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TÉMOIGNAGE: à moins de 30 ans, elles ont choisi d’entrer au couvent

La rédaction

Qu’est-ce qui pousse certains à entrer dans les ordres à la fleur de l’âge, pendant que d’autres préfèrent s’éclater? Ces trois jeunes femmes ont décidé de mettre leur vie au service de leur foi et lèvent le voile sur leurs raisons et leur quotidien au monastère.

Lisa, 26 ans, Julie, 30 ans et Svenja, 29 ans : toutes les trois ont choisi de vivre comme religieuses au Couvent et ont changé de prénom. Ce qui pourrait nous sembler inimaginable était pour elles comme une évidence. « C’était une vocation », commence Sœur Theresia, 26 ans. « Je sortais de deux années compliquées en secondaires. Le contact avec mes camarades de classe n’était pas évident, je ne me sentais pas à ma place. Au début de ma troisième, j’ai commencé à chercher une nouvelle école. Je voulais prendre un nouveau départ. Nous avions entendu parler d’un internat de sœurs via une connaissance de ma mère, et c’est ainsi que je me suis retrouvée ici après une journée portes ouvertes. Comme il était assez loin de chez moi et que le temps pressait, j’ai décidé de faire le grand saut. Je suis entrée en pensionnat avec les sœurs. Grâce à elles, je suis entrée de plus en plus en contact avec la foi. J’ai même commencé à me ­demander si la vie de religieuse était faite pour moi.

J’ai rejoint un groupe de prière pour réfléchir sur moi-même et sur Dieu. Et au bout d’un an de réflexion, j’ai décidé d’entrer au monastère.

 

Vouloir se marier plus que tout

Pour Sœur Magdalena, 30 ans, la vie monastique n’était pas non plus une option au départ. « J’ai grandi dans une famille ­catholique chaleureuse et soudée. Nous allions à l’église chaque semaine, nous faisions la prière chaque jour et partions régulièrement en pèlerinage. La foi donnait un sens à ma vie, mais j’aspirais surtout à la vie conjugale. Quand j’ai eu 21 ans, j’ai décidé de chercher un mari. Il y a bien eu quelques ­prétendants, mais à chaque fois, ce n’était pas trop ça. Qu’est-ce qui clochait chez moi ? Je voulais plus que tout me marier, mais c’était comme si je ne parvenais pas à tomber amoureuse. Pour mettre de l’ordre dans mes idées, je suis partie seule en pèlerinage, à Rome. Là-bas, j’ai parlé avec un séminariste que j’avais rencontré lors d’un précédent pèlerinage. Il m’a demandé

‘Tu as pensé à la vie religieuse ?’ Cette question m’a d’abord mise en ­colère : entrer au monastère était la ­dernière chose que je voulais. Je voulais mener ma propre vie, me marier et ­fonder une famille.

Je n’abandonnerais jamais mes amis et ma famille. Mais au bout d’un ­moment, j’ai réalisé que j’avais une vocation et que si je ne ressentais rien pour les hommes, c’est parce qu’au fond de moi, j’aspirais avant tout à une vie avec Dieu. »

 

Boire et fumer

Sœur Catharina, 29 ans, se décrit comme une vraie rebelle avant d’entrer au couvent : « Tout ce que je savais de la foi, je l’avais appris de ma mère. Je suis baptisée et j’ai fait ma communion, mais on ne nous voyait quasi jamais à l’église. L’école, ce n’était pas mon truc. Je détestais étudier et en troisième humanité j’avais déjà une carte de mauvais comportement. Mais je m’en fichais, tout ce que je voulais c’était être ‘dans le coup’. Mes parents étaient très stricts et ma rébellion provoquait des tensions à la maison, ce qui ne faisait qu’empirer mon comportement. J’ai commencé à fumer et à boire. Parfois, je ­buvais même avant d’aller à l’école. Il m’est arrivé aussi de me faufiler par la fenêtre de ma chambre pour sortir faire la fête.

