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Comment notre enfance influence nos relations de couple

Justine Rossius

Vous vous retrouvez sans cesse dans les mêmes schémas, les mêmes désaccords, les mêmes déceptions au sein de votre relation? Cela pourrait ne pas être complètement de votre faute. Une part de la réponse réside dans votre éducation. Cependant, avant de blâmer vos parents, il est important de travailler sur vous-même.

Il peut arriver que même la personne que nous aimons le plus nous agace. Si vous vous retrouvez parfois à râler sur les habitudes peu pratiques de votre partenaire – comme bon sang pourquoi ne met-il pas ses chaussettes dans le panier à linge – vous n’avez pas nécessairement tort. Les thérapeutes de couple affirment que la manière dont nous gérons l’amour et l’intimité à l’âge adulte est souvent façonnée par nos premières expériences d’attachement. La façon dont nos parents ont répondu à nos besoins durant nos premières années après la naissance est essentielle à ce sujet. En effet, notre façon de nous attacher à notre partenaire reflète souvent notre manière de nous attacher à nos parents.

Es-tu fait pour moi?

Dans les années 1960, le psychologue anglais John Bowlby a avancé sa théorie de l’attachement, largement reconnue, affirmant que nous avons une tendance naturelle à nous attacher. Cette inclination innée est cruciale pour la survie des bébés. Ainsi, ils mettent instinctivement en œuvre divers comportements pour maintenir la proximité de leurs parents: pleurer, rire, saisir, et arborer une expression adorable. Catherine Vanthemsche, psychologue et thérapeute relationnelle, souligne: « La réaction des parents à ces comportements façonne le style d’attachement de l’enfant, et cela impacte profondément le reste de sa vie. » Cet impact se manifeste principalement dans les relations amoureuses, mais il influence aussi nos amitiés et nos interactions professionnelles.

Le système d’attachement entre en jeu dès que des besoins physiques ou émotionnels se font sentir. Cela se voit clairement chez les bébés : ils pleurent quand ils ont faim, quand leur couche est sale, mais aussi quand ils ont peur ou cherchent du réconfort. Ce système envoie un signal au monde extérieur: « Eh j’ai besoin de quelque chose, es-tu là pour moi? » La réponse de l’environnement façonne en grande partie la perception que l’enfant a de lui-même et du monde qui l’entoure. Il devient le modèle directeur de la manière dont on se lie aux autres. Parfois, ces signaux, appelés aussi demandes d’attachement, ne reçoivent pas de réponses, voire reçoivent des réponses inappropriées. Certains parents peuvent se montrer distants ou froids, à peine réactifs, tandis que d’autres réagissent de manière excessivement émotionnelle. Certains sont imprévisibles, ne répondant à leur enfant que lorsqu’ils en ont envie ou du temps.

Catherine Vanthemsche explique que la dynamique de l’attachement tourne toujours autour de 3 interrogations clés. Elle énonce : « Premièrement, est-ce que je suis accepté(e) tel(le) que je suis? Deuxièmement, est-ce que je suis aimable même lorsque je suis vulnérable? Est-ce que vous me soutenez même dans mes moments les moins bons? Et troisièmement, est-ce que je peux compter sur vous en cas de besoin? Si j’ai besoin de vous, répondrez-vous présent? » Les réponses à ces questions déterminent notre style d’attachement. Si ces réponses sont positives, nous nous sentons rassurés. Notre système nerveux se calme et libère des hormones bénéfiques pour notre corps. Nous intégrons les événements et pouvons avancer. Cela se traduit par un style d’attachement sécurisé. Les enfants apprennent ainsi à se sentir en sécurité, à l’aise avec eux-mêmes et avec les autres. Ils développent aisément de nouvelles relations et cultivent une confiance fondamentale. Mais lorsque les réponses à ces questions d’attachement diffèrent, nous apprenons que le monde n’est pas toujours sûr. Cela engendre différents styles d’attachement, ce qui peut compliquer nos relations à l’âge adulte.

La façon dont vos parents répondent à vos signaux lorsque vous êtes bébé détermine votre style d’attachement en tant qu’enfant.

