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TÉMOIGNAGE: ““J’ai souffert de psychose post-partum””

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Toutes les naissances ne se vivent pas dans la joie. Parfois, devenir maman rime aussi malheureusement avec le sentiment de connaître l’enfer. C’était le cas de Sophie, 30 ans, qui, après une dépression post-natale, a souffert de psychose puerpérale.

« Glenn est entré dans ma vie il y a quatorze ans. Dès le début de notre relation, avoir un jour des enfants était pour nous une évidence. Mon désir de maternité a toujours été très fort. J’ai un diplôme d’institutrice maternelle et je travaille dans une garderie, donc tout mon univers tourne autour des femmes enceintes et des bambins. J’étais ravie lorsque Glenn et moi avons décidé de nous lancer. Il a fallu environ un an d’essai avant que le test de grossesse soit positif. Nous étions si heureux, même si ces neuf mois se sont révélés bien moins idylliques que je ne l’avais imaginé. Et c’est un euphémisme. Être enceinte n’avait rien pour moi d’une expérience amusante. Je voyais plutôt ça comme un mal nécessaire que doit subir une femme qui veut des enfants. J’avais énormément de nausées, peu d’énergie, sans compter les nombreuses nuits blanches et l’acidité gastrique. Ce n’était pas franchement une période très agréable. J’étais extrêmement contente lorsque la date du terme a approché. Mon accouchement a également été difficile et a duré environ 36 heures. C’était lié à mes contractions qui se sont arrêtées lorsque j’ai eu la péridurale. Quand enfin ma fille est venue au monde, j’étais épuisée, mais en la tenant dans mes bras pour la première fois, j’en suis tombée instantanément amoureuse et j’ai oublié tout le reste.

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Une naissance et un adieu

Je ne suis pas restée longtemps sur mon petit nuage, en raison de la mort de ma grand-mère. Elle s’était retrouvée à l’hôpital peu avant mon accouchement et est décédée dix semaines plus tard. Elle était un socle pour moi. Quand elle est partie, ce fut été un terrible coup dur, surtout combiné aux hormones qui étaient alors en ébullition dans mon corps. Le contraste entre cette nouvelle vie qui débutait et celle qui venait de s’éteindre ne pouvait être plus fort. J’étais à fleur de peau et je ressentais de plus en plus d’égarement. Peu de temps après, mon médecin m’a diagnostiqué une dépression post-partum, mais je refusais de l’accepter. J’étais d’accord d’admettre être dépressive, mais je refusais que mes difficultés soient liées à ce bébé que je voulais tellement. Ce verdict m’a donné le sentiment que je ne pouvais pas contrôler la situation et j’en ressentais un grand sentiment d’échec.

Préparer une valise pour ma fille ou conduire ma voiture était devenu impossible pour moi.

Une autre dimension

Grâce aux médicaments et avec une bonne dose de patience, j’ai progressivement commencé à me sentir mieux. Et il a fallu que je me remette sur les rails, car le monde, lui, continuait d’avancer. Au fil du temps, j’ai repris le cours de ma vie ainsi que mon rôle de maman. Un rôle qui m’a tellement plu que mon mari et moi avons commencé à penser à un deuxième enfant. Au milieu de l’année 2021, j’étais à nouveau enceinte. Cette grossesse s’est révélée semblable à la première. Toujours pas franchement drôle, mais cette fois, à part quelques maux typiques, je n’avais aucune raison de me sentir mal. Je n’avais donc pas particulièrement peur de vivre une autre dépression postnatale. Au printemps 2022, j’ai donné naissance à mon deuxième enfant, un fils, réalisant ainsi mon souhait le plus cher. Ma famille était enfin complète et je veillais à ne pas laisser mes hormones se déchaîner à nouveau. Mais peu importe à quel point j’étais attentive, la tempête a commencé à gronder au loin… Les premiers signes sont apparus environ six semaines après mon accouchement. J’étais plus confuse que d’habitude, mais j’ai attribué ce fait au manque de sommeil. Moi qui étais habituellement douée pour tout planifier, je rencontrais désormais des difficultés avec l’organisation. Quand notre fille devait passer un week-end chez ses grands-parents, je n’arrivais pas à savoir quoi mettre dans sa valise. Une fois, je l’ai laissée se balader en chaussettes sous la pluie. Et puis, lorsqu’à un rendez-vous ONE, on m’a dit que mon fils devait passer une échographie des hanches, il m’a été impossible d’imaginer quelle devait être l’étape suivante à réaliser. Toutes des choses qui, en temps normal, m’auraient semblé des évidences, mais que désormais, même avec la meilleure volonté du monde, je ne parvenais plus à comprendre. Conduire une voiture est également devenu problématique. Je pouvais réaliser l’action de rouler, mais je ne savais plus comment arriver à destination. Même pour aller au supermarché, il me fallait me concentrer intensément rien que pour parvenir à bouger. C’est comme si tout le reste disparaissait dans ces moments-là. Ma tête était remplie d’une sorte de brouillard, comme si j’avais été projetée dans une autre dimension.

