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AUTISME: 3 femmes racontent le diagnostic qui a clarifié tant de choses

Justine Rossius

L’autisme chez les femmes reste souvent un terrain méconnu. Beaucoup ­parviennent à s’adapter, ce qui explique qu’elles apprennent le diagnostic tard dans leur vie. Dans une conversation franche, un expert et trois témoins ont partagé leur histoire.

Il y a cinq ans, le soupçon d’autisme a été officiellement confirmé pour Anne, 37 ans.

«En 2016, j’ai pour la première fois ­commencé à rechercher un diagnostic. Je travaillais comme assistante sociale pour une autorité locale et j’étais en conflit avec un collègue. Ma cheffe pensait que je souffrais d’autisme et m’a confrontée à ce sujet. Elle avait reconnu le ­comportement de son enfant, autiste, et m’a fait part de son intuition. Mais honnêtement, je n’ai pas fait grand-chose de cette ­information. J’ai tout filtré, comme si rien n’avait été dit. Jusqu’à ce que, deux ans plus tard, une nouvelle collègue ­rejoigne mon équipe. Elle était très ouverte et honnête au sujet de son autisme. J’ai reconnu mon comportement en elle, et vice versa, même si, comme moi, elle n’avait pas encore de preuves écrites. Pour la ­première fois, j’ai ouvert les yeux. En plus, je donnais des conseils à un ami, susceptible d’être autiste. Je lui ai fait remplir des questionnaires, mais lorsque ­j’ai ­examiné les questions, j’ai été renvoyée au ­commentaire de ma cheffe. Je me suis demandé si elle n’avait finalement pas raison.

Ne plus faire semblant

L’été 2017, j’ai été testée et un an et demi plus tard, mes soupçons ont été levés. Le diagnostic a été un énorme soulagement, malgré sa découverte tardive. Tout était enfin clair et j’avais enfin la chance de reprendre ma vie en main. Je n’avais plus besoin de faire semblant pour suivre les règles des comportements humains. Avant, j’avais chaque jour peur qu’on me démasque, mais après le diagnostic, j’ai pu dire adieu à mes ­pensées chaotiques, à mes angoisses et à ma ­tristesse.

La raison pour laquelle je n’avais jamais éprouvé de désir d’enfant ou de sentiment maternel est devenue limpide. Toutes les pièces du puzzle ­s’assemblaient.

J’ai senti dans toutes les cellules de mon corps que j’étais sur la bonne voie, celle de ­l’authenticité, et cela m’a rendue incroyablement ­euphorique. Je savais déjà avant le test que je me ­situais sur le spectre autistique, mais mon raison­nement était surtout le suivant: quand ce sera écrit noir sur blanc, alors je pourrai travailler pour bosser dessus. Les 1500 euros que j’ai dépensés ne m’ont ­causé aucun regret. Même si c’est quand même ­problématique de devoir payer autant pour réaliser un test qui peut vous changer la vie. En tout cas, ça en valait la peine, car depuis, ma vie est devenue bien plus facile.

C’est ainsi que j’ai littéralement transformé mon ­handicap en force. J’ai changé d’emploi et j’ai créé un ­nouveau service pour les ­personnes handicapées. Aujourd’hui, mon travail ne me demande plus des tonnes d’énergie, mais me donne de l’énergie. Je reçois du soutien de toutes parts, j’en parle et je partage mon histoire avec d’autres personnes qui souffrent. Je suis ­reconnue et cela me remonte le moral.

Trois paires de bouchons d’oreilles

Même si l’autisme reste lourd et difficile à ­comprendre, j’ai trouvé un moyen d’y faire face. J’ai toujours trois paires de bouchons d’oreilles sur moi, dont une dans mon sac à main. Je ne m’attarde pas non plus dans les fêtes de famille bondées. J’écoute mes besoins et j’agis en conséquence. Cela peut ­paraître étrange, mais je n’aurais pas voulu découvrir mon autisme plus tôt. Dans les années 1980, l’autisme était pratiquement inconnu et qui sait ce qui se serait passé alors. Cela reste des suppositions, bien sûr, mais j’accepte la façon dont les choses ont évolué, à mon propre rythme. Une chose est sûre: ces cinq dernières années ont été les plus heureuses de ma vie. Je ne serai plus jamais celle que j’étais à l’époque et je ne voudrais pas le redevenir. Je me sens bien avec la version de moi-même d’aujourd’hui. »

Quand Hajar, 20 ans, a appris en décembre dernier qu’elle était atteinte d’autisme, son monde s’est effondré.

«Pendant des années, j’ai inconsciemment caché mon autisme. Je ­camouflais mes difficultés et n’avais vraiment aucune idée que je souffrais d’autisme. J’ai eu de bonnes notes au lycée, même si les professeurs trouvaient souvent ma façon de travailler étrange. Cependant, l’idée que je sois atteinte d’autisme ne leur venait pas à l’esprit. Je n’ai eu de difficultés que lorsque j’ai ­commencé le cursus universitaire de ­Sociologie l’an dernier. Je luttais contre la procrastination, ne trouvais souvent aucune structure dans mon cours et souffrais de la peur de l’échec. Je stressais. Je repoussais sans cesse mes limites, mais malgré mes efforts, j’avais l’impression d’échouer. J’ai commencé à douter de moi et à me ­demander: ‘Qu’est-ce qui ne va pas chez moi?’ Le mot ­autisme est apparu pour la première fois lorsque ma jeune sœur a découvert qu’elle en était atteinte. Son diagnostic m’a amenée à chercher de l’aide.