Vous êtes si bleue!

Les experts identifient 4 styles d’attachement. Il est important de ne pas considérer ces styles comme des catégories rigides où l’on serait figé, mais plutôt comme un continuum, une échelle flexible où chacun se positionne plus ou moins. « À divers moments de votre existence, vous pouvez vous retrouver à différents niveaux », précise Catherine.

Si vous vous représentez cela comme une échelle, au milieu il y a un morceau vert qui représente l’attachement sécurisant. Une extrémité de l’échelle est colorée en rouge et représente l’attachement anxieux, l’autre extrémité est bleue et représente l’attachement évitant. La quatrième catégorie d’attachement appelée « désorganisé » combine le rouge et le bleu.

« Plus vos émotions sont souvent restées sans réponse, plus vous apprenez à les taire, explique Catherine Vanthemsche. Dans un moment difficile, vous serez alors plus enclin à réagir par le bleu ou l’évitement. Au contraire, si vos émotions ont reçu une réponse massive, vous risquez de devenir plus anxieux et donc de réagir de manière rouge. » On vous résume tout ça.

Vert: l’attachement sécure

Enfant: les individus ayant un attachement sécure ont été élevés par des parents qui répondaient de manière positive et appropriée aux questions liées à l’attachement. Durant l’enfance, ces personnes étaient écoutées, autorisées à exprimer leurs émotions et réconfortées en cas de besoin. Cette éducation combinait une proximité affectueuse avec de nombreuses occasions favorisant l’indépendance.

À l’âge adulte: les personnes ayant un attachement sécure osent demander de l’aide, ont une bonne estime d’elles-mêmes et peuvent faire la distinction entre ce qui est sûr et ce qui ne l’est pas. Si quelqu’un leur fait du tort, cela ne les déstabilise pas immédiatement. Elles comprennent que certains problèmes appartiennent à l’autre et ne sont pas automatiquement de leur faute.

Dans ce cas concret, imaginons que votre partenaire rentre chez vous après une journée stressante et semble clairement contrarié. Il/elle répond de manière brève et aigrie. Selon Catherine Vanthemsche, « les personnes se situant dans cette zone sécurisée ne prendront pas cela personnellement. Elles comprennent que ce n’est pas de leur faute. Elles se disent, ‘Hier, tout allait bien, nous nous aimions’. À partir de cette base solide, une réaction saine peut être initiée: demander ce qui ne va pas, écouter attentivement, montrer de la compréhension, offrir un câlin... Tout cela est nourri par cet attachement sécurisé, ce qui permet de réagir sans peur ou colère. »

Les personnes ayant un attachement sécure osent demander de l’aide, ont une estime d’elles-mêmes suffisante et peuvent distinguer ce qui est sûr et ce qui ne l’est pas.

Rouge: l’attachement anxieux

Enfant: le style d’attachement anxieux se développe lorsque les parents réagissent de manière imprévisible aux émotions de l’enfant: parfois de façon très intense, parfois pas du tout. Catherine Vanthemsche explique: « C’est déroutant et génère de l’anxiété: suis-je assez bien? Pourquoi sont-ils parfois là pour moi et parfois pas? » Les émotions sont extrêmement amplifiées et l’enfant réagit de manière intense. Pour attirer l’attention, l’enfant peut parfois devoir crier et pleurer bruyamment, ou adopter un comportement ‘méchant’. Il ne développe pas les compétences pour gérer ses émotions par lui-même, ce qui se traduit par un manque d’autonomie. Il dépend fortement des autres et a une faible estime de lui-même.

À l’âge adulte: les individus ayant un attachement anxieux réagissent de manière persistante à cette peur, ce qui les pousse à chercher en permanence la proximité et l’attention de l’autre. Ils recherchent constamment cette connexion et peuvent sembler agrippés. Cependant, cette insistance peut donner à l’autre un sentiment d’étouffement. Cela peut se manifester par de l’anxiété liée à la séparation, mais également par un comportement passif-agressif voire ouvertement agressif, marqué par des critiques ou des attaques. Ils réclament alors l’attention et la proximité de manière négative.

