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Ioulia Navalnaïa
© KAI PFAFFENBACH/POOL/AFP via Getty Images

FAUT QU’ON PARLE: du courage sans faille de Ioulia Navalnaïa, l’épouse d’Alexeï Navalny

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Le vendredi 16 février dernier, l’administration pénitentiaire russe annonçait le décès d’Alexeï Navalny, principal opposant politique de Vladimir Poutine. Depuis, son épouse Ioulia Navalnaïa en deuil, fait preuve d’une force remarquable pour continuer son combat pour la liberté. 

Cela fait maintenant quatre jours qu’Alexeï Navalny est décédé selon l’annonce de l’administration pénitentiaire d’Arctique où il purgeait une peine de 19 ans de prison pour « extrémisme ». Pourtant à ce jour, aucune information officielle n’a été délivrée sur les causes de sa mort, ni sur l’endroit où se trouve son corps qui n’a toujours pas été remis à sa femme Ioulia Navalnaïa et sa famille. La mère de l’homme politique parcourt sans relâche les administrations russes afin que la dépouille de son fils lui soit restituée, en vain. Un communiqué du service fédéral de l’exécution des peines du district autonome de Iamalo-Nénetsie où se trouve la colonie pénitentiaire a déclaré : « Le prisonnier A.Navalny s’est senti mal après une promenade et a presque immédiatement perdu connaissance. » Il est ajouté que « toutes les mesures de réanimation nécessaires ont été prises, sans résultat. » Depuis, le porte-parole de Vladimir Poutine a affirmé que l’enquête sur la mort d’Alexeï Navalny était « en cours » et qu’elle n’avait pas permis d’aboutir à des conclusions « pour le moment ». La porte-parole d’Alexeï Navalny, Kira Iarmich, a quant à elle déclaré ce lundi 19 février : 

La cause du décès est toujours “indéterminée”. Ils mentent, jouent la montre et ne le cachent même pas.

En effet, les proches de l’opposant à Vladimir Poutine affirment que les autorités russes conservent le corps pour effacer des traces de poison qui aurait tué Alexeï Navalny. 

Une femme endeuillée mais debout 

Ce vendredi 16 février, lorsque l’annonce du décès d’Alexeï Navalny survient, Ioulia, son épouse, se rend à la Conférence de Munich sur la sécurité en Allemagne. Bouleversée par la nouvelle, qu’elle remet en doute, elle prend la parole sur scène comme prévu, mais commence son discours par ces mots : 

Je me suis demandée si je devais partir, puis je me suis dit qu’à ma place, Alexeï serait resté.

Elle poursuit en expliquant : « Car depuis des années, on sait qu’on ne peut pas croire Poutine. Mais si c’est vrai, alors je veux vous dire : qu’ils sachent qu’il n’y aura pas d’impunité. Ils seront sanctionnés et punis. Il faudra qu’ils soient tenus responsables. Ce jour arrivera bientôt. Je m’adresse à la communauté internationale : faisons bloc pour lutter contre ce fléau, contre ce régime. Poutine devra être personnellement tenu responsable des atrocités commises dans notre pays ces dernières années. »

Des mots puissants prononcés la tête haute et les larmes aux yeux. Ioulia Navalnaïa vient d’apprendre la pire chose qu’il peut arriver dans une vie, mais se tient debout devant la foule présente, qui lui fait une ovation. Debout, devant le monde, devant cette communauté internationale qu’elle exhorte à dénoncer ce qui est en train de se passer dans son pays. Debout, devant son peuple malgré la distance. Elle qui a toujours accompagné son mari dans chaque manifestation ou apparition publique, qui a partagé son engagement et sa bataille pour la liberté et la démocratie, continue de le faire par ces mots. 

Qui est Ioulia Navalnaïa? 

Ioulia Navalnaïa est née à Moscou en 1976 dans une famille de scientifiques. Économiste de formation, elle a travaillé dans une banque avant d’épouser Alexeï Navalny en 2000.

Ioulia Navalnaïa
© Jesse Grant/Getty Images

Ensemble, ils ont construit une vie de famille avec deux enfants Daria âgée de 23 ans et Zakhar âgé de 16 ans, mais aussi un mouvement politique en faisant de la lutte contre la corruption et l’injustice une priorité en Russie. Peu à peu, Alexeï Navalny a rassemblé de plus en plus de personnes autour de lui, devenant l’opposant principal à Vladimir Poutine et a même tenté de se présenter aux présidentielles de 2018. Ioulia Navalnaïa devient alors, « la première Dame de l’Opposition » pour de nombreux médias russes. Elle accompagne son mari dans ses diverses prises de parole, dans ses victoires, mais aussi dans les pires épreuves.

