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Ce qu’il faut retenir du documentaire ““Tu enfanteras dans la douleur””

La rédaction

“Ce n’était plus un accouchement, c’était un massacre”. À travers son documentaire “Tu enfanteras dans la douleur”, la réalisatrice Ovidie donne la parole aux femmes qui ont subi des violences obstétricales et gynécologiques au moment de donner la vie.


Avec une volonté de rigueur journalistique, Ovidie a interrogé toutes les personnes concernées: victimes, militantes, experts, sages-femmes et gynécologues. Durant un peu moins d’une heure, on peut suivre les revendications de chacune des parties.

De victimes à militantes


“Il a tout suturé à vif, ça a duré quarante-cinq minutes”, “j’ai été tuée de l’intérieur”. Tour à tour, les victimes se confient sur la violence, l’incompréhension, la douleur, l’infantilisation parfois, et le manque d’écoute. De nombreuses femmes ont décidé d’arrêter de taire la maltraitance subie lors de l’accouchement. Pourtant, jusqu’à présent, les violences obstétricales et gynécologiques étaient tues, taboues. Ou du moins, très peu prises en considération par les professionnels de la santé. Récemment, sans doute en partie “grâce” aux phénomènes “MeToo” et “Balance ton porc”, les langues se sont déliées et les médias ont saisi l’affaire, permettant une première remise en question des pratiques médicales et la publication de témoignages. “Des témoignages anonymes où les victimes tentent de mettre des mots sur leur traumatisme, parfois des années après”. Entre épisiotomies imposées, touchers vaginaux et rectaux, douleurs niées, césariennes à vif, la question du consentement se pose. Certaines mamans ont d’ailleurs vécu leur accouchement comme un viol, puisque toute pénétration par surprise est définie comme telle. De nombreuses femmes ont alors manifesté leurs douleurs, leurs craintes, leur rage face à la situation actuelle. Les voix se sont élevées, bien décidées à se faire entendre et à changer les choses.

Mélanie Dechalotte, journaliste, explique en quoi le terme “viol” est associé à la gynécologie et à l’obstétrique: “comme c’est une médecine qui s’attache aux sexes des femmes, il y a tout un ensemble d’actes médicaux qui impliquent une pénétration sexuelle”.

Quand ces actes, aussi médicaux soient-ils, sont faits par des doigts, un spéculum ou une paire de ciseaux, quand ces actes sont posés sans consentement, sous la contrainte, sous la menace, les femmes vont developper les mêmes séquelles psychiques que l’agression sexuelle”.


“Les professionnels de la naissance devraient en prendre conscience. Même si eux ont désexualisé le vagin des femmes, ce n’est pas le cas des femmes”.

Lors d’une manifestation à Lille, un collectif a tenu à rencontrer le président des gynécologues, sans succès. Les manifestantes tenaient à faire savoir qu’elles “refusent les actes médicaux inutiles pendant l’accouchement. Un tiers des accouchements se termine par l’usage de spatules, ventouses ou forceps à vif. Pour l’OMS, il s’agit d’une pratique fréquemment utilisée à tort”. Les militantes se révoltent face à ces douleurs inimaginables qui ne sont pas sans conséquences physiques et psychiques sur la maman et le bébé. À travers leur discours, elles exigent l’application de la loi Kouchner qui impose un consentement libre et éclairé avant chaque acte médical. “Les femmes veulent pouvoir accoucher en toute sécurité affective et émotionnelle. Les femmes exigent d’être écoutées comme des adultes responsables doués de raison et de discernement”.

Marie-Hélène Lahaye, juriste, défend de pied ferme le consentement du patient protégé par la loi Kouchner. “Quand on parle avec la plupart des gynécologues et obstétriciens, ils considèrent qu’à partir du moment où la maman est vivante et le bébé vivant et qu’il n’y a pas a priori de grosses séquelles, tout va bien. Sans tenir compte de l’impact émotionnel et de l’impact sur le corps de la femme qui accouche”. La juriste met ainsi des exemples en avant, comme les épisiotomies refusées par la patiente mais pratiquées quand même. C’est là que toute la question du consentement est remise en cause.