En pratique: lorsque votre partenaire est distant ou abrupt, vous commencez immédiatement à ressentir des doutes. Des questions comme « Qu’est-ce qui ne va pas? Est-ce que tu m’aimes toujours? Peux-tu toujours être là pour moi? Tu envisages de me quitter? » traversent votre esprit. Votre mécanisme de défense entre en jeu, et pour vous rassurer sur votre propre importance, vous pourriez critiquer, accuser ou questionner l’autre.

Bleu: l’attachement évitant

Enfant: le style d’attachement évitant se produit lorsque les parents ne répondent pas ou peu aux questions de l’enfant sur l’attachement. Les émotions sont minimisées, voire ridiculisées. Si un enfant souffre, on lui dit sèchement de ne pas pleurer. Un bébé qui pleure n’est pas toujours réconforté.

À l’âge adulte: les individus présentant un attachement évitant ont appris que leurs émotions en détresse ne recevront pas de réponse. Ils ont ainsi développé une capacité à se débrouiller seuls. Selon Catherine Vanthemsche: « Ils apprennent à taire leurs émotions et à compter uniquement sur eux-mêmes. Ils ont du mal à demander de l’aide et se concentrent sur leurs tâches: ils se plongent principalement dans ce qu’ils ont à faire, en mettant de côté leurs émotions. Ces personnes peuvent parfois souffrir d’anxiété liée à l’engagement, éviter les conflits ou avoir du mal à exprimer leurs sentiments. »

En pratique: Lorsque votre partenaire rentre à la maison en étant à bout, vous fuyez. Vous ne réagissez pas et ne posez pas de questions, mais vous vous éloignez. Peut-être vous retirez-vous discrètement dans une autre pièce ou vous vous mettez activement à faire quelque chose dans la cuisine. Inconsciemment, vous pourriez penser: ‘Tant que je n’en parle pas, tout va bien et cela n’existe pas. Surtout, on n’en parle pas.’

Bleu + rouge : style d’attachement désorganisé

Le quatrième style d’attachement, connu sous le nom d’attachement désorganisé, est un mélange de bleu et de rouge. Ces 2 aspects s’entremêlent ou se manifestent ensemble. Si vous vous trouvez dans cette situation, il est probable que vous ayez vécu beaucoup d’insécurité et d’imprévisibilité par le passé, peut-être même été victime de violences ou d’abus, ou encore eu à faire face à la disparition soudaine d’une personne d’attachement importante. Cela engendre un sentiment massif d’insécurité envers soi-même et le monde, rendant les récits et les expériences incohérents. On peut avoir du mal à croire les histoires des autres, se méfier de soi-même et des autres, etc.

Se connaître et connaître l’autre

La bonne nouvelle, c’est que personne n’est figé dans un style d’attachement. Lorsque notre système d’attachement sonne l’alarme en raison d’une perception de danger, souvent associée dans une relation à la perte de connexion, nous réagissons à partir d’un système biologique de combat (rouge) ou de fuite (bleu). C’est une réaction courante pour tout un chacun, dans toutes les relations, indépendamment de la qualité de l’éducation reçue. Cependant, plus vous avez vécu de traumatismes ou d’expériences négatives, plus le monde peut sembler menaçant. Il devient alors plus facile de céder à ces réactions de survie, et il peut être plus compliqué d’en sortir.

Si vous identifiez le schéma prédominant de votre partenaire, vous saurez aussi comment le rassurer. Dans le cas du schéma rouge, vous pouvez lui faire savoir que vous êtes présent(e) et que vous le serez toujours pour lui; en cas de schéma bleu, vous pouvez le rassurer sur sa valeur personnelle. Cependant, reconnaître ses propres schémas peut être plus complexe. Catherine Vanthemsche explique: « Vous devez vous regarder en face, de manière honnête, et assumer la responsabilité de votre comportement. Après tout, ce que l’on montre à l’extérieur n’est pas toujours en phase avec ce que l’on ressent à l’intérieur. Cela nécessite une véritable introspection. »Après une expérience négative, prenez le temps de vous souvenir, ensemble et individuellement, des détails exacts de ce qui s’est passé. En discutant et en réfléchissant à cet événement, vous pouvez découvrir votre mode de fonctionnement ainsi que celui de votre partenaire. Plus vous apprendrez à reconnaître vos schémas comportementaux, plus vous serez capable d’agir de manière constructive lors des conflits. Vous pourriez réaliser : ‘Je me referme sur moi-même, ce qui signifie que je suis triste’. Ou peut-être que votre partenaire le remarquera pour vous. Cette prise de conscience peut vous aider à rester calme et à désamorcer une situation conflictuelle, ce qui, à long terme, contribue également à réduire les conflits.