La situation est devenue ­intenable et mes points ne ­faisaient que chuter. C’est à ce moment-là que ma mère m’a ­inscrite à l’internat. Quand j’ai entendu ça, j’étais dans tous mes états. J’étais assez agressive au début, même envers les sœurs. Je ne prenais pas la peine de leur répondre correctement ­lorsqu’elles me posaient une question. Mais elles réagissaient toujours avec ­patience et ­gentillesse. Au bout d’un ­moment, j’étais ­fatiguée de me battre... Peu à peu, j’ai commencé à m’ouvrir. Je devais bien ­admettre que les sœurs étaient en fait très chouettes. Via elles, j’ai commencé à croire... Comme la vie à l’internat était assez mouvementée, je cherchais souvent le calme à la chapelle. C’est là que j’ai ressenti ma vocation pour la première fois. Et ce ­sentiment ne m’a plus jamais quittée. »

Sister Act

Entrer au monastère signifie aussi renoncer à sa propre vie et laisser ses amis et sa famille derrière soi. « Pour mes ­parents, ça n’a pas été facile », confie Sœur Theresia. « Ils m’ont soutenue, mais mon père avait quand même du mal, il avait peur de me perdre. La nouvelle s’est vite ­répandue dans la famille, mais j’avais surtout peur de la réaction de mes amies. J’étais convaincue qu’elles ne comprendraient pas. Heureusement, ma meilleure amie l’a bien pris. J’étais soulagée. Elle l’a elle-même annoncé avec précaution à nos autres amis. On a célébré mon ­dernier jour en tant que non-sœur autour d’un chouette repas à la maison. » « J’ai arrêté de travailler à l’hôpital trois mois avant d’entrer au couvent », raconte Sœur ­Magdalena.

 Le dernier jour, mes collègues ont organisé une sorte de fête surprise pour moi. Quand je suis entrée dans la salle d’opération, ils étaient tous là, dans leur ­combinaison chirurgicale, avec une coiffe de nonne sur la tête et ils chantaient en cœur la chanson du film Sister Act. J’ai trouvé ça dingue !

“Après, en guise d’adieu, je suis partie en pélerinage à Rome et en Israël avec ma ­famille. » Sœur Catharina : « Nous sommes partis en voyage avec toute la famille. Bien sûr, c’était difficile, mais ça faisait partie du processus. Maintenant, nous ­faisons des visites familiales quatre fois par an. Et nous ­prenons contact avec nos amis aussi de temps en temps. » Sœur ­Magdalena : « Mes meilleures amies m’envoient des lettres. J’ai même une amie qui vient chaque année à la messe avec sa famille. Et après, nous papotons un peu. Ce n’est parfois qu’une heure, mais ça me rend très heureuse. »

La vie monastique

Après une période de vie commune avec les sœurs, de conversations individuelles avec la supérieure et de ­présentations, vient le grand moment. « C’est un moment d’émotion », raconte Sœur Magdalena. « La cérémonie a lieu lors des vêpres, la prière du soir dans la chapelle. On y va avec notre famille, habillée en civil. Pendant la ­cérémonie, on est appelée par la mère ­supérieure. Là, ­devant l’autel, elle nous demande si c’est vraiment ce qu’on veut, si c’est volontaire et si c’est une vocation. ­Ensuite, on reçoit un voile et on va s’asseoir ­auprès des sœurs.

Tout ça est très symbolique : on laisse sa propre famille derrière nous pour prendre place parmi les sœurs, notre nouveau foyer.

À partir de là commence une sorte de ‘période d’essai’ : la première année, on peut ­encore rentrer à la maison chaque mois et porter des ­vêtements civils (sobres). On nous laisse vraiment le temps de nous habituer à notre nouvelle vie. À part quelques ­objets de base, on laisse tout derrière nous. On peut ­revenir sur notre décision pendant cette période, mais ça arrive ­rarement. Ce serait briser notre engagement. »