Un couple uni dans le combat

En 2020, lorsqu’Alexeï Navalny est victime d’empoisonnement au Novitchok, c’est Ioulia qui s’oppose au régime et exige que son mari quitte la Russie et soit soigné en Allemagne. Une fois là-bas, elle sera présente à ses côtés pendant sa convalescence, mais aussi pendant le tournage du documentaire « Navalny » qui a remporté l’Oscar du meilleur film documentaire en 2023. On y voit Alexeï Navalny menant l’enquête pour découvrir qui sont les responsables de cette tentative d’assassinat, et même avoir au téléphone l’un des tueurs engagés pour l’empoisonner qui explique de vive voix chaque détail de cette opération secrète qui a échoué. On y découvre surtout le quotidien d’une famille qui doit constamment se préparer au pire, et d’un couple qui malgré le danger choisit de ne pas abandonner ses partisans et de rentrer en Russie. Dans l’avion qui les ramène dans leur pays, Ioulia sait que son mari risque d’être emprisonné à la minute où il posera un pied sur la terre ferme et pourtant, elle déclare avec humour en parodiant un film russe sur une vidéo du documentaire : « Garçon, donnez-nous un whisky, nous rentrons à la maison. » 

Ioulia Navalnaïa
Lors d’une manifestation à Moscou en 2014. © Sasha Mordovets/Getty Images

Quelques heures plus tard, Alexeï est arrêté. En sortant du tribunal où il vient d’être condamné, quelques mois plus tard, il crie à la foule « N’ayez pas peur, n’ayez jamais peur ». Une phrase qui revient dans le discours actuel de sa compagne. Elle, qui s’est exprimée sans relâche pendant la détention de son mari. Lors de la cérémonie des Oscars de 2023, elle déclarait : 

Mon mari est en prison juste pour avoir dit la vérité. Mon mari est en prison simplement pour avoir défendu la démocratie. Alexeï, je rêve du jour où tu seras libre et où notre pays sera libre. Reste fort mon amour.

Après deux ans sans voir son mari, Ioulia sait désormais qu’elle ne le reverra plus jamais. Pourtant, loin de se lamenter, elle a décidé d’être forte et de lutter comme toujours.

« Je continuerai pour notre pays, avec vous »

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Dans un nouveau discours enregistré en vidéo et diffusé ce lundi 19 février, Ioulia Navalnaïa pointe clairement du doigt le chef du Kremlin qu’elle accuse d’être responsable de la mort d’Alexeï Navalny : « Je n’aurais pas dû me trouver à cette place. Je n’aurais pas dû enregistrer cette vidéo. Cette place est celle d’un autre. Mais cet homme a été tué par Vladimir Poutine. Poutine a tué mon mari. Poutine a tué le père de mes enfants. Elle ajoute : 

Et, avec lui, Poutine a voulu tuer notre espoir, notre liberté, notre futur.

Dans cette vidéo relayée par les médias de tous les pays, elle s’engage à poursuivre le combat politique de son défunt mari : « Je vais poursuivre le travail d’Alexeï Navalny, je vais continuer à me battre pour notre pays. » Toujours les larmes aux yeux, mais la voix assurée, elle regarde la caméra et déclame : 

Poutine m’a tuée à moitié, mais il me reste une moitié qui me dit que je n’ai pas le droit d’abandonner.

Avec une force remarquable, Ioulia Navalnaïa choisit d’endosser ce rôle difficile afin que la cause pour laquelle son mari s’est battu sans relâche, ne meure pas avec lui. Elle conclut : “Je continuerai pour notre pays, avec vous. Et je vous appelle tous à vous tenir près de moi. » Comme le faisait Alexeï Navalny devant le tribunal qui l’avait condamné, elle a appelé le monde à ne pas avoir peur.

Ce n’est pas une honte de faire peu, c’est une honte de ne rien faire, c’est une honte de se laisser effrayer.

Ioulia Navalnaïa n’est donc plus « la Première Dame de l’Opposition », elle est désormais « la femme qui s’oppose à Poutine », un symbole d’autant plus fort dans un pays encore extrêmement patriarcal. 

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