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© Instagram @Kangouroo Girl

Témoignage: ““Pour la première fois de ma vie, grâce aux réseaux sociaux, je vis ma différence comme quelque chose de bien””

Barbara Wesoly

Charlène a été victime d’une erreur médicale au cours d’une opération. Aujourd’hui, elle est sous perfusion 15 h sur 24, 7 jours sur 7, et porte une poche intestinale en permanence. Avec une incroyable force de caractère, elle a décidé d’enfiler le costume de Kangouroo Girl, une héroïne qui prône l’acceptation de soi.


Kangouroo Girl est une super héroïne. Elle n’a ni le pouvoir de voler, ni celui de lancer des rayons laser. Mais bien celui d’aider des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants, à ­s’accepter comme elles sont, et de faire connaître le syndrome dont elle souffre: celui du grêle court. À cause de lui, elle possède un accessoire vital, une poche. Elle ne l’a pas choisi, mais il a fait d’elle la jeune femme courageuse et forte qu’elle est aujourd’hui. Derrière cette cape d’héroïne de la vie réelle, il y a Charlène, 25 ans, que rien ne ­destinait à endosser un tel costume.

Inflammation de l’intestin


24 décembre 2012. Charlène émerge de dix jours de coma, après ce qui aurait dû être une opération sérieuse, mais relativement bénigne, et qui a viré au cauchemar. Depuis ses 13 ans, elle souffre de rectocolite hémorragique chronique (RCH), une maladie ­inflammatoire de l’intestin, proche de la maladie de Crohn, qui provoque de fortes douleurs ainsi que des selles abondantes et des saignements. Durant cinq ans, Charlène consulte régulièrement un gastro-entérologue et teste tous les ­traitements possibles pour tenter d’endormir la maladie, mais aucun n’y parvient. À 18 ans, lors d’un nouvel examen, on constate que le côlon de Charlène est trop abîmé et que si on n’agit pas, elle risque de développer un cancer. Il faut enlever la partie ­malade. Nous sommes en novembre 2012. L’intervention est planifiée pour le mois suivant. Mais rien ne se déroule comme prévu.

Lors de l’opération, le chirurgien coupe la mauvaise artère, celle destinée à irriguer l’intestin grêle. Une erreur ­médicale aux conséquences graves, ­entraînant la nécrose de l’intestin. Les ­complications se succèdent et la jeune femme est plongée dans le coma durant dix jours, durant lesquels elle est réopérée à plusieurs reprises. On ignore même si elle va survivre…


Elle s’en sort in extremis. Charlène ne se rappelle rien des jours

qui suivent, excepté la souffrance, ­insoutenable. Elle est sous morphine pour limiter au maximum la douleur, alternant phases d’inconscience et hallucinations.

Corps meurtri


Lorsqu’enfin elle reprend conscience, Charlène découvre qu’elle n’a plus de côlon, plus d’appendice, de rectum et de vésicule biliaire. Des 7 mètres qui constituent l’intestin, il ne lui reste que 30 centimètres, situation que l’on nomme “syndrome du grêle court”. “J’étais terrifiée, je ne comprenais pas. Je n’arrivais plus à parler après avoir été intubée si longtemps et je n’avais même plus la force de lever le bras. Je me rappelle avoir regardé mes parents avec angoisse, en montrant du regard les fils et les perfusions, sans comprendre.” À l’origine, il était prévu qu’elle porte provisoirement une stomie: une poche posée sur l’abdomen permettant l’évacuation des selles. Elle devait la conserver trois mois, le temps de la cicatrisation. Mais à cause de cette erreur chirurgicale, elle devra la garder en ­permanence. Le chirurgien qui l’a opérée vient la voir chaque jour, lui expliquant en détail son état. Charlène réalise progressivement la gravité de sa situation. Elle reste hospitalisée un mois et doit réapprendre le moindre geste. S’asseoir, se lever, se doucher. Renouer avec ce corps meurtri.