Un dialogue de sourds


Également victime de violences obstétricales, la secrétaire d’État française chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa, a commandé un rapport sur le sujet en 2017. Interviewée par Ovidie, elle raconte la boucherie qu’a été son accouchement, à tel point que l’hôpital lui a envoyé une lettre d’excuses. Sa notoriété en tant que politicienne fera un boom médiatique qui délia davantage les langues. Elle est la première personnalité politique à s’interroger sur la question des violences obstétricales et ça n’est pas le bienvenu: “j’ai voulu commander un rapport pour pouvoir objectiver ce phénomène et y apporter des réponses”. Mais tout le monde n’a pas accueilli cette demande d’un très bon oeil. Certains poseront même la question de savoir s’il faut faire taire la ministre, tentant ainsi de déplacer le débat pour ne pas y apporter de réponse.

Les experts, dont les gynécologues, ont très mal perçu cette demande de rapport par Marlène Schiappa et le “foin médiatique” autour de la question des violences obstétricales. Ils l’ont vécu comme une attaque, ce qui a mené lieu à une polémique sans fin pendant plusieurs semaines, mais sans instaurer un dialogue avec les victimes. Comme l’explique le professeur Israël Nisand, président du CNGOF: “que certaines vivent leur accouchement comme une violence, ça va sans dire. Lorsque nous sortons de nos gardes épuisés et complètement décontenancés par le manque de moyen et que nous allumons la radio pour entendre que nous sommes des violents, on est excédés. Et nous ne souhaitons pas avoir un dialogue avec des gens qui nous traitent ainsi”. Le rapport commandé est perçu comme une mise à mort sur la place publique, ce qui anéantira toute chance de dialogue entre les parties. Le professeur Israël Nisand accuse la ministre de “gesticulation politique” puisque les moyens concédés aux maternités sont revus à la baisse mais qu’elle s’insurge contre les professionnels de la santé.

Lui, et de nombreux gynécologues et sages-femmes, déplorent la spirale malsaine dans laquelle patients et professionnels sont embarqués. Le manque de moyen, de temps, la surcharge de travail, la société qui change et les consciences qui s’éveillent ont provoqué de profonds changements dans la relation patient-médecin. Et ce, que l’on parle d’un point de vue humain, business ou purement médical. Quand des sages-femmes expliquent à Ovidie qu’elles ont dû faire face à 7 accouchements et 20 consultations dès leur première nuit de garde ou qu’il est demandé à un gynécologue débordé, épuisé, de choisir laquelle des trois césariennes est la plus urgente quitte à ce que les deux autres soient problématiques, il y a un problème. Et des conséquences. La patiente n’est plus qu’un numéro mais la faute à qui?

Un manque cruel de moyens


Patientes maltraitées, personnels débordés, coupes budgétaires... Le cocktail est explosif, comme l’explique Nadine Knezovic-Daniel, sage-femme cadre: “ce qui est gênant, c’est que la naissance est traitée à l’hôpital comme les autres maladies. C’est-à-dire qu’on réfléchit en termes de quotas et de nombres de personnes. Or, la naissance reste, dans la plupart des cas, normale, naturelle. On n’est pas dans de la maladie donc les quotas qu’on utilise dans les autres services ne sont pas applicables ici. Et cette politique-là n’est pas toujours très bien entendue puisque l’on doit aller toujours plus vite, ne pas coûter cher, avec des restrictions budgétaires. Et ce en sachant que l’obstétrique représente 80% du travail en urgence donc on ne peut rien planifier”. Alexi, un autre sage-femme ajoute qu’au vu de l’augmentation du nombre de plaintes, les documents à remplir pendant un accouchement sont de plus en plus chronophages (en gros, il faut tout noter; chaque geste, chaque question. Ce qui peut prendre près d’une heure). “C’est du temps en moins pour s’occuper de la patiente” assure-t-il.