Après une dispute avec l’institutrice, je suis finalement rentrée chez moi sans ma fille et me suis mise au lit, sans réaliser que je l’avais oubliée là-bas.

Une île déserte

Passer d’un à deux enfants a aussi été assez difficile. Presque tous les parents dans ce cas pourront l’affirmer, il ne s’agit pas que de fatigue. Mon état s’est rapidement détérioré et en l’espace de quelques jours, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Un jour, j’ai déposé ma fille à l’école avec une heure d’avance, alors que l’établissement n’était pas encore ouvert. Je l’ai amenée là et je n’ai pas jeté un coup d’œil en arrière. Et puis, lorsque plus tard, je suis venue la chercher, une institutrice a tenté de m’en parler et je suis directement montée dans les tours. Je me suis disputée avec elle, lui affirmant que c’était faux et qu’elle mentait. Je suis finalement rentrée chez moi sans ma fille et me suis mise au lit, sans réaliser que je l’avais oubliée là-bas. C’est finalement quand mon mari est rentré du travail et m’a demandé où était Colette, que j’ai pris conscience que je ne savais pas.

Malgré ma psychose, chaque fibre de mon corps me criait d’allaiter mon bébé et je ne comprenais pas pourquoi on me l’interdisait.

Heureusement la garderie a appelé peu après pour lui signaler qu’elle l’attendait, mais ça a été le déclencheur pour Glenn. L’élément qui a tiré la sonnette d’alarme. Il m’a emmenée chez le médecin le soir même et celui-ci a de nouveau diagnostiqué une dépression post-partum associée à une fatigue intense. Dans les jours qui ont suivi, j’ai continué à agir de manière anormale. Je n’avais plus aucune prise sur la réalité. J’étais comme perdue sur une île déserte, sans contact avec le monde extérieur. Glenn était à bout de nerfs et m’a finalement conduite aux urgences. Ma mémoire concernant ce qui a suivi est une passoire Je ne me rappelle presque de rien, mais je sais qu’on m’a diagnostiqué une psychose puerpérale. Les urgentistes m’ont proposé d’intégrer un service ­mère-enfant, mais à mes yeux ce n’était pas une option. Je ne réalisais pas du tout ce que j’allais y faire. Et ce n’était pas non plus un scénario possible, mon mari étant indépendant. C’est pourquoi il a finalement été décidé de me soigner à la maison, entourée d’un solide réseaux d’amis et de membres de la famille qui pourraient s’occuper de nos enfants, car je n’étais alors absolument plus capable de prendre soin d’eux moi-même.

