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TÉMOIGNAGE: Nina, 28 ans, est intersexe

La rédaction

Nina, 28 ans, est intersexe: elle est née avec des caractéristiques sexuelles féminines et masculines. Son corps ne répond ni à la définition standard d’un homme ni à celle d’une femme.

Spontanée et amusante, Nina est une nana comme tant d’autres. Ou presque… Si elle est née avec l’apparence physique d’une femme, elle n’avait, à la naissance, pas d’utérus, d’ovaires ni de trompes de Fallope. En cause? Le SICA, ou ­syndrome d’insensibilité aux ­androgènes. Ça signifie que Nina a des chromosomes XY masculins à la place des chromosomes XX féminins, mais que son corps est insensible aux ­hormones masculines. Elle s’est donc toujours identifiée au genre féminin. Nina a parcouru un long chemin pour devenir la jeune femme joyeuse et libre qu’elle est aujourd’hui. Parce qu’elle est qui elle est. Et qu’elle le reste… ­Malgré, mais aussi grâce au SICA.

Félicitations, c’est une fille !

« Avant ma naissance, mes parents ­savaient que je serais une fille. Le plus surprenant pour eux n’a donc pas été la révélation de mon sexe, mais le fait que j’arrive six semaines plus tôt que prévu. À cause de cette naissance prématurée, une série de tests standards ont été effectués et ont révélé que je n’avais ni utérus ni ovaires. À l’époque, cette nouvelle a déstabilisé les médecins; personne ne savait comment c’était possible et ce que ça impliquait. On a dit à mes parents que j’étais bien une fille, mais que j’étais en quelque sorte incomplète. À l’extérieur, j’étais 100 % fille. À l’intérieur, c’était plus compliqué: il y avait des testicules dans ma paroi abdominale, mais j’ai été opérée ­immédiatement pour les extraire, de peur qu’ils ne deviennent malins. Pour mes parents, c’était clair: j’étais une fille et j’ai été élevée comme telle. Après quelques années et plusieurs examens, le SICA a finalement été diagnostiqué.

Enfant, je ne savais pas vraiment ce qui se passait. C’était trop compliqué de m’expliquer et de m’imposer cette ­réalité quand j’étais petite. Je savais seulement que j’étais différente des autres enfants.

Je le sentais, notamment parce que j’allais beaucoup plus souvent qu’eux chez le médecin. C’était nécessaire, car j’avais des douleurs de croissance et qu’il fallait surveiller le développement de mes os, notamment. Cela dit, j’étais une enfant bien dans sa tête. J’avais des copains et je m’amusais bien à l’école primaire, mais je ne m’intégrais pas toujours aussi ­facilement que les autres. J’y ai ­beaucoup pensé tout au long de ma vie. Et mes parents ont aussi confirmé ce que j’avais moi-même remarqué: tout le monde n’était pas pareil. Cette notion de diversité s’est ancrée en moi dès mon plus jeune âge, comme pour me préparer au futur.

L’impact de la maladie

J’avais 12 ans quand mes parents ont finalement mis le sujet sur le table. Je ne pourrais jamais avoir d’enfants: ils ont été très clairs à ce sujet, même si ça a été extrêmement difficile pour eux de me l’annoncer. Ça a été un coup dur, car j’étais folle des tout-petits. Je le suis toujours, d’ailleurs. Quand je repense à ce moment, j’ai toujours un pincement au cœur. Pourtant, à l’époque, mes ­parents ont ressenti une forme ­d’approbation et d’acceptation de ma part. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à réfléchir à l’impact réel de cette maladie sur ma vie, à ce qu’elle impliquait pour moi. Il n’y avait pas ­vraiment de solution. Les médecins ne pouvaient pas soudainement faire apparaître un utérus et des ovaires dans mon corps. Pour réguler mon taux d’hormones, je devais prendre un ­médicament tous les jours. Mes parents disent que j’ai été une ado facile, mais que ça se voyait directement quand j’oubliais de prendre mon traitement. J’avais de grosses fringales, je me ­fatiguais plus vite ou j’étais plus ­stressée que d’habitude. Toute cette histoire me trottait dans la tête en mode repeat, encore plus en ­grandissant. En secondaires, je me ­sentais vraiment différente des autres. Toutes les filles ont eu leurs règles, sont tombées amoureuses pour la première fois ou ont commencé à explorer leur sexualité. J’avais l’impression que je ne m’intégrerais jamais. Quand les ­conversations tournaient autour de ce genre de sujets, je me ­réfugiais dans ma bulle. Je ne voulais pas les écouter.

