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© David Thomaz @ Unsplash

Témoignage: ““Mes parents ont choisi l’homme que j’allais épouser””

Barbara Wesoly

Se marier délibérément avec un inconnu: cela semble improbable. Pourtant, il existe dans notre pays des femmes qui s’épanouissent dans un mariage que leurs proches ont arrangé pour elles. Dil Nasheen, 32 ans, a des origines pakistanaises. Il y a sept ans, elle s’est mariée avec Khurram, après l’avoir vu une fois seulement. Ils ont une fille de 2 ans et demi.


“Je suis née et j’ai grandi en Belgique. Mes parents sont originaires du Pakistan, ils ont déménagé à Coxyde, après leur mariage arrangé et y ont ouvert un magasin de vêtements. Ce sont des gens plutôt modernes, ils se sont vite adaptés au mode de vie belge, même si la religion a toujours tenu une place primordiale dans leur quotidien.

Mon frère, ma sœur et moi avons été élevés selon la culture pakistanaise et le mariage arrangé en fait partie. Déjà toute jeune, je savais que j’y serais confrontée, ce qui ne m’a pas empêchée de profiter de la vie.


Mes parents ne m’ont pourtant jamais poussée dans cette direction, ils ne m’ont jamais parlé d’un mariage scellé d’avance. Je sais avec certitude qu’ils auraient accepté que je rencontre un musulman de mon côté, sans leur intervention, mais là où j’habite, les possibilités sont rares.

Recherche âme sœur


À 25 ans, j’étais toujours célibataire et je vivais dans la maison familiale. Je suis allée au Pakistan avec mes parents pour rendre visite à ma famille élargie. Comme d’habitude, nous sommes allés saluer une amie d’école de ma mère. Je ne la connaissais pas bien. Je savais qu’elle avait des enfants avec qui j’avais joué, petite, mais à quoi ils ressemblaient, je n’en avais plus aucune idée. À mon retour en Belgique, mon père m’a expliqué que l’amie en question avait un fils de 29 ans qui vivait au Royaume-Uni depuis quatre ans et qui était célibataire, comme moi.

Deux propositions de mariage


Papa m’a demandé si ça m’intéressait de rencontrer Khurram. Au début, cela ne me disait rien, car au Pakistan, j’avais rencontré deux autres familles qui pensaient me faire épouser l’un de leur fils. Deux propositions de mariage avaient suivi, mais je les ai refusées, car je ne me sentais pas attirée physiquement par ces hommes, ce qui est pourtant essentiel lors d’une première rencontre. Je me disais que je perdrais mon temps avec cette nouvelle rencontre… mais quand j’ai vu une photo de Khurram, il m’a immédiatement attirée. J’avais déjà  eu plusieurs amoureux et je savais que je ne voulais pas d’un homme de petite taille comme conjoint potentiel. Je souhaitais une personne qui me corresponde physiquement et c’était le cas de Khurram.

Des échanges très naturels


Khurram et moi avons échangé nos coordonnés et avons commencé à discuter. Ces discussions étaient très légères au début. Il ne me posait pas de questions sur ma manière d’envisager l’avenir, le nombre d’enfants que je voulais ou la façon dont nous les élèverions (rires). Nous avons juste parlé de manière très décontractée de nos quotidiens à tous les deux. Je n’ai jamais eu le sentiment que nos conversations étaient forcées. On suivait juste notre feeling. Certains jours, on se parlait 20 minutes et d’autres, cela durait des heures. Après trois mois de conversation intensive, nous avons décidé de nous rencontrer. On s’est vus dans un restaurant à Londres, en présence de mes parents, de mon frère et de ma belle-sœur.

 

Ce n’était pas un coup de foudre, bien que j’aie été attirée par Khurram. Il faisait preuve d’un grand respect pour ma famille et j’aimais sa façon de parler, très polie.


Ce fut l’un des jours les plus stressants de ma vie, ce qui m’a confirmé que j’étais bien intéressée par lui. Mais ça n’a pas dû lui sauter aux yeux, car j’ai à peine ouvert la bouche. J’étais mal à l’aise et j’en avais de la peine pour Khurram. J’avais ma famille à mes côtés, alors que lui était tout seul. C’était gênant, même si j’ai clôturé la soirée avec un sentiment positif. Khurram aussi apparemment, car il m’a envoyé un message à peine dix minutes après qu’on se soit dit au revoir: ‘Je ne sais pas ce que tu ressens, mais pour moi, c’est un oui.’ J’ai rapidement partagé la nouvelle avec ma famille, car leur avis m’importait. Il y a eu un long silence, jusqu’à ce que je demande à papa ce qu’il pensait de ce jeune homme. Il s’est mis à rire et m’a dit qu’il était d’accord! Mon frère a également hoché la tête. J’avais leur bénédiction.