Sous les radars

On m’a donné des anti-psychotiques et j’ai dû beaucoup me reposer. Au début, je dormais 23 heures par jour et je ne quittais ma chambre que pour aller aux toilettes. Et quand je restais exceptionnellement réveillée un peu plus longtemps, je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas le droit de m’occuper de mes enfants. Malgré ma psychose, mon instinct maternel vibrait toujours en moi. Chaque fibre de mon corps me criait d’allaiter mon bébé et je ne réalisais pas pourquoi on me l’interdisait. Après quelques semaines, le brouillard qui emplissait mon esprit a enfin commencé à se lever et j’ai pu penser plus clairement. Mais je n’ai pas compris quand Glenn m’a expliqué que je souffrais de psychose puerpérale. Je n’en avais jamais entendu parler. En entendant ce mot, on pense directement aux maladies mentales les plus graves et c’est d’autant plus inquiétant lorsqu’on vit une telle situation. Mes proches ont fait leur maximum pour porter le moins de jugements possible, mais le monde extérieur n’est, lui, malheureusement pas toujours aussi bienveillant. J’étais convaincue d’être devenue folle et que les autres me voyaient comme telle. J’avais peur d’être considérée comme une mauvaise mère et que l’on pense que je pourrais faire du mal à mes enfants. La psychose puerpérale étant un phénomène relativement rare, elle crée aussi un grand sentiment de solitude et d’incompréhension. J’avais vraiment besoin de compagnie avec qui partager ce vécu, d’entendre d’autres histoires comparables et d’être reconnue. De quelqu’un me comprenant, simplement. Malheureusement, ce type de pathologie passe trop souvent sous les radars, ce qui renforce encore le sentiment d’isolement. Au fil du temps, je suis parvenue à fonctionner de nouveau de manière indépendante, grâce à plusieurs agendas, beaucoup de notes et de nombreux coups de main. Mais ça a été incroyablement dur de me retrouver à nouveau devant la porte de l’école sans imaginer que tous les yeux étaient rivés sur moi. J’avais tellement peur et un tel sentiment de honte.

Une bonne mère

Je n’ai jamais eu d’objectif de carrière. Mon but premier était d’être une bonne mère. C’était ma seule ambition dans la vie. Je me suis longtemps sentie très coupable envers mes enfants et notamment ma fille. Au moment de ma psychose, Colette était assez grande pour se rendre compte qu’il se passait quelque chose. J’ai du mal à me pardonner de l’avoir quittée ce jour-là, sans un regard en arrière. Mon fils était trop petit pour se rendre compte de la situation, mais je regrette de n’avoir pas pu profiter des premières semaines et mois de son existence. Mais c’est comme ça. On ne peut pas changer le passé et je lutte encore parfois avec cette réalité.

Je sais maintenant que la psychose puerpérale peut arriver à n’importe qui. Il s’agit d’une malchance, qui ne signifie en rien que vous êtes une mauvaise mère.

Il m’arrive de rêver d’avoir un troisième enfant, mais après la dépression post-natale à la naissance de ma fille et la psychose puerpérale à l’arrivée de mon fils, je ne veux pas prendre le risque de revivre tout cela. Je sais trop bien tout le chemin qu’il m’a fallu parcourir pour en être là aujourd’hui. Et sans le soutien de tous les gens incroyables qui nous ont aidées, ma famille et moi, il aurait été encore bien plus long. Nous sommes désormais deux ans plus tard. J’oserais dire que je vais bien, mais je ne suis pas encore remise à 100 %, pas encore redevenue totalement la personne que j’étais avant la psychose.

Je suis toujours suivie par mon psychiatre, à qui je rends visite tous les troid mois. Et je prends encore quotidiennement des anti-dépresseurs et des anti-psychotiques. J’ai repris mon travail à la garderie et je suis capable de tout refaire comme avant, mais je vois désormais les choses différemment. Ma psychose puerpérale m’a changée et m’a fait extrêmement peur. Je sais que l’angoisse est mauvaise conseillère, mais je crains qu’à cause de ma vulnérabilité mentale, je puisse un jour me retrouver dans le même horrible bateau. Lorsque je suis confuse ou que j’oublie des éléments, mon mari et moi sommes directement en alerte. Je sais maintenant que ce que j’ai vécu peut arriver à n’importe qui. Il s’agit d’une triste malchance, qui ne signifie en rien que vous êtes une mauvaise mère. »

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