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Ces mamans détestent jouer avec leurs enfants (et l’assument pleinement)

Kathleen Wuyard



Une bonne mère est-elle forcément celle qui ne va pas hésiter à se mettre à quatre pattes pour jouer avec ses rejetons et à les pousser à l’envi sur une balançoire? Si certaines mamans vous répondront un “oui” péremptoire, d’autres sont convaincues du contraire et revendiquent cet autre possible.

Samedi soir, apéro entre potes dans le jardin. Tandis que les parents trinquent aux retrouvailles sur la terrasse, à quelques mètres de là, la marmaille s’enjaille sans que les adultes ne leur prêtent plus d’attention que ça – du moins, tant que ça ne crie pas. L’heure d’or baigne la scène d’une douce lumière, le rosé bien frais invite aux confidences et Alice, maman d’une petite fille de 6 ans et d’un garçon de deux ans, avoue être ravie qu’il y ait d’autres enfants présents pour jouer avec les siens, “parce que je déteste ça”.

Et pourtant, ce n’est pas faute d’adorer ses enfants et de chérir, entre autres, les moments où ils siestent paisiblement tous les trois, prennent le temps de regarder un dessin animé ensemble ou encore bricolent une recette à six mains. Plonger avec eux sur le tapis pour jouer aux Playmobil ou aux Legos, construire des forts ou passer des heures à la plaine de jeux, par contre? “L’enfer” avoue encore cette jeune maman en riant, bien contente que son mec, lui, adore ça et prenne le relais. Alice, mère indigne ou honnête? Si avouer ne pas aimer jouer avec la chair de sa chair reste tabou, elles sont pourtant de plus en plus nombreuses à oser en parler.

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“C’est chiant”

Dans une carte blanche rédigée pour The Week en août dernier, Ashley Abramson, mère de deux fils âgés de cinq et deux ans, parle du travail intérieur accompli pour “enfin accepter que je déteste jouer avec mes enfants”. “L’aspect le plus compliqué de la parentalité est la gestion des besoins de mes enfants, qui semblent toujours être extrêmement urgents car ils sont communiqués de manière tellement bruyante: porte-moi, fais-moi des crêpes, pousse-moi sur la balançoire, change-moi,...”.

Je déteste jouer avec mes enfants pour les mêmes raisons que je déteste faire de l’exercice: parce que c’est pénible. Ce n’est pas que parler avec des voix imaginaires en construisant une tour de Duplo soit particulièrement compliqué ou fatigant, juste très ennuyeux intellectuellement parlant”.

Sur Today’s Parent, Leah Rumack, maman d’une garçon de quatre ans, fait le même constat: “c’est chiant de jouer avec lui”.

Bien que j’adore mon fils unique, un frisson désagréable me parcourt l’épine dorsale à chaque fois que Ben prend une voix de fausset (mais si, celle qu’ont les enfants dans les films d’horreur quand ils s’apprêtent à faire un truc horrible) pour demander qui veut jouer avec lui. À chaque fois, mon mec et moi arrêtons de bouger et de faire du bruit, parce que peut-être que comme ça, on ne se fera pas repérer”.

Et d’ajouter, pince-sans-rire, qu’heureusement pour elle, Jason, son compagnon, est plus disposé à jouer avec leur fils, “et quand je regarde Ben le tirer victorieusement vers la salle de jeux tel un chasseur avec sa proie, je croise les doigts en priant pour qu’ils n’émergent pas avant au moins 27 minutes”.

Des moments précieux...

Indigne, Leah? Peut-être, pour certain.e.s, mais alors, elle est loin d’être la seule: la Britannique Louise Westra, maman de deux fils, confiait ainsi à la journaliste Michelle Morgan préférer s’enfoncer des cuillères dans les yeux plutôt que de jouer avec ses enfants, assurant que les laisser jouer seuls ou entre eux promeut leur indépendance. Une affirmation mitigée par les chercheurs du Child Development Institute, qui soulignent l’importance des moments de jeux partagés entre parents et enfants: “jouer avec ses enfants contribue à construire un lien extrêmement fort avec eux. C’est une manière de dire à votre enfant qu’il ou elle est précieux et apprécié et de le ou la faire se sentir spécial.e. C’est aussi une excellente manière d’apprendre à mieux connaître votre enfant”. Pour le sociologue français François de Singly, auteur de “Comment aider l’enfant à devenir lui-même ?”, les moments de jeux partagés permettent en outre à l’enfant de faire l’apprentissage de la socialisation, et de créer avec lui un univers partagé. Cela veut-il dire pour autant que les enfants privés de cette expérience vont grandir avec un manque aux répercussions lourdes à l’âge adulte? Pas si on demande son avis à Lucie, 33 ans, fille de deux médecins spécialistes qui ont eu peu de temps (ou d’espace mental) pour jouer à la poupée avec elle quand elle grandissait.

C’est marrant, parce que d’aussi loin que je m’en rappelle, mes parents m’ont traitée comme une petite adulte. Je n’ai aucun souvenir d’eux jouant à la dînette ou aux Barbies avec moi, par contre, très vite, ils m’ont associée à leurs moments de détente: lire un livre calmement tous ensemble, même si les miens étaient juste des livres d’images, faire la sieste avec un chouette album qui tourne en fond musical, papoter à table pendant des heures...”

Et si Lucie leur est reconnaissante de cette éducation “qui m’a permis d’être très mature très vite”, elle reconnaît qu’enfant, cela a parfois créé un certain décalage: “je me sentais parfois beaucoup plus “grande” que les autres, notamment aux goûters d’anniversaires, où les autres enfants voulaient inventer des spectacles ou jouer à cache-cache, alors que moi j’avais juste envie de lire un livre au calme”.

...qui ne doivent pas être forcés

Interviewée par Gael en prémisse aux célébrations de Fêtes des Mères et des Pères, France Brel, la fille de Jacques, fait le même constat. “Il ne faisait pas comme les autres. Je l’observais. Je ne sentais jamais chez lui le côté “comédie humaine”. C’était très rassurant. Il ne se sentait pas du tout père et n’en avait pas les attitudes. Je dirais même plus : les enfants, ça ne l’intéressait pas. Il n’allait pas m’entraîner à jouer au basket dans le jardin. De ma vie, je n’ai jamais joué avec lui. Pour lui, la paternité, ce n’était pas cela. Instinctivement, je n’ai pas attendu qu’il remplisse cette fonction. C’est à la qualité de nos silences que je sentais qu’on était proches”. Et la psychologue Sophie Marinopoulos, auteure de “Dites-moi à quoi il joue, je vous dirai comment il va”, de rappeler de son côté l’importance d’envoyer valser les règles qui font de la parentalité tout sauf un jeu d’enfant. “Un parent qui n’aime pas jouer ne devrait pas se contraindre. Il lui suffit d’expliquer à son enfant : “Ce jeu ne m’amuse pas, mais on fera autre chose, plus tard.” La communication peut se faire à travers bien d’autres moyens”. Raconter des histoires, par exemple. Il était une fois une maman qui préférait se vernir les ongles tranquille plutôt que de construire un village de Lego, ce qui ne faisait pas d’elle une mauvaise mère pour autant...

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