Un mode de vie exigent

« Il faut quand même s’habituer à ce mode de vie strict et répétitif. On a chacune notre propre petite chambre, avec un lit, un lavabo et une armoire », explique Sœur Theresia. « Nous prions environ cinq heures par jour. Il faut s’y faire, mais cela se fait progressivement. Outre la prière, une grande partie de notre temps est dédié à la prise en charge des enfants. Notre ­internat s’occupe de jeunes ­enfants issus de situations ­familiales difficiles. Nous sommes comme des mères pour eux. Nous les réveillons le matin, ­déjeunons ensemble, les aidons avec leurs devoirs et leur ­organisons des activités. » Sœur Catharina : « Nous essayons vraiment de créer un foyer pour eux. Normalement, ils rentrent chez eux pendant le week-end, mais pendant le confinement, nous les avons gardé un bon bout de temps. » « L’idée ­selon laquelle les sœurs sont de vieilles femmes rigides est dépassée. On rit beaucoup ! », raconte Sœur Theresia. « La mère supérieure aussi est souvent perçue comme une femme dure, sévère et de laquelle tout le monde a peur », ajoute Sœur Catharina, « mais ce n’est pas le cas. Pour nous, c’est une ­véritable mère : si nous avons un ­problème, qu’on ne va pas bien, on peut toujours compter sur elle. »

En manque de sexe ?

« Nous étions encore toutes vierges en entrant au couvent. Même si j’avais un petit ami à ce moment-là », admet Sœur Catharina. « On nous demande aussi souvent si on tombe amoureuse. La réponse est : oui, bien sûr. Nous ­restons des êtres humains dotés de sentiments. Je ­compare ça souvent à un couple marié. En tant que femme mariée, vous pouvez aussi tomber amoureuse d’un autre homme. Ça arrive, on ne peut pas l’empêcher. La façon dont vous y réagissez dépend par contre de vous. Dans la vie religieuse, c’est la même chose : c’est à vous de rester fidèle ou non. » Sœur Magdalena : « D’ailleurs, ce n’est pas qu’on n’entre pas en contact avec des hommes, mais les conversations et les relations avec eux sont bien sûr totalement différentes. » Sœur Catharina : « Pour le ­moment, je suis chaque semaine des cours en Haute École. Bien sûr, il y a des hommes là-bas. Mais je pense aussi que notre tenue nous ­protège. » Sœur Magdalena : « En portant ces ­vêtements religieux, vous donnez déjà le signal que vous n’êtes pas ­disponible. Ce serait bizarre si les hommes nous voyaient et se ­disaient : je vais tenter de la ­draguer ! » Sœur ­Catharina explique:

Être amoureuse, pour être honnête, je ne sais plus ce que ça fait. Et ça ne me manque pas non plus. Mais la vie de ­famille, j’y pense beaucoup. Quand je me promène dehors et que je vois une belle maison, je me dis ­parfois : ‘oh, je vivrais bien là avec ma famille.’

Ou lorsqu’une amie a un bébé, je me dis : ‘Tiens, j’aurais ­aussi pu donner ce ­prénom à mon enfant.’ Mais je ne regrette pas de ne pas être ­mariée. Quand vous avez une famille, elle passe avant tout le reste. Comme nous n’avons pas ça, nous pouvons ­vraiment nous consacrer aux enfants de l’internat. Notre communauté vit pleinement au service des autres. En tant que sœur, vous êtes tout le temps prête à aider les autres. »

TikTok & Fortnite

Sœur Catharina a étudié l’orthopédagogie et Sœur ­Theresia suit des cours de musique. « Bien sûr qu’on ­utilise Internet », commence Sœur Catharina en riant, « ce serait bizarre si ce n’était pas le cas. La vie monastique stricte pose parfois des problèmes, parce qu’aujourd’hui, ­beaucoup de choses se passent en ligne. Si nous devons chercher quelque chose sur notre téléphone pendant le cours, c’est compliqué. » Sœur Magdalena : « Nous avons un ordinateur portable et un GSM. Le premier, on l’utilise principalement pour faire des ­recherches pour les enfants et pour communiquer avec leurs parents. Nous utilisons le téléphone au sein de la communauté. Par exemple, si on veut savoir où quelqu’un se trouve, il suffit de l’appeler. » « Mais nous restons à jour sur les dernières tendances », explique Sœur Catharina. « Les enfants veillent à ce qu’on le soit. Nous savons tout sur TikTok et Fortnite, ils nous en parlent avec tellement d’enthousiasme ! On leur pose pas mal de questions sur leur monde à eux et les réseaux ­sociaux en constituent une grande partie. »

Et niveau fringues ?

