même si elles comprennent que la vie de ces derniers évolue.

Cependant, je conseillerais également à ceux qui ont un partenaire, même après la trentaine, de continuer à s’investir dans leurs amitiés. Les amis représentent un filet de sécurité crucial, que ce soit en cas de rupture amoureuse ou simplement dans les moments difficiles de la vie. Les amis peuvent apporter une énergie positive, être une source d’écoute même pour des préoccupations amoureuses, et avec eux, on peut rechercher cette belle énergie féminine ou masculine. Vos amis peuvent vous offrir beaucoup, et votre partenaire ne peut ni ne devrait satisfaire tous vos besoins. »

Quelle est la grande différence entre une relation amicale et une relation amoureuse ?

« La grande différence est l’exclusivité. Avec un partenaire, on s’attend plus souvent à ce que vous soyez exclusif, mais la plupart des gens ont plusieurs amis: un ami avec qui on sort, un autre avec qui on va faire du shopping, un autre qui nous écoute… Les amitiés sont plus conditionnelles – vous avez des amis qui vont et viennent –alors qu’avec un partenaire, vous construisez votre vie. En fait, nous avons aussi tendance à être moins stricts avec nos amis. ‘Il est comme ça!’ disons-nous lorsqu’un copain est toujours en retard. On essaye de modeler davantage notre partenaire (rires). Mais il y a aussi beaucoup de similitudes: les amis sont des personnes avec lesquelles vous pouvez – normalement – être vous-même et qui vous acceptent tel que vous êtes. »

L’amour s’entretient peut-être plus que l’amitié?

« En fait, je remarque souvent le contraire. Lorsque des amis viennent dîner, les gens font l’effort d’être beaux et de faire le ménage. Parfois, nous investissons davantage dans nos relations sociales que dans notre partenaire. Avec ce dernier, nous sommes plus enclins à nous glisser en pyjama, avec un plaid sur le canapé. Mais bien sûr, votre partenaire veut aussi voir la personne agréable et séduisante que vos amis ont l’occasion de voir. »

Que faire si les choses se passent mal avec un·e ami·e depuis un petit temps, que vous ne voulez cependant pas le·la perdre?

« Il faut se demander quelle en est la raison. Est-ce lié à la distance physique? Ou est-ce que quelque chose a été dit qui n’a pas été compris? Je conseillerais d’en parler, de rester ouvert, et ne pas trop interpréter la situation, car vous avez peut-être mal compris. Tendez la main, mais osez aussi vous regarder dans le miroir et demandez-vous si vous n’êtes pas en train de perpétuer quelque chose qui ne donne de l’énergie à personne.

Pendant la pandémie, beaucoup de gens se sont demandé quels amis leur manquaient vraiment. Pour certains, le verre du vendredi soir a fini par ressembler à une corvée, alors que l’amitié ne devrait pas être perçue comme une obligation. Dans mon cabinet, certains patients se sont demandés s’ils avaient vraiment besoin/envie de ces activités. Certains se sont rendus compte qu’ils étaient devenus trop différents et que ce n’était pas la peine, tandis que d’autres ont continué les sorties avec un groupe plus restreint.

D’ailleurs, les vraies amitiés ne sont pas une question de quantité, mais de qualité. Il peut suffire de se voir 4 fois par an si, entre-temps, on s’envoie les mises à jour importantes ou on s’appelle de temps en temps. Par exemple, ma meilleure amie vit dans une autre ville, mais de temps en temps, on va au restaurant ou on se planifie une journée au spa. Loin des yeux, loin du cœur, dis-je parfois. Et lorsque la journée s’achève, nous planifions déjà notre prochain moment à deux. »

Recommandez-vous de discuter des sujets sensibles? Et à quoi faut-il faire attention si l’on entame une telle conversation?

« Absolument. Dans ce type de conversation, les mêmes principes s’appliquent que dans les relations amoureuses. Une communication axée sur la connexion implique de partir du message “je”, d’éviter de blâmer l’autre personne, et de se montrer vulnérable en exprimant ce que ressent la situation tout en exposant clairement ses attentes et besoins. Par exemple, si vous ressentez de la jalousie, vous pourriez expliquer que le succès de votre ami suscite en vous des émotions, tout en exprimant également votre volonté de trouver des solutions à cette situation. »

Que conseillez-vous de faire si vous vous rendez compte qu’un·e ami·e prend peu souvent d’initiative pour vous voir?

« Il me semble important d’exprimer cela clairement : ‘J’ai l’impression que tu ne prends pas beaucoup d’initiatives pour me voir, et je me demande pourquoi.’ Parfois, cela peut être le signe indirect qu’il n’y a plus d’envie d’entretenir l’amitié, mais cela peut aussi être lié à la dynamique habituelle où l’un organise toujours les choses. Une solution pourrait consister à convenir que chacun doit prendre l’initiative à tour de rôle. »

Et si vous sentez que vous donnez plus que l’autre? Qu’il y a un déséquilibre? Que faire?