XX, XY, mais encore

Au début, mes parents m’ont conseillé de faire attention à qui j’en parlais. Ils ont dit qu’il valait mieux que je me taise, comme on leur avait conseillé de le faire à l’hôpital. Parce que si les gens savaient, ils pourraient rapidement se faire une certaine image de moi. Les préjugés ont la vie dure. Et le monde entier est clivé en deux : d’un côté les hommes, de l’autre les femmes. Mais moi, je me situe où là-dedans? Même en cours de biologie, on a étudié de long en large ces chromosomes, XX et XY. Je savais que ça ne se limitait pas à ça, que ça pouvait être différent, mais j’étais bien la seule. Et ça me rendait profondément triste. Vers 15 ans, j’ai finalement ressenti le besoin de ­partager mon histoire avec mes amis les plus proches, en qui j’avais toute confiance. J’avais envie de me libérer de ce fardeau que je portais sans cesse sur mes épaules, surtout dans les ­moments où tout le monde autour ­respirait le bonheur alors que je ­m’enfermais dans ma bulle.

Ce fardeau était devenu trop lourd pour moi. Je me suis aussi rendu compte que j’avais plus peur que honte: peur de faire le premier pas vers les gens et peur de perdre mes proches.

Et précisément parce qu’on m’avait toujours dit de ne pas en parler, j’ai décidé de le faire. Je suis comme je suis, pas vrai? Les personnes à qui je me suis confiée n’ont même pas ­compris pourquoi c’était tabou. Elles ­ont apprécié que je leur dise, mais elles n’ont pas changé leur façon de me ­traiter, elles ne m’ont pas regardée différemment. Elles ont même essayé de me faire relativiser en pointant du doigt les avantages de ma situation: je n’avais pas une pilosité très développée sur le corps et je n’avais pas à subir mes règles tous les mois! Elles ont tenté d’en faire quelque chose de positif, de ­manière un peu maladroite… mais je ne leur en veux pas. Et je ne reproche pas non plus à mes parents d’avoir fait ce qu’on leur avait conseillé. Ils trouvaient toujours des excuses quand ils devaient m’emmener à l’hôpital pour des ­examens, parce qu’ils avaient du mal à assumer la vérité. Les médecins leur avaient dit de faire attention à ce qu’ils racontaient. C’est pour ça qu’ils ont souvent transformé la vérité, quand on allait consulter un docteur pour mes douleurs de croissance. Je pense qu’ils voulaient m’épargner et que je leur ai inconsciemment rendu la pareille en n’en parlant pas trop non plus. Quand j’avais des coups de mou, je m’enfermais dans ma chambre et ­j’attendais que ça passe. Je me ­débrouillais. Ça ne fait que quelques mois qu’ils parlent ouvertement de mon syndrome et j’espère que ça les soulage eux aussi.

SICA et vie amoureuse

La première fois que j’en ai parlé à un garçon, ça a été une autre histoire…
À l’école primaire, je suis tombée ­amoureuse sans me déclarer. C’est à 16 ans que j’ai eu ma vraie ­première amourette. Et quand c’est allé plus loin, sur le plan sexuel, j’y ai mis fin. J’avais peur qu’il remarque quelque chose, qu’il me trouve bizarre. Cette idée me terrorisait. J’ai ­longtemps hésité à avoir des relations sexuelles, car j’avais peur de mal faire les choses. Et quand j’étais sincère et que ­j’annonçais au garçon que j’étais ­porteuse du SICA, c’était lui qui fuyait.

Je cherchais sans doute une confirmation de l’amour qu’on me portait, je voulais ­savoir si le garçon m’aimait sans ­condition. Je m’étais ­aussi persuadée que les gens ­pouvaient voir en moi quelque chose de spécial et que mes petits copains le ressentiraient eux ­aussi.

