Gen F

En rejoignant la communauté, vous recevez un accès exclusif à tous nos articles, pourrez partager votre témoignage et…
© Neemias Seara - Pexels

TÉMOIGNAGES: elles racontent comment les épreuves les ont rendues plus fortes

La rédaction

Tôt ou tard dans la vie, vous devez faire face à des obstacles, des défis, des revers. Et la manière dont vous y ferez face en déterminera souvent l’issue. Loubna et Daphné ont tourné des situations difficiles à leur avantage, ce qui les a rendues plus fortes.

Loubna, 29 ans, lutte contre le cliché selon lequel les filles voilées sont opprimées ou ne peuvent pas être ambitieuses. En tant que chercheuse et journaliste, elle veut donner une voix aux femmes en zones de conflits.


« J’ai grandi dans un environnement ­marocain traditionnel. Je ne dis pas ­‘famille’, parce que dans notre culture, cela va bien plus loin : les tantes, les oncles, la communauté… Il y a une ­certaine pression de bien faire de leur part. Tout le monde observe tout ce que vous faites et pense mieux savoir (rires). Dans cet environnement, j’ai ­assisté à l’inégalité depuis mon plus jeune âge. Il était ­normal pour les jeunes hommes de tracer leur route, pas pour les filles. Ils faisaient ce qu’ils voulaient, pour nous, les règles étaient plus strictes. Cela ne correspondait pas à ma vision des choses, qui est qu’hommes et femmes doivent être égaux. Je me suis donc rebellée. Poliment, mais je posais les questions qui fâchent. J’ai toujours été une enfant ­curieuse, qui remettait les choses en question.

« Les » musulmans


En secondaire, il y avait un prof qui me posait toujours des questions sur l’islam, à moi qui étais la seule musulmane de la classe. Il me disait des choses du genre : ‘L’islam et les sciences, ça ne va pas ensemble, hein Loubna ?’, devant tout le monde. Ou encore : ‘Chez vous, les hommes et les femmes ne sont pas égaux, hein ?’ Ça fait quelque chose, à l’adolescence, d’être étiquetée de la sorte. Je ne savais pas quoi répondre. J’avais 16 ans. Cela m’a poussée à ­étudier ce que signifie être musulman aujourd’hui. D’où venait cette inégalité hommes/femmes ? J’ai ainsi suivi des études d’Arabe et d’Islamologie, même si je savais dès mon plus jeune âge que je voulais devenir journaliste. Mais comment ? J’étais une fille voilée, sans mentor, sans ­réseau. La première de la famille à faire des études.

Flexible, créative et positive


À la maison, la télé était souvent allumée sur la chaîne Al Jazeera. J’y voyais la présentatrice des nouvelles, ­Khadija Benguenna, une femme avec un foulard. Qui était ambitieuse, passait à la télé et avait des hommes qui ­travaillaient pour elle. C’était nouveau pour moi. Elle est devenue mon inspiration, elle m’a montré que mon rêve n’était pas impossible.

Le stéréotype de la femme voilée existe aussi bien au Maroc qu’en Belgique. Elle est passive, plutôt en retrait, se marie jeune n’est bonne qu’à ­cuisiner ou s’occuper des enfants. Ou bien, elle est opprimée par les hommes qui l’entourent.


­J’aurais pu me résigner à cette image, comme beaucoup d’amies qui n’ont plus réfléchi à ce qu’elles ­voulaient vraiment. D’autres renonçaient d’avance à leurs ambitions : ‘Pourquoi étudier ? De toute manière, nous ­n’obtiendrons pas un bon job.’ Mais je ne voulais pas penser comme ça. Car alors, ça devient une prophétie autoréalisatrice. Je suis reconnaissante envers mes ­parents, qui m’ont ­encouragée à étudier et étaient derrière moi. Je sais que d’autres sont venus vers eux, leur dire : ‘Vraiment, tu vas envoyer Loubna à ­l’université ?’ Mais ils s’en fichaient. Moi-même, je suis une fonceuse. Je me concentre sur le positif. Ce n’est pas ­toujours le chemin le plus évident, vous ­rencontrerez des obstacles, mais ils ne vous rendent que plus fort. Il peut toujours y avoir quelque chose qui ne se passe pas comme prévu. Regardez le Coronavirus. Rester flexible et créatif dans ce genre de situation est une force. Et ça, on ­l’apprend si on a déjà dû se débrouiller dans la vie. ­Contrairement à certaines filles, j’insiste toujours sur l’importance de l’éducation et de l’indépendance ­économique : un diplôme dans la main droite est plus ­important qu’une bague à la main gauche (rires). J’ai ­persévéré et il y a deux ans, j’ai eu la chance de rejoindre une rédaction dans la section monde : le job de mes rêves.

Un compromis entre l’Est et l’Ouest


L’oppression est toujours très présente dans le monde arabe, les racines du patriarcat y sont solides. Qu’en 2020, les femmes soient encore obligées de se couvrir de la tête aux pieds est effrayant. L’an dernier, une fille en ­Palestine a été assassinée par ses frères parce qu’ils ­trouvaient ­honteux qu’elle soit apparue sur une photo Snapchat avec son copain avant leur mariage. Meurtre d’honneur. Ici ­aussi, la pression sociale est bien présente. Je ne dis pas que toutes les femmes voilées sont des esprits libres, mais je trouve ridicule que quelqu’un me dise que je n’ai pas le droit de porter le foulard. J’ai lutté contre cette idée, en tant que féministe, mais je ne le porte pas pour me couvrir face au désir masculin. Je veux montrer qu’on peut être forte et indépendante tout en portant le voile. Je le porte à ma manière, avec mes cheveux visibles: un compromis entre l’Est et l’Ouest, entre la tradition de mes racines et le monde dans lequel je vis. J’ai des remarques des deux côtés, mais c’est mon travail d’apporter de la nuance.»

