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Peut-on être féministe et avoir une femme de ménage?

Justine Rossius

À qui incombent les tâches ménagères lorsqu’une femme décide de ne plus porter cette responsabilité au sein de son couple ? À une autre femme. Et c’est problématique.

Dans sa dernière édition, la revue féministe La Déferlante offre un bel article sur ce sujet encore tabou : peut-on être féministe et engager une aide-ménagère? La question dérange, car nous sommes nombreuses à faire appel à une aide extérieur pour gérer le soin de notre intérieur, et pour éviter que le partage des tâches ménagères ne deviennent un conflit au sein du foyer. Les études le prouvent : les femmes sont encore plus nombreuses à s’occuper des tâches domestiques que les hommes dans un foyer, même si la situation tend à s’améliorer. Mais la plupart du temps, lorsque le couple décide de viser un peu plus d’égalité en son sein, il délègue les tâches à une personne externe, qui est la majorité du temps une femme, qui plus est souvent racisée et migrante. C’est le serpent qui se mord la queue qu’a connu Charlotte, 30 ans, qui a récemment emménagé avec son compagnon : « Très vite, j’ai réalisé que c’était moi qui allait faire les machines, ranger, nettoyer derrière lui. Il bosse beaucoup, d’accord, mais moi aussi ! Et il était hors de question que je passe mon temps libre à nettoyer. On a donc fait appel à une femme de ménage et depuis, on ne se prend plus la tête ».

Si cette solution permet aux couples d’entretenir des accords cordiaux et/ou aux femmes de parvenir à mener leur carrière de front sans se soucier de la pile de linge et de la poussière sur le vaisselier, elle pose question quant aux valeurs féministes. Pour peu que l’on ait des enfants, cette solution leur montre aussi un modèle genré des choses: c’est (encore) une nana qui trinque, parce que papa n’a pas voulu faire de concessions sur son temps libre et/ou sa carrière.

Les femmes nettoient le monde

Ce plan B participe aussi à sous-payer des femmes, et à les faire travailler dans des conditions particulièrement difficiles physiquement. En janvier 2020, les aide-ménagères avaient d’ailleurs fait grève et avaient manifesté dans les rues de Bruxelles pour dénoncer un travail pénible, précaire et sous-payé. Cette semaine, rebelotte : on apprend que le front commun syndical mènera deux nouvelles actions, ce mardi à Gand et vendredi à Bruxelles, pour réclamer une meilleure rémunération et de meilleurs conditions de travail, qui plus est en période de crise énergétique. “Pour de nombreuses aide-ménagères, la situation est devenue impossible à supporter. Aujourd’hui, les aide-ménagères paient pour aller travailler. En moyenne 10 % de leur salaire passe dans les frais de déplacement” expliquent notamment les syndicats à nos confrère·sœurs·s de DHnet.be.

Dépoussiérer le patriarcat

 Selon un rapport de 2020, on compte environ 160.000 aide-ménagères (des femmes donc) à en Belgique. Elles gagnent en moyenne 11,50€ brut de l’heure. À Bruxelles, 96% des travailleuses titres-services sont majoritairement des femmes, d’origine immigrée (98%), vivant dans une commune pauvre. 16% sont des mères seules. La grande majorité des travailleuses titres-services gagnent moins de 100€ bruts par jour. Ces chiffres sont alarmants et prouvent la précarité de cet emploi réservé aux femmes. En engageant une femme de ménage, force est de constater qu’on perpétue un système de domination au sein de son propre foyer et que contrairement à ce qu’on pourrait penser au premier abord, on abolit pas le moins du monde les inégalités en matière de travail domestique. Dans un très bon article sur le sujet de Rose -Aimée Automne T.Morin sur La Presse, on peut lire ces questions.

Pourquoi les femmes qui font de l’entretien ménager sont-elles souvent racisées et migrantes ? Pourquoi n’ont-elles pas de diplôme d’études supérieures [du moins valide au Québec] ? Surtout, pourquoi accepte-t-on de payer un homme à tout faire 50 $ l’heure quand on a besoin d’un coup de main manuel, alors qu’on paie une femme de ménage environ 20 $ l’heure ?

Rose -Aimée Automne T.Morin

Le dilemme féministe

Alors, même si ce métier est parfois un réel choix pour ces femmes, et qu’en engageant une aide-ménagère on lui “offre de l’emploi”, il faut prendre conscience que l’indépendance financière et l’élévation professionnelle et économique de certaines femmes se fait encore au détriment d’autres femmes. Les femmes sont devenues ingénieures, CEO d’entreprises, et rédactrices en chef, et c’est très bien, mais quand elles partent au bureau, elles acceptent qu’une autre femme soit en train de récurer leur toilette et profitent ainsi du travail difficile et sous-payé d’autres femmes. Ce débat difficile mérite qu’on s’y attarde car il montre que le combat féministe est encore ailleurs et notamment, sans doute, dans la revalorisation des métiers du care (ménagers ou non) de manière globale. Si ces jobs étaient mieux rémunérés, peut-être que des hommes s’empareraient plus facilement de la serpillère. Il faudrait aussi que les hommes, plutôt que de brandir la solution de la « femme de ménage » en cas de conflit d’aspirateur, se demande comment réorganiser leur temps afin de subvenir aux besoins de leur foyer. Ne laissons pas cette saleté de patriarcat nous faire vivre dans la crasse.

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