Chaque acte de la vie quotidienne me demandait des efforts ­surhumains. Dire une phrase m’épuisait. Alors tous les jours, je me donnais un petit objectif. Marcher autour de mon lit. Tenir une brosse. Enfiler le bras d’un t-shirt en me faisant aider de ma mère ou mon père. Puis atteindre la salle de bains. Aller jusqu’à la porte jaune au bout du couloir de l’hôpital. Descendre à la cafétéria. Des petites victoires qui me faisaient plaisir et me permettaient de tenir.

Nouvelle vie


Mi-janvier, Charlène peut rentrer chez elle, dans une chambre équipée pour l’accueillir. C’est le début d’une nouvelle vie, rythmée par les visites, trois fois par jour, des infirmières. Et sous perfusion 24 h sur 24. Son syndrome implique qu’en plus de la stomie, elle doit être ­alimentée et hydratée par cathéter. Car son organisme ne conserve plus que 20 % de la nourriture qu’elle absorbe. Elle doit aussi ­apprendre à apprivoiser son nouveau corps. Au lieu des petites ­cicatrices qu’aurait dû laisser l’opération initiale, elle se retrouve avec une entaille du dessous de la poitrine jusque sous le nombril. “Quand on a 19 ans, c’est dur de se découvrir comme ça et de s’accepter. De se voir autrement que comme une poche, des cicatrices et un ­cathéter. J’étais en couple avec mon premier amoureux et c’était ­compliqué. Il devait m’accompagner aux toilettes, m’aider avec les pansements. Cela a été difficile de lui montrer mon ventre. Je me suis écroulée en larmes, j’avais peur qu’il ne m’aime plus. Mais il a été incroyable. Il m’a permis de comprendre que je n’étais pas mes cicatrices, mais toujours Charlène. Seulement plus forte. Dans ses yeux, je me voyais comme la plus belle fille au monde.”

Enchaînée 24 heures sur 24


Il faudra plus de six mois à Charlène pour terminer sa convalescence et retrouver une part d’indépendance. La perfusion à laquelle elle est reliée, en plus d’être handicapante, la force à demeurer confinée. Elle peut se déplacer chez elle, bouger ou cuisiner, mais pas sortir. Une situation intenable. “Je me sentais enchaînée. C’était comme mourir vraiment. Psychologiquement, c’était trop dur.” Elle insiste alors ­auprès de son médecin pour tenter de diminuer les périodes de ­perfusion. D’abord quelques heures, épisodiquement. Un changement qui se révèle rude pour son corps et provoque des malaises. Mais aussi la possibilité de s’échapper, ne serait-ce que quelques minutes. Des moments précieux, plus motivants que n’importe quel traitement. Charlène décide aussi rapidement de suivre une formation pour apprendre à effectuer elle-même ses soins. Un vrai retour vers l’autonomie qui change la vie. “Les infirmières étaient géniales (ce sont devenues des amies), mais j’étais ­dépendante de leurs horaires.

Depuis que je fais mes soins, je suis libre. Si je veux me perfuser un peu plus tard, je m’organise. Et pour la poche c’est pareil.

Retour à la liberté


À force de batailler, Charlène réussit à diminuer son temps de perfusion à 15 h sur 24. Mais il lui reste une lourde ­routine à suivre, dont des soins stériles à accomplir avec une blouse, des gants, une charlotte et un masque, dans une pièce fermée et propre. La voie centrale située sur sa poitrine et par laquelle est placé le cathéter arrive directement à son cœur. Tout risque de contamination microbienne doit absolument être évité. La stomie demande aussi des soins ­réguliers et nécessite d’être changée tous les jours et vidangée plus de 50 fois par jour. Mais durant ces heures où elle n’est pas perfusée, elle est libre. De profiter de ses amis, de sa famille, d’un verre en terrasse ou d’une après-midi

au soleil. Et d’être Kangouroo Girl.