Encore une fois, j’ai rendu tout ça beaucoup plus compliqué que ça ne l’était réellement, et je me suis bloquée, en m’empêchant d’avoir une vie ­amoureuse épanouie. J’ai dû faireun gros travail sur moi pour ­surmonter ça. Je n’ai pas de souvenirs heureux de mes nombreux séjours à l’hôpital, mais j’étais soulagée de pouvoir compter sur une équipe de professionnels. À 18 ans, on m’a fait une ­endoscopie gynécologique pour voir si mon vagin était assez profond. Il s’est avéré qu’il l’était et ça a été un gros soulagement, car ce n’est pas le cas pour toutes les personnes ­intersexes. Je n’ai jamais demandé de soutien psychologique à travers toutes ces épreuves, en partie parce que je ne voulais pas leur donner trop ­d’importance, ni les rendre trop réelles. Je suis toujours restée optimiste, c’est dans ma nature de voir le positif dans tout. Sans pluie, on n’a pas d’arc-en-ciel. Et vice versa. Il y a eu beaucoup de ­moments où je me suis sentie seule et où j’ai pleuré. Mais ça m’a rendue plus forte d’une certaine façon. Avec le temps, j’ai réalisé que j’étais plus ­paisible quand je savais exactement ce qui se passait dans mon corps. J’en avais besoin pour continuer. Et maintenant, je sais à quel point je suis ­persévérante.

Sharing = caring

Ça a été un immense soulagement de rencontrer des compagnons ­d’infortune. Mes parents étaient membres d’une association de ­personnes souffrant de variations du développement sexuel (VDS) depuis un moment déjà et j’ai décidé de les rejoindre quand j’avais 15 ans. En un rien de temps, j’ai fait la connaissance de personnes comme moi, en qui je me reconnaissais. Des filles dont je pouvais finir les phrases et elles les miennes. Qui ne me regardaient pas bizarrement quand je me plaignais de pas avoir mes règles. Ces rencontres ont été cruciales pour moi. Je me suis aussi rendu compte qu’il existait de nombreuses variations à l’intersexuation: une ­personne peut, par exemple, ne pas avoir d’utérus, mais des testicules et un appareil génital féminin externe. Être porteur du SICA peut aussi impliquer que le sexe aient à la fois l’apparence d’un vagin et d’un pénis. Mais malgré ces différentes ­variations, on se ­comprenait et on se reconnaissait dans les histoires les uns des autres. C’était réconfortant de parler de ma situation avec des jeunes qui comprenaient, se posaient les mêmes questions que moi, avaient les mêmes doutes… Il en allait de même pour mes parents. Entre-temps, je me suis davantage impliquée dans cette association. J’y occupe un poste au conseil d’administration en tant que représentante des jeunes.

Aider les jeunes dans le même cas

Ça me fait beaucoup de bien d’être ­engagée dans ce domaine, je considère même que ça fait partie de mon ­processus d’adaptation. Je suis plus âgée aujourd’hui, mais je me reconnais encore dans les jeunes qui viennent pour la première fois. En me basant sur mon expérience, je leur conseille de parler de leur différence autour d’eux. À un ami, un voisin, leurs parents… Ou, si nécessaire, avec un médecin. J’ai opté pour le silence pendant ­longtemps, je gardais tout pour moi. J’avais du mal à accepter le fait que d’autres personnes, même des ­professionnels, puissent décider ce que je devais faire, comment je devais vivre. Je ne voulais pas perdre le contrôle de ma propre vie, je voulais fixer mes propres limites. Dans mon cas, par exemple, les docteurs ont décidé de m’enlever les testicules à la naissance. Je n’ai pas eu de complications par la suite, ni au ­niveau physique ni au ­niveau psychologique. Mais pour d’autres, ce genre de décision peut être décisif et donner l’impression que le choix ne leur appartient pas. Alors que chacun devrait ­pouvoir décider de la marche à suivre.­

Bien comme je suis

Je me suis plusieurs fois demandé ‘et si…’ Et si mes testicules étaient toujours là, par exemple. Est-ce que ça aurait changé mon développement pendant l’enfance? Mais je sais que ces ­questions ne résolvent rien. Je suis une femme avec des chromosomes XY qui produisent de la testostérone au lieu des chromosomes XX qui produisent des œstrogènes. Mon corps est ­insensible aux hormones mâles, qui sont en réalité produites par les hommes et les femmes. Les femmes qui produisent trop d’hormones ­masculines souffrent d’une pilosité ­excessive et d’une voix rauque. Mais même ­lorsqu’elles en produisent en petite quantité, cela affecte leur corps. Ces hormones influencent par exemple la couleur et la forme des mamelons, augmentent la pilosité des ­aisselles et du pubis, sont responsables de l’acné et agissent aussi sur l’odeur de la transpiration. Les femmes atteintes d’hyperandrogénie présentent souvent une telle ­insensibilité qu’elles ne ‘souffrent’ de rien de tout ça.