Daphné, 34 ans, a vécu une adolescence chahutée, mais elle a ­canalisé sa rébellion en créant son propre club de boxe, Boxing Woest. Leur slogan ? « We beat the crap out of your body. »


« J’ai toujours été une enfant sportive. À 6 ans, j’ai commencé le judo, à 10 ans, j’ai fait une chute sur le tatami et j’ai failli me briser le cou. Quelques années plus tard, en pleine puberté, j’ai rejoint un club de boxe, à la recherche d’une façon ­d’apprivoiser l’adolescente sauvage que j’étais. J’ai eu le coup de foudre ­instantanément : cette énergie brute, la sueur aigre des hommes (rires). C’était sans doute aussi une façon de dire que j’étais spéciale, mais mon amour pour la boxe ­thaïlandaise était bien réel.

J’ai tout de suite su que je ferais des matchs de boxe. Au bout d’une semaine, j’étais couverte de bleus, mais je m’en ­fichais. Je n’allais pas plier. L’entraînement m’a donné un but, une structure, de la discipline.


Je me laissais ­complètement aller, j’étais hors du monde pendant un moment. Quand vous boxez, vous n’avez pas une seule seconde pour ­penser à vos soucis quotidiens. J’ai aussi fait connaissance avec des adultes (avocats, mécaniciens…) qui me ­prenaient sous leur aile. Un nouveau monde s’est ouvert à moi. La boxe a canalisé en moi des années de frustrations insaisissables et m’a aidée à les gérer. Je me sentais mieux dans ma peau.

Cage dorée


J’ai été une enfant très sage, et une ado rebelle. Agitée, curieuse, oiseau de nuit. Quand il s’agissait de braver les interdits, j’étais de la partie. J’ai séché l’école, découvert les sorties, je faisais la fête tous les week-ends. Je sentais bien que je n’étais pas sur la bonne voie, mais je ne savais pas quoi faire de moi. Quand je ne pouvais pas faire quelque chose, je résistais et j’ouvrais ma grande gueule. À l’école, j’étais en option latin-math, mais j’étais plutôt celle qui perturbait la classe. Un jour, un professeur m’a dit que je n’arriverais à rien dans la vie. Qu’on parlerait de moi aux nouvelles, mais pas d’une bonne manière. Je trouve toujours aussi dingue que cet homme ait pu dire de telles choses, pour quelques frasques innocentes d’ado. Oui j’étais rebelle, mais je restais respectueuse. Cette ­remarque a été la goutte d’eau pour l’adolescente instable que j’étais. J’ai pris mes responsabilités – je passais ­toujours mes examens – mais pour le reste, je ne ­supportais plus l’autorité. J’ai eu pas mal de difficultés pendant longtemps, jusqu’à la vingtaine.

La rencontre qui a tout changé


Les choses ont changé lorsque j’ai rencontré mon mari (le boxeur Junior Bauwens, ndlr). On a beaucoup écrit à son sujet, mais je suis sûre d’une chose : il n’y a personne d’aussi authentique que Junior. Il est complètement différent de ce que les gens pensent de lui. Le rencontrer m’a aidée à me rapprocher de ce que je ­ressentais ou voulais vraiment, loin des petites voix dans ma tête, qui sont ­principalement guidées par ce que la ­société ou mes parents attendent de moi. Aux yeux de certains, j’avais tout : un ­diplôme universitaire, la sécurité, un bon job au tribunal de la jeunesse où j’étais sur le point d’être nommée. Je devais me contenter de ce que j’avais. Mais au fond, j’étais déprimée : allais-je rester là pour le restant de mes jours ? Dans cette cage dorée, je n’avais pas de place pour ce qui me rendait vraiment ­heureuse : la nourriture saine, le sport, la créativité, les défis.

Trouver ma place


Donner ma démission pour lancer mon propre club de boxe avec Junior a tout changé, en dépit des ­commentaires. J’étais prête, j’avais fait mes recherches. Que pouvait-il arriver, au pire ? Je me le demande à chaque étape où nous avançons. Si ce n’est pas perdre le toit au-dessus de nos têtes, alors je me lance. Et ne me dites pas de me calmer. Mon énergie, ma présence, le fait d’être bruyante et pas comme tout le monde, ce sont des forces, pas des faiblesses. Et ce que l’on fait –  donner des cours de boxe en petits groupes pour chaque niveau – fonctionne. Nous comptons maintenant plus de 600 membres et cherchons de nouveaux locaux pour nous développer.

Jusqu’à maintenant, tout ce que j’ai fait en suivant mon intuition a marché. Parfois avec des ­obstacles ou des chutes, mais je me relève à chaque fois.


Si je regrette ce parcours difficile ? Non. Je suis juste triste de n’avoir pas passé assez de temps avec mes parents ces dernières années, et désolée de leur avoir causé beaucoup d’inquiétude. Ils sont fiers de moi maintenant, heureusement. Ils voient bien que j’ai trouvé ma place. Ce que j’aimerais vraiment faire, c’est envoyer un e-mail à ce fameux professeur avec cet article. En objet du mail : ‘Vous voyez comment ça s’est terminé ?’ Avec un doigt d’honneur, en accord avec mon caractère (rires). Malheureusement, je ne me souviens pas de son nom. »

À lire aussi:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Nos Partenaires