C’est un oui!


J’étais heureuse de la réaction de ma famille. J’avais le même sentiment, mais je voulais encore discuter avec Khurram pour en être sûre. Après deux semaines, mon père m’a demandé ce que je voulais faire. Je lui ai dit que je penchais pour un oui, mais une question me taraudait: comment savoir avec certitude si me marier avec Khurram était la bonne décision? En outre, la période était un peu chaotique à la maison. Ma sœur et son mari avaient des problèmes de couple. Ils parlaient de plus en plus de séparation. Quelle serait la réaction de Khurram et de sa famille s’ils apprenaient que ma sœur envisageait de divorcer? Dans certaines familles, les séparations sont extrêmement mal vues. J’en ai finalement parlé à Khurram et il m’a répondu que la situation de ma sœur ne changeait rien pour nous. Il ne m’a jamais demandé quels étaient leurs problèmes et j’ai trouvé cela respectueux de sa part. Sa réaction a été déterminante pour que j’accepte de me marier avec lui. Peu de temps après, le père de Khurram a appelé mes parents pour officialiser le mariage.

Mariée après une seule rencontre


Dès que Khurram et moi avons été fiancés, nous avons pu commencer à planifier notre mariage, même si ça n’a pas été simple: il vivait à Newcastle, moi à Coxyde. Et par moments, j’avais encore des doutes. Pas par rapport à sa personne, mais par rapport à ce que pourrait donner notre mariage. Ces doutes ne m’ont pas arrêtée. Deux mois avant le mariage, je n’ai plus douté de mon choix. Pour être honnête, l’idée de savoir que je pouvais encore dire non me rassurait. À l’origine, notre intention était de nous marier au Pakistan. J’avais toujours rêvé d’un grand mariage avec ma famille au grand complet, mais finalement nous nous sommes mariés en Belgique, le 9 septembre 2011. Sept mois après notre première rencontre.

Même si je n’avais vu Khurram qu’une seule fois, je n’étais pas stressée. Plutôt excitée de savoir s’il allait bien dire oui.


Dans le cas d’un mariage musulman, les futurs époux se trouvent dans des pièces séparées et l’Imam demande d’abord à la femme si elle accepte de se marier, puis seulement à son mari. Lorsque j’ai dit oui, j’étais déjà amoureuse, même si le véritable amour a grandi par la suite.

Comme un blind date


Lorsque vous êtes mariés, c’est là que commence la vraie vie de couple. Khurram et moi n’étions pas unis depuis une semaine que je le suivais déjà à Newcastle. J’étais à peine remise de mes émotions que je devais entamer une nouvelle vie dans une ville que je ne connaissais pas. Je devais soudainement gérer un foyer et un mari. Je voulais tellement lui prouver que j’étais une bonne épouse que je me suis mis trop de pression. Et la fatigue qui en résultait affectait notre relation. Et puis, mes amis et ma famille me manquaient. La première année de notre mariage n’a donc pas été facile. Il a fallu apprendre à se connaître mutuellement. Un mariage arrangé, c’est un peu comme un blind date. Du coup les différences, vous ne les découvrez qu’en vivant sous le même toit.

Une découverte progressive


J’avais le sentiment de connaître un peu Khurram, mais je ne savais par exemple pas comment il réagirait lors d’une dispute. Je suis plutôt du genre explosif, alors que lui va plutôt quitter la pièce sans dire un mot. Au début, je trouvais ça frustrant, je croyais qu’il n’arrivait pas à exprimer ses sentiments. J’ai compris plus tard qu’il faisait ça pour ne pas dire des choses qu’il ne pensait pas vraiment et qu’il pourrait regretter. Autre exemple: quand mon employeur m’a demandé pour la première fois d’assister à un événement à l’étranger, j’ai eu un moment de doute. Mon mari et moi n’avions jamais discuté de cela auparavant et certains hommes de notre culture ne sont pas d’accord avec ce genre de situation. Je pensais qu’il dirait non. Quand j’ai mis le sujet sur le tapis, je suis même devenue agressive en m’attendant à ce non, mais Khurram est plus moderne que ce que je ne le pensais: il a tout de suite demandé quand je partirais! C’est une découverte complète, qui certains jours est plus agréable à vivre que d’autres.

Moins centré sur soi


Khurram et moi sommes égaux et nous partageons les mêmes normes et valeurs. Nous avons découvert que nous sommes assez complémentaires. Je suis du genre extravertie, là où Khurram est plus secret. Je lui apprends à sortir de sa coquille et lui m’aide à garder les pieds sur terre.

Nous avons des hauts et des bas, mais finissons toujours par nous retrouver. Dans les moments plus difficiles, nous parlons de ce que nous ressentons.