Une fois que j’ai eu conscience de ça, je me suis demandé si j’étais vraiment censée être une femme. Avec mes testicules et mes hormones, ça n’aurait pas eu plus de sens que je sois un homme?

Je n’avais jamais été une petite fille modèle. Je ne portais pas de robes. Et j’aimais ­grimper aux arbres. Avec du recul, j’avais des doutes. J’étais différente, c’était une vérité. Et j’ai dû apprendre à m’aimer comme ça. Quand je me regarde dans un miroir aujourd’hui, je vois une belle femme. Avec ses ­incertitudes, bien sûr, mais ça fait partie des attributs féminins, non?  Je vis bien et je ne pense pas que les médecins aient pris une mauvaise décision à l’époque. Ils ont fait ce qui leur semblait le plus juste, avec les éléments en leur possession. Aujourd’hui, je me débats surtout avec le fait que je ne peux pas avoir d’enfants. Ça restera une grande source de souffrance. Pour le reste, je me considère chanceuse. Je suis une femme, c’est très clair pour moi. Un enfant peut développer une identité de genre qui ne correspond pas au sexe qui lui a été assigné, et c’est très bien comme ça.»

L’intersexuation en détail

Les variations du développement sexuel, comme le SICA, relèvent de l’intersexuation. Ce terme fait ­référence aux situations de ­personnes nées avec un corps qui ne correspond pas entièrement à la définition standard d’un homme ou d’une femme. L’intersexuation n’est pas quelque chose que vous « êtes », mais quelque chose que vous « avez ». Chaque jour, en Belgique, environ 5 bébés naissent avec une variation du développement sexuel. En général, les variations sont bénignes, mais elles ont aussi
parfois des conséquences (graves) sur la santé de l’enfant.

Comment découvre-t-on l’intersexuation?
Il existe différentes façons de ­diagnostiquer ces variations. Elles sont parfois visibles à la naissance, ou, dans d’autres cas, découvertes lors d’un dépistage prénatal ou d’examens médicaux, comme une échographie abdominale, une ­intervention chirurgicale ou une puberté qui se déroule ­différemment de celle des autres jeunes. L’absence de menstruations et ­certaines hernies sont également des signes qui peuvent alerter.

Que faire si votre enfant est intersexe?
Il est important d’ouvrir le dialogue avec votre enfant, de manière adaptée en fonction de son âge. La plupart des gens ne connaissent pas grand-chose à l’intersexuation. Vous devrez donc trouver des moyens d’aborder le sujet et ­d’informer les gens de la situation de votre enfant, par exemple le personnel de l’école, pour éviter que votre enfant ne soit victime de ­harcèlement. Vous serez, en tant que parents, confrontés à un ­certain nombre de choix, tels que l’autorisation d’une intervention chirurgicale irréversible et d’autres procédures médicales. Prenez le temps de peser le pour et le contre.

Faut-il élever un·e enfant intersexe comme une fille ou un garçon?
On recommande souvent d’élever son enfant comme l’un ou l’autre genre, car la société est encore structurée de cette façon. Il faut néanmoins tenir compte du fait qu’un enfant peut développer une identité de genre qui ne correspond pas à son sexe de ­naissance. Et ce n’est pas grave: il s’agit simplement d’un enfant qui s’affirme et exprime sa ­personnalité individuelle quand il est ­assez grand pour le faire. Faire de l’intersexuation un secret n’est ­jamais bénéfique. On vous conseille de regarder le film Ni d’Ève, ni d’Adam qui traite du sujet.

Doit-on inscrire un·e enfant intersexe comme M ou F à la commune?
En Belgique, toute naissance doit être déclarée à la commune dans les 15 jours qui suivent la naissance. L’officier de l’état civil établit l’acte de naissance et indique, entre autres, le sexe du bébé. Si le sexe n’est pas clair, les parents peuvent passer la question et y apporter une réponse dans un délai ­maximum de 3 mois (sous réserve d’une justification médicale). ­L’option de sexe neutre ‘n’ n’est pas encore possible chez nous.

Plus d’infos
L’asbl Genres Pluriels se mobilise pour la visibilité des personnes aux genres fluides, trans et intersexes. C’est à la fois une structure d’accueil et de soutien pour ce public et son entourage, et une plateforme d’information, de vigilance et de recherche.

D’autres témoignages:

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