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TÉMOIGNAGE: Jill, 27 ans, a caché son alcoolisme pendant des années

Barbara Wesoly

On devient accro de façon presque anodine, jusqu’au jour où  l’on perd complètement le contrôle. C’est ce qui est arrivé à Jill, 27 ans, qui pendant des années, a caché son alcoolisme. Après avoir dû être hospitalisée, elle a réalisé que cela ne pouvait plus durer.

“J’avais 14 ans quand j’ai bu mon premier verre de vin avec deux copines. À l’adolescence, on a envie d’expérimenter de nouvelles choses. On s’est mises à boire de plus en plus, et je dépensais tout mon argent de poche dans des bouteilles d’alcool que j’achetais au night shop du coin, sans que le vendeur ne m’interroge sur mon âge. Je n’aimais pas le goût de l’alcool mais j’adorais les sensations que cela me procurait. Je me sentais tellement mieux quand j’étais ivre. Après un certain temps, j’ai commencé à boire seule. Je descendais une bouteille de vin entière sans éprouver une once de culpabilité.

Un père narcissique

Il n’y a que lorsque je buvais que je parvenais à m’échapper de la réalité, à ne plus penser à ce que je vivais à la maison. Entre un ado et ses parents, les relations sont parfois tendues. Mais, chez moi, c’était pire que tout. Je suis enfant unique et je n’ai pas grandi dans un environnement chaleureux. Durant des années, j’ai été harcelée moralement par mon père qui me rabaissait en permanence. Il me faisait constamment des reproches. Il disait que je n’avais pas d’amis, que j’étais paresseuse, que je n’arriverais jamais à rien. Malgré tous mes efforts, je n’arrivais jamais à le rendre fier de moi. Ma mère ne m’a jamais défendue. Elle n’est jamais intervenue en ma faveur. Et je n’avais pas une sœur ou un frère auprès de qui me confier. Ma mère voulait que je règle mes différends avec mon père toute seule. Elle disait que j’étais assez grande. Mais c’était impossible d’avoir une discussion posée avec lui. À cause de ces tensions à la maison, je me suis renfermée sur moi-même. Je n’avais pas confiance en moi et je me sentais très seule. J’ai fini par toucher le fond, et l’alcool m’a ‘aidée’. Boire me soulageait.

Dès que les choses dégénéraient, je me ruais sur une bouteille de vin pour noyer mon chagrin, anesthésier ma douleur. Je me suis mise à m’automutiler, pour oublier ce que je ressentais, pour faire taire mes pensées.

Je cachais ma collection de bouteilles dans ma chambre, où je buvais sans que personne ne le sache. J’attendais que mes parents s’absentent pour ramener de l’alcool ou sortir mes vidanges. Il leur est arrivé de trouver des bouteilles vides, mais ça ne les a pas inquiétés outre-mesure. Ils pensaient que je faisais ma crise d’adolescence.

Deux bouteilles de vin par jour

Quand je me suis installée en kot, et qu’il n’avait donc plus aucun contrôle parental, ma consommation d’alcool a pris d’autres proportions. J’ai intégré une Haute École. Les études me plaisaient mais je m’y suis fait très peu d’amis. Une fois de plus, je me sentais très seule. Quand on sortait, j’avais toujours l’impression d’être la cinquième roue du carrosse. J’étais différente, marginale, et cela me donnait envie de boire. Pour ne plus rien ressentir, je buvais jusqu’à deux bouteilles de vin par jour. Les choses m’échappaient. Je perdais le contrôle. J’ai commencé à boire le matin avant d’aller en cours. Je savais que je buvais trop, mais je ne réalisais pas que j’étais accro. Pourtant, je n’arrivais pas à m’arrêter. Plus les années passaient, plus les choses empiraient.

Je me sentais enfermée dans une spirale négative. J’étais au plus bas, et j’ai pensé mettre fin à mes jours. J’avais constamment des sautes d’humeur. Je pouvais être très heureuse, puis soudainement me sentir très triste sans raison apparente. Même l’alcool ne m’aidait plus.

Après ma deuxième année d’études, j’ai atteint un point de non-retour. J’ai volontairement décidé de me faire hospitaliser en psychiatrie. On m’a diagnostiqué un trouble de la personnalité. J’ai eu un déclic. Je me suis mise à croire à nouveau en l’avenir. Mais pour m’en sortir, il fallait que j’accepte de parler de mon alcoolisme. Je n’en avais pas encore touché un mot au personnel médical qui m’accompagnait dans ma guérison, et je cachais des bouteilles de vin dans ma chambre d’hôpital.

Juste un petit verre

Après avoir avoué mon addiction aux médecins, on m’a prescrit de l’Antabuse, un médicament utilisé en cas de dépendance à l’alcool. J’ai été hospitalisée il y a six ans mais je suis toujours sous traitement aujourd’hui. L’Antabuse ne peut pas être pris avec de l’alcool. Le mélange des deux substances est extrêmement dangereux et je pourrais en mourir. Tant que je prends mon médicament, je ne peux donc absolument rien boire. Parfois, il m’arrive d’ailleurs d’interrompre mon traitement car je ne parviens pas à réfréner mes envies: j’ai besoin d’alcool. J’essaye de me limiter à un verre mais je n’y arrive jamais. J’en veux toujours plus alors que je déteste le goût de l’alcool. J’avale mon verre d’un trait pour faire passer le goût plus facilement. C’est tellement mauvais! Ce n’est pas au goût mais à l’ivresse que je suis accro.

Sans médicaments

Il y a deux ans, j’ai rencontré quelqu’un. Mon homme est au courant de ma dépendance et je ne peux donc plus arrêter de prendre mes médicaments en cachette comme je le faisais avant. Dès que je veux interrompre ma cure d’Antabuse pour boire à nouveau, je lui en parle. Il est évidemment contre cette décision mais accepte que je fasse une pause s’il peut surveiller ma consommation. Je ne suis pas tout à fait honnête, c’est trop difficile. Je bois souvent bien plus que ce que je laisse croire aux autres. Au boulot aussi, il m’arrive de boire en cachette. Je n’en parle à personne. J’espère pouvoir dire un jour que je suis guérie, que ma consommation d’alcool est sous contrôle. J’aimerais être capable de résister à l’envie de boire sans avoir à prendre de médicaments. Le chemin sera encore long, mais je vais tout faire pour y arriver.”

Texte: Marijke Clabots et Laura Vliex

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