Le regard des autres


“En sortant de l’hôpital, j’étais fragile, physiquement et psychologiquement. Tout me ­touchait, me blessait. J’ai énormément souffert du regard des autres. Je passais mon temps à expliquer aux gens ce que j’avais vécu, mais je me sentais tellement incomprise. Et il y avait les ­réactions maladroites, les ­réflexions déplacées qui font mal. ­Entendre: “c’est sale”. Voir les regards dégoûtés. Je me raccrochais aux vidéos et aux articles de blogs de jeunes femmes américaines qui affichaient leur stomie. C’étaient mes seuls exemples, mes seuls repères. Je me disais: ‘Waouh, qu’est-ce qu’elles sont belles, j’aimerais faire pareil’. Ici, on n’est pas aussi libérés, il y a trop de ­pudeur, trop de ­tabous. Un jour, je me suis demandé ce que j’attendais pour me lancer et j’ai foncé.” En juin 2018 naît Kangouroo Girl, sur Facebook et ­Instagram. Un personnage que Charlène porte en étendard, pour ­libérer la parole des milliers d’autres personnes qui vivent avec une stomie. Tous ceux et celles qui souffrent du syndrome du grêle court et qui le cachent par honte ou par gêne.

Pendant des années, je me suis habillée avec des vêtements amples pour me camoufler. Je me disais qu’il ne fallait surtout pas qu’on me voie, qu’on remarque que j’ai un cathéter et une poche. Quand on apercevait le pansement sur ma poitrine je prétendais que c’était un tatouage. J’avais peur. Je me suis longtemps tue. Avec Kangouroo Girl, j’ai décidé de m’ouvrir, de me libérer. De faire connaître au monde entier ce que je vis, malgré moi et qui peut arriver à n’importe qui.


J’étais à mille lieues d’imaginer les répercussions que cela aurait sur ma vie.”

Le chemin vers l’acceptation


“J’ai reçu des dizaines de milliers de messages d’amour. J’ai créé Kangouroo Girl en pensant que j’avais grandi et fini par accepter, mais quand j’ai reçu cette vague d’amour et de bienveillance, j’ai compris que non. Que ce sont mes abonnés qui ont fait la moitié du chemin pour que j’y arrive. Ce sont eux qui ont achevé mon acceptation pour moi. En me montrant et me disant que je n’avais pas à avoir honte ou à me cacher.” Charlène s’y consacre pleinement, répondant aux messages, réalisant des vidéos, partageant son vécu et ses états d’âme, et prônant l’acceptation de soi. “Énormément de femmes m’écrivent pour me remercier. Elles ne sont pas toutes atteintes du syndrome du grêle court. Certaines ont du mal à accepter et à apprivoiser leur nouveau corps, après une césarienne ou à cause d’une poche urinaire ou de cicatrices. Je fais mon possible pour les accompagner, répondre à leurs questions et les aider au mieux.” Charlène participe à de nombreuses émissions pour faire connaître le syndrome du grêle court et dédramatiser la stomie. “Il m’est déjà arrivé d’affirmer haut et fort en direct: ‘J’ai une poche à caca’. Je l’assume à 100 %. Je la customise d’ailleurs avec une ­couturière qui crée des housses pour elle. Ça fait partie de moi et me sauve la vie tous les jours. Sans ma poche, je ne serais plus là. C’est important que ce ne soit pas tabou.”

Puiser sa force dans la différence


Kangouroo Girl ne cache rien à ses abonnés. Elle parle de la fatigue très présente. De son hyperphagie, cette obligation de manger et boire énormément bien que l’organisme n’absorbe presque rien. Un ­symptôme direct du grêle court, qui la complexe beaucoup. “J’ai tout le temps faim et tout le temps soif. J’ingère à peu près 10.000 calories par jour. C’est énorme et je ne peux pas le contrôler. Si je ne mange pas, ce qui reste de mon intestin grêle s’atrophie, car il ne travaille pas.” Elle raconte les prises de sang tous les mois, les tests pour ­vérifier qu’elle ne présente pas de carences et que la perfusion ne détruit pas son foie, car à long terme, elle se révèle néfaste pour les organes. Les coups de blues aussi. “Par moments je craque, comme tout le monde. On ne se rend pas compte à quel point j’ai bataillé.

Si je suis si forte, c’est parce que j’ai ­énormément souffert. Il m’a fallu six ans pour me reconstruire et six ans, c’est long. J’ai passé des ­journées à m’enfermer et à pleurer. Kangouroo Girl m’a libérée. Je me suis sentie comprise. Pour la première fois j’ai ressenti ma différence comme quelque chose de bien.