« Une fois de plus, il est essentiel de spécifier clairement vos attentes. Vous pourriez dire, par exemple: ‘Quand on se voit, j’ai l’impression que la conversation tourne souvent autour de toi.’ Il est important que cette observation ne soit pas perçue comme une critique, mais plutôt comme un partage de vos ressentis. En exposant vos attentes, vous permettez à l’autre personne de comprendre ce que vous recherchez et comment rétablir un équilibre. Il est fréquent de renforcer involontairement le comportement de l’autre, par exemple en posant continuellement des questions dans l’espoir d’une réponse plus approfondie. Mettre en lumière une dynamique particulière permet de créer un défi commun: ensemble, il vous suffit de trouver une solution. »

Et si un·e ami·e décide de couper les ponts, mais que vous ne savez pas pourquoi ?

« C’est une expérience très douloureuse. La rupture d’une bonne amitié crée souvent un vide pour lequel il est difficile de faire son deuil. On peut se questionner sur les raisons de cette rupture, mais il n’est pas certain que l’on obtienne des réponses. Parfois, cela peut même être traumatisant. Cependant, il est naturel de se poser des questions, car dans tout rejet, qu’il s’agisse d’une relation, d’une candidature, ou du rejet d’une amitié, les réponses à cette interrogation peuvent être révélatrices. »

Quand est-il utile de faire la démarche de consulter un thérapeute ?

« Vous devez vous demander quelle est l’importance de cette amitié pour vous, car il n’est finalement pas anormal que certains amis aillent et viennent. C’est tout à fait permis. Consulter un thérapeute semble approprié lorsqu’il s’agit d’une amitié précieuse que l’on ne veut pas perdre, mais que l’on n’arrive plus à comprendre. Dans ce cas, il peut être utile d’avoir une personne extérieure neutre qui offre un point de vue différent et comprend la dynamique en jeu. La thérapie peut également être utile si vous n’êtes pas très douée pour mettre les choses sur la table, car un thérapeute vous donne des outils pour sortir certains  éléments de vous. »

Le fait qu’on ne pense pas à suivre une thérapie entre ami·e·s vient peut-être du fait que l’on en a plusieurs, contrairement à un partenaire amoureux?

« Vous avez généralement un certain nombre d’amis, donc si l’un d’entre eux disparaît, nous n’en tenons pas autant compte que si c’est votre partenaire qui disparaît. Si vous venez d’emménager à deux, si vous avez des enfants ou si vous êtes en train de construire votre carrière, les amitiés ont tendance à se diluer un peu de toute façon. Se faire des amis et les garder demande un investissement, il faut faire des efforts et se regarder de temps en temps dans la glace. Lorsque vous avez un proche qui vous connaît bien, cela peut valoir la peine d’investir en lui, même dans le cadre d’une thérapie. J’entends souvent des couples dire: “Nous aurions dû venir il y a longtemps”. J’imagine qu’il en va de même dans les relations amicales. »

4 conseils de Sarah Hertens, thérapeute en relations humaines, pour conserver et entretenir vos amitiés

Soyez réaliste sur votre agenda

« Vous n’êtes pas obligées de vous voir chaque semaine, mais si vous ne voulez pas disparaître de la vie de l’autre, fixez déjà une nouvelle date à chaque rendez-vous. Si vous pouvez vous voir trois fois par an, cela peut suffire, car en fin de compte, c’est la qualité qui compte, pas la quantité. La création de moments fixes (par exemple, le premier jeudi du mois) peut également contribuer à maintenir la continuité de votre amitié. Mais osez aussi les supprimer progressivement si vous n’en retirez plus d’énergie. »

Donnez-vous des nouvelles régulièrement

« Envoyez des messages lorsque vous pensez à l’autre, même si vous n’avez pas grand-chose d’intéressant à dire. Les vocaux, par exemple, permettent de maintenir ce contact spontané et authentique. »

Osez vous montrer vulnérable

« Les amis sont très précieux pour les moments difficiles. Si vous n’allez pas bien, n’ayez pas peur de leur dire. Les amis servent à pleurnicher et à se défouler un peu. Les gens qui vous disent uniquement ce qu’ils ont accompli créent de la distance. Si vous osez parfois dire: « J’ai passé un week-end de merde » ou « Nous nous sommes disputés », vous verrez que les autres auront aussi des choses à dire. Et en osant montrer cette vulnérabilité, vous développerez un lien d’amitié plus fort. »

Entamez une discussion

« Si votre relation est un peu difficile, demandez-vous pourquoi. Est-ce la distance physique? Ou y a-t-il quelque chose d’autre? Essayez d’avoir une conversation constructive dans laquelle vous exprimez vos sentiments sans porter d’accusations. Qu’est-ce qui fonctionnerait pour vous? »

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