« En principe, nous n’avons qu’un habit, mais dans les faits nous en avons plusieurs. Parce qu’on en reçoit un neuf quand l’ancien ­devient un peu usé. Ce nouveau devient le plus chic, l’habit du dimanche et on porte les autres pour travailler », explique Sœur Magdalena.

Nos tenues sont toutes fabriquées dans notre propre atelier de couture, il n’existe pas d’H&M pour les ­vêtements de religieuses !

s’amuse Sœur Catharina. « On fait tout dans notre habit : du ­jardinage au jogging dans le ­couvent. La seule chose que nous avons en plus est un maillot de bain, que l’on porte lorsqu’on va à la piscine ou à la mer avec les ­enfants. » « Même avant mon ­entrée au couvent, je n’étais pas à la pointe de la mode », avoue Sœur Magdalena en riant. « Mais nous savons ce qui est à la mode. » Sœur Theresia : « Je sais par exemple que la mode des années 80 fait son retour. Les manches ballon, les baskets montantes, non ? » « Oui et les pantalons troués », ajoute Sœur Catharina. « Nous le savons, mais pas toutes les sœurs. Par exemple, un de nos enfants portait un pantalon à trous l’autre jour. Lorsque ce pantalon est revenu de la buanderie, les trous avaient tous été recousus. Apparemment, notre couturière n’approuvait pas le pantalon troué. »

Pour Dieu et nos proches

« Je ne trouve pas que j’aie beaucoup changé depuis mon entrée au couvent », nous confie Sœur Magdalena, « mais le monde extérieur pense le contraire. C’est ­inévitable, nous avons renoncé à une partie de notre ­personnalité. » Sœur Catharina ajoute : « Je comprends que notre famille le ressente comme ça. Ils nous voient subir une complète transformation. Mais je pense ­justement que la vie de ­religieuse, la vie en communauté, permet d’apprendre à mieux se connaître soi-même. » Sœur Theresia : « En ­apparence, nous sommes identiques. Nous portons toutes le même vêtement et nous nous comportons de la même manière. Mais à l’intérieur, nous sommes totalement ­différentes les unes des autres, nous avons chacune notre propre personnalité. Nous sommes pures. Nous n’avons pas de ­vêtements ou de réseaux sociaux derrière lesquels nous cacher. Et notre identité se développe aussi en lien avec ça. » « Avant, j’avais peur de parler en public », raconte Sœur Catharina. « Rien que d’y penser, j’avais des frissons. ­Maintenant que je n’ai pas d’autre choix, je me rends compte que ce n’est pas si grave. À partir du ­moment où vous y croyez, vous changez. En ce sens, on peut dire que notre personnalité a changé : nous vivons pour Dieu et pour nos proches, alors qu’avant nous étions davantage tourné vers nous-même. »

Croire en Sa volonté

Ces trois jeunes sœurs sont au monastère depuis un ­moment déjà. Est-ce que quelque chose leur manque ?« Il m’arrive d’avoir envie de porter une jolie robe ou de passer une soirée devant la télévision, à traîner dans le canapé. Mais je n’en pleure pas pour autant ! », raconte Sœur Catharina.

Je me dis parfois que mon ­indépendance me manque : pouvoir choisir ce que je fais, comme partir en voyage, par exemple. Et ma famille me manque aussi, bien sûr... Mais ce n’est pas vraiment un manque triste, plutôt un manque précieux.

Ce que l’avenir nous réserve, Dieu seul le sait. Pour l’instant, c’est la prière, le travail avec les enfants... Nous verrons bien ce qui suit. On s’adapte aux besoins de l’époque. La congrégation va ­probablement se réduire. Tout change, mais quoi qu’il ­arrive, nous avons confiance dans le fait que Dieu a un plan pour nous. » Pas de regret ? « Non, je suis heureuse d’avoir fait ce choix. J’entends dire que ­beaucoup de jeunes se sentent noyés dans la société ­actuelle, qu’il y a un grand besoin de soutien psychologique. En partie grâce à la vie religieuse, nous avons chaque jour le temps de nous poser et de réfléchir. C’est une chose que peu de jeunes ont le temps de faire. Je leur souhaite de trouver la paix, que ce soit dans la prière ou non. »

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