Choisir la vie


Il y a pas de solution pour remédier au syndrome de Charlène. La greffe n’est pas possible, car l’opération présenterait trop de risques pour elle, notamment de rejet. Le chirurgien qui la suit espère beaucoup de l’imprimante 3D. Elle devrait ­permettre de récupérer un échantillon de ce qu’il reste de l’intestin de la jeune femme pour le recréer. Dans le futur… En attendant, Charlène investit dans la vie et dans le positif. Celui qu’elle apporte à ses abonnés, celui qu’elle vit avec ceux qu’elle aime. “Quand je vois comment j’étais en me réveillant du coma et comment je suis aujourd’hui, je me rends compte du ­chemin parcouru. Mon objectif est ­d’aider le plus de personnes possible, de me rendre dans les hôpitaux, de ­rassurer ceux qui ont une stomie et ceux qui viennent d’être opérés. Aller toujours plus loin et pourquoi pas, écrire un livre pour partager mon histoire et mon syndrome, qui a fait de moi celle que je suis aujourd’hui.”

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Le syndrome du grêle court


“Le syndrome du grêle court se définit comme l’incapacité pour ­l’intestin grêle de réabsorber l’ensemble des nutriments nécessaires à la survie de l’individu” explique le professeur Denis Franchimont,gastro-entérologue à l’hôpital Erasme. “Ce syndrome provoque une dénutrition progressive par un manque d’apport d’énergie ­suffisant, en sucres, graisses et protéines, mais aussi un manque de vitamines et d’oligo-éléments. D’où l’obligation de traiter le patient par nutrition parentérale, c’est-à-dire en lui donnant de la nourriture par une des veines centrales du corps. Ce qui nécessite d’être perfusé trois à sept jours par semaine, en fonction de la gravité. Il faut aussi savoir que le rôle de l’intestin grêle est de réabsorber l’eau et les ­secrétions digestives. Or la salive, l’œsophage et l’estomac en ­produisent 7 litres par jour. C’est énorme. Donc lorsque l’intestin grêle ne fait plus que 30  cm, comme dans le cas de Charlène, le patient perd une énorme quantité de liquide. Il faut dès lors également lui perfuser de grandes quantités de sérum physiologique pour maintenir une hydratation correcte.”

Le syndrome du grêle court est-il fréquent?

“Il est difficile, voire impossible de donner de statistiques exactes pour la Belgique, mais aujourd’hui, il y a bien moins de nouveaux ­patients souffrant d’un syndrome du grêle court qu’il y a quelques années, lorsque l’on peinait à soigner la maladie de Crohn. C’était une problématique courante. Aujourd’hui, il n’est plus que le résultat d’accidents, notamment de voiture, entraînant une nécrose de ­l’intestin grêle; de complications vasculaires comme une thrombose ou une rupture d’anévrisme de l’intestin et causant la mort de celui-ci; de maladies rares ou de complications médicales, comme dans le cas de Charlène. Par ailleurs tous ceux souffrant d’un syndrome de grêle court n’ont pas nécessairement une stomie. Cette solution n’intervient que lorsque les patients n’ont plus de côlon. Dans une majorité des cas, il ne faut pas retirer celui-ci et l’on peut alors le réaccorder à une autre partie de l’intestin grêle.”

Quel est l’impact psychologique chez les patients ayant un syndrome du grêle court et une stomie?

“On ne peut faire de comparaison dans le domaine de la souffrance, mais vivre avec un syndrome du grêle court revient presque à se retrouver paraplégique du jour au lendemain. C’est une tragédie que connaissent ces patients, mais qui leur permet aussi de continuer à vivre. En ayant toute leur existence chamboulée. Le processus ­d’acceptation de la maladie et de la nécessité d’être nourri par voie parentérale se fait petit à petit et est plus ou moins douloureux et long selon le profil psychologique de la personne. Dans le cas de la stomie, on touche à un problème majeur d’image corporelle. Par rapport à soi-même, mais aussi à ses rapports aux autres, à son compagnon ou sa compagne et d’autant plus pour ceux qui le vivent très jeunes.”

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