Le matelas relationnel

« Plus vous avez d’interactions négatives ensemble, moins votre relation est à terme résistante aux secousses. Un de mes collègues appelle ça ‘le matelas de la relation,’ explique Catherine Vanthemsche. Plus vous accumulez d’expériences positives ensemble, plus votre matelas commun s’épaissit et plus doux sera votre atterrissage en cas de revers ou de conflit. Vous rebondissez également plus rapidement. Lorsque vous tombez sur un matelas mince, la douleur est plus vive et il y a plus de risque de dommages durables. C’est pourquoi une relation peut parfois voler en éclats à cause d’un événement en apparence mineur. »

« Même si vous avez l’impression de vous enliser dans le schéma rouge ou bleu, vous avez la possibilité de vous diriger vers la zone verte sécurisante. Tout le monde est capable d’y parvenir, affirme Catherine Vanthemsche. Les êtres humains démontrent une incroyable résilience et une capacité remarquable lorsque nous nous sentons en sécurité. Tant que dans une relation, les 2 partenaires font les efforts nécessaires pour se rejoindre, il n’y a aucune raison de ne pas aboutir tous les deux dans la zone verte. »

Tant que, dans une relation, vous faites tous les 2 les pas nécessaires l’un vers l’autre, il n’y a aucune raison pour que vous ne finissiez pas dans le vert ensemble.

Mix & match

Chaque mélange de styles d’attachement engendre des pièges distincts. Deux personnes en bleu (évitantes) risquent de cesser progressivement toute interaction et de s’éloigner l’une de l’autre. En effet, aucune ne prend l’initiative de surveiller ou de maintenir la relation active.

Deux personnes en rouge (anxieuses) risquent une escalade majeure. Leur désir ardent de contact peut vite devenir excessif. Elles peuvent toutes 2 réagir de manière excessive sur le plan émotionnel et/ou offensif, transformant ainsi de simples désaccords en dramatiques.

La combinaison du rouge et du bleu crée un schéma persistant d’attraction et de rejet : l’un cherche le contact tandis que l’autre se retire. Cette dynamique devient de plus en plus intense à cause d’une incompréhension mutuelle croissante, rendant aussi de plus en plus difficile la sortie de ce schéma.

Au secours, suis-je en train de ruiner mon enfant ?

Catherine Vanthemsche: « La théorie de l’attachement peut parfois exercer une pression supplémentaire sur les parents pour qu’ils agissent de manière parfaite. Personne ne souhaite pas que son enfant affronte des difficultés relationnelles tout au long de sa vie. Mais rappelez-vous que les individus grandissent et évoluent, de même que nos styles d’attachement. Évitez de vous forcer à être parfaits, car cela peut déclencher votre propre système de peur. L’attachement se résume principalement à être réceptif: permettez-vous à votre enfant d’exprimer ses besoins et êtes-vous en mesure d’y répondre de manière constructive? Si c’est généralement le cas, vous vous en sortez bien. Parfois, cela peut ne pas fonctionner, peut-être parce que vous êtes vous-même stressés ou fatigués, vous basculant alors vers le rouge ou le bleu. Ce n’est pas catastrophique, à condition de pouvoir l’identifier et de vous rattraper. Êtes-vous capable de présenter des excuses, de reconnaître une erreur et d’essayer de la rectifier? Dans ce cas, tout se passera bien: après tout, cette expérience aidera aussi votre enfant à cultiver des relations saines. »

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