Ce manque de moyens, d’effectifs, provoque inévitablement tout un tas d’émotions dont de l’exaspération et peut mener à de nombreuses erreurs. Il est l’une des raisons principales de la situation actuelle. Mais pas la seule pour autant. Longtemps interdit aux femmes pratiquantes, l’accouchement est également le fruit de dizaines d’années de domination patriarcale.

Un accouchement désuet?


De par son histoire, ses méthodes, ses outils, l’accouchement dans les institutions hospitalières est invariablement violent. Des violences systémiques, comme veut le dénoncer Ovidie à travers son documentaire. Et toutes les interventions des interviewés mènent à un dénominateur commun: le système est malade et se décompose lentement. Si le manque d’effectifs engrange un cercle vicieux de professionnels débordés, de patients “bâclés” et à peine écoutés, il n’en demeure pas moins que la question du consentement est sans doute la plus importante pour le patient. Malgré tout, le Conseil de l’Ordre des Médecins ne facilite pas le traitement des plaintes des patients.

Anne Évrad, co-présidente du CIANE, le Collectif Interassociatif Autour de la Naissance, accompagne les femmes dans leurs démarches juridiques contre les hôpitaux depuis dix ans. De par son expérience, elle balaie les raisons évoquées par le corps médical comme “l’urgence majeure”, “la surcharge de travail qui empêche un aval avant chaque acte médical” en assurant que dans 85% des cas qu’elle a traité, rien ne justifiait le comportement (et les actes médicaux posés) des professionnels de la santé. Mais lors des conciliations avec le corps médical, le dialogue n’est toujours pas d’actualité. “Ça va jusqu’aux menaces, parfois à l’agression” assure-t’elle. “Alors que tout ce que les femmes veulent, c’est qu’on leur dise ‘je vais vous faire ça. Est-ce que vous l’acceptez?”. Une demande qui semble somme toute plutôt facile à mettre en place.

Heureusement, ce documentaire ne met pas tout le monde dans le même panier. Nadine Knezovic-Daniel, sage-femme, explique d’ailleurs qu’elle met un point d’honneur à écouter davantage les patientes. Dans le cadre d’une péridurale par exemple, malgré la douleur, certaines femmes la refusent contre l’avis des médecins. “La bonne réponse, c’est d’écouter ce qui est important pour elle”, de respecter ses choix.

Accoucher autrement


Le titre “Tu enfanteras dans la douleur” représente parfaitement l’injonction tacite faite aux femmes depuis toujours, comme une parole biblique d’accoucher dans une souffrance nécessaire. Mais pour qui? D’autres expériences d’accouchement sont possibles, comme les accouchements psycho-profylactiques qui ont fait leurs preuves il y a plusieurs dizaines d’années mais sont tombés dans l’oubli. Ou les accouchements à domicile.

Et puis, tout ce que les femmes demandent finalement, c’est de l’écoute.

La bonne nouvelle, c’est que le documentaire se conclut par la remise du rapport à la ministre Marlène Schiappa, montrant ainsi une volonté des parties de collaborer ensemble à un meilleur avenir de l’accouchement. Le conseil national des gynécologues et obstétriciens français a fini par approuver les 25 recommandations du rapport et a annoncé l’ouverture d’une promotion de la bien-traitance en gynécologie. Le conseil de l’Ordre des Médecins quant à lui a estimé qu’il ne fallait rien changer dans ses procédures. L’évolution des pratiques est lente, mais pas immuable.

L’accouchement et tout le système qui l’entoure sont en profonde métamorphose. Et il est grand temps que les femmes reprennent possession de l’un des plus grands pouvoirs qu’il leur ait été donné; donner la vie. Mais qu’elles puissent en jouir dans le respect et l’écoute attentive mais surtout en sortant de l’emprise qu’ont les hommes sur leur corps depuis bien trop longtemps.

Regarder le documentaire d’Ovidie.

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