Jusqu’à présent, il y a eu deux moments où je me suis sentie perdue. J’ai été transparente avec lui et ensemble, nous avons travaillé pour que notre mariage fonctionne. On ne se demande pas qui s’excuse le plus, qui est le plus en tort. On cherche tous les deux une solution, c’est le plus important. Le fait d’être moins centré sur soi explique peut-être pourquoi certains mariages arrangés fonctionnent si bien. On accepte l’autre comme il est, avec ses bons et ses mauvais côtés.

Un enfant et du bouillon de poulet


Notre fille est née il y a presque trois ans. Elle est la preuve ultime de notre amour. Son arrivée dans notre vie nous a rendus encore plus forts, même si nous avons dû nous retrouver après sa naissance, comme c’est le cas pour de nombreux couples. Il reste tout à coup bien moins de temps pour chouchouter sa relation amoureuse. C’est une difficulté supplémentaire. Cela ne se devine pas au premier abord, mais Khurram est quelqu’un de très attentionné. Un jour, je lui ai expliqué au détour d’une conversation que j’adorais le bouillon de poulet quand j’étais malade. Aujourd’hui, il suffit que je tousse un peu pour qu’il m’en prépare un.

Je suis très reconnaissante qu’il ait accepté de déménager en Belgique après la crise cardiaque de mon père. L’amour ne se mesure pas, mais je sens que mon mari m’aime vraiment et ce sentiment est réciproque.

Arrangé ne veut pas dire forcé


Je peux imaginer que notre situation semble surprenante pour certains. Il y a aussi ceux qui confondent mariage arrangé et mariage forcé. Je rappelle que personne ne m’a obligée à épouser Khurram. Notre famille nous a présentés en tant que partenaires potentiels, mais au bout du compte, nous gardions le contrôle de la situation.

Sept ans plus tard, mon mariage avec Khurram est l’une des meilleures décisions que j’aie jamais prise. Les gens s’imaginent à tort qu’on ne peut pas être heureux dans un mariage arrangé. J’aimerais démonter ce cliché.


Quand l’une de mes collègues a appris que je répondais à cette interview pour Flair, ses yeux se sont écarquillés: ‘Quoi, ton mariage a été arrangé?’, m’a-t-elle demandé. En un rien de temps, quatre autres collègues se sont regroupés autour de moi pour entendre mon histoire (rires). Cette histoire, mon mari et moi ne la cachons pas, mais nous ne la clamons pas sur tous les toits non plus. Notre mariage reste une affaire privée.

De l’espoir pour notre fille


Je suis très épanouie dans mon mariage arrangé, mais j’espère que ma fille trouvera par elle-même la personne avec qui elle choisira de se marier. En tant que parents, c’est une grande responsabilité de trouver la bonne personne pour son enfant. J’ai vu de près les bons côtés, mais aussi les mauvais côtés des mariages arrangés. Les parents souhaitent le meilleur pour leur enfant et si un mariage aboutit à un divorce, il est inévitable que les parents éprouvent un sentiment de culpabilité. Mon père se sent toujours coupable que le mariage de ma sœur ait échoué. Je ne signerais pas d’office pour prendre cette responsabilité sur mes épaules, mais si ma fille se retrouvait dans la même situation que moi, si elle ne voyait personne avec qui envisager l’avenir, je serai prête à lui trouver un partenaire. Mais nous en sommes encore loin!”

Les mariages arrangés en Belgique


“Il y a beaucoup de malentendus au sujet des mariages arrangés”, explique Marie Weewauters, de l’Institut pour légalité hommes-femmes. “Beaucoup confondent cela avec le mariage forcé, alors qu’il y a une nette différence. Dans un mariage forcé, au moins l’une des parties subit une pression émotionnelle, psychique et/ou physique pour se marier. Il y a donc au moins une victime, qui entre dans le mariage contre sa volonté.

Dans les mariages arrangés — où les partenaires de mariage potentiels sont réunis par un tiers — les deux parties conservent la liberté de se marier ou non.


Et peuvent refuser: il n’y a pas de pression exercée, bien que dans certains cas, il puisse y avoir une zone grise: les futurs époux consentent au choix de la famille ou de la communauté, sans réelle pression, mais ne prennent pas nécessairement cette décision avec gaieté de cœur ou en étant intimement convaincus de leur choix. Dans ce cas-là, on parle d’un mariage arrangé problématique. Il est difficile de déterminer le nombre annuel de mariages arrangés en Belgique. Puisqu’on ne parle pas de victimes, ces types de mariages ne sont pas enregistrés comme tels. Un mariage arrangé, cest comme un mariage d’amour: les deux parties font un choix libre et conscient.

Texte: Marijke Clabots et Justine Rossius. Photo: Tim De Backer.


 

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