Qui suis-je?

Je me suis adressée au ­psychologue scolaire de l’université, qui m’a orientée vers le centre de ­recherche. Je n’ai obtenu un rendez-vous que six mois plus tard. ‘Vous avez de la chance, m’a dit le psychologue, certains doivent attendre deux ans.’ J’ai passé les tests en croyant que j’avais un TDAH (trouble de l’attention avec hyperactivité, ndlr), mais à ma grande surprise, on m’a aussi diagnostiqué une forme légère d’autisme. Ce double diagnostic m’a fait l’effet d’une bombe. Je voyais venir le TDAH, mais ­l’autisme était une totale surprise. J’ai juré: ‘Merde, pourquoi?’ J’étais en pleine période ­d’examens et cette découverte m’a semblé la fin du monde.

J’étais aux prises avec une grave crise d’identité. Qui étais-je vraiment? Est-ce que je copiais le comportement des autres? Est-ce que je cachais mon identité? Ces ­questions sans réponse tournaient dans ma tête.

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Soudain, après toutes ces années, j’ai réalisé que ­j’essayais de me faire passer pour quelqu’un d’autre. Dans mon groupe d’amis, j’essayais constamment de m’adapter. J’exagérais et mettais les gens mal à l’aise. Le contact visuel en est un bon exemple. ‘Quand tu nous fixes comme ça, tu dois voir jusqu’à notre âme’, disaient mes amis, alors que je pensais les regarder normalement.

Enfin la vraie moi

Je pense que la question de savoir si j’aurais préféré découvrir mon autisme plus tôt est double. D’une part, j’ai pu terminer le lycée sans trop de problèmes, même si mes camarades de classe me trouvaient souvent stupide et bizarre. J’étais ­considérée comme moi-même et non comme une autiste ou une handicapée. En ce sens, j’aurais préféré ne pas le savoir. D’un autre côté, cela aurait pu clarifier mon comportement bien plus tôt. Malheureusement, notre société est truffée de préjugés et d’idées fausses. Beaucoup de gens ne savent pas exactement ce que sont le TDAH et les TSA. Comme nous n’en parlons pas assez, je crains la discrimination et l’exclusion sociale. À l’université, on offre de l’aide, mais elle est souvent limitée. Dans l’enseignement secondaire, c’est plus inquiétant. On n’y reçoit presque aucune aide. En raison de l’énorme pénurie de personnel, le soutien reste absent ou inadapté aux besoins de l’élève. Je pense, par exemple, aux salles de classe à faible ­stimulation. Des améliorations sont donc nécessaires, mais je garde espoir. En attendant, je bénéficie d’une aide professionnelle et je n’ai plus à m’adapter à mon environnement. Pour la première fois, je peux montrer qui je suis vraiment et c’est une libération. »

Rose, 19 ans, avait 4 ans quand ses troubles du spectre autistique (TSA) ont été diagnostiqués. Cela lui a permis de prendre peu à peu le contrôle de sa vie.

«C’était évident depuis toute petite. L’autisme est présent dans ma famille et dès mon plus jeune âge, j’en ai montré des signes. Je n’ai pas rampé, mais j’ai marché tout de suite. J’étais hypersensible aux stimuli et très forte en communication orale, même si je vivais la langue d’une manière différente. J’ai parlé beaucoup trop tôt et surtout de façon trop formelle. J’ai été ­diagnostiquée à 4 ans et cela n’a pas été une ­surprise pour mes parents et ma famille. J’avais ­toujours été un bébé atypique et on savait maintenant clairement pourquoi. L’avantage de ce diagnostic précoce est que je ne me ­souviens pas d’une vie avant ou après. L’autisme a toujours fait partie de mon identité, mais cela n’enlève rien aux énormes obstacles que j’ai dû surmonter.

Adapter ses rêves

Mon adolescence et surtout mon parcours scolaire ont été difficiles. J’ai lutté contre des pensées dépressives et j’ai longtemps tourné en rond. Par peur de me faire du mal, j’ai été admise dans une unité de crise pendant 15 jours. J’ai commencé à ­douter de tout, surtout de moi, de qui j’étais et de ce que je pouvais faire. Accepter que j’étais autiste et que je devais adapter la plupart de mes rêves de vie a été très difficile. Je ne cessais de penser: ‘Qu’est-ce qui se serait passé sans l’autisme?’ Ces constats amers ont été comme un vrai deuil. De plus, mes parents ont eu beaucoup de mal à trouver une école qui me convienne. Pendant des années, cette recherche a été fastidieuse. De nombreuses écoles me rejetaient et lorsque nous en trouvions une qui m’allait, le trajet quotidien posait problème. Je devais passer 2 heures de trajet chaque jour dans des bus surchargés. En fait, pour une personne autiste, cela semble presque ­ironique: le bus est vraiment le dernier endroit où l’on a envie d’être. J’ai donc opté pour l’école à la maison, ce qui s’est avéré super. À 15 ans déjà, j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires.

Reconnaissance = soulagement

Les années qui ont suivi, j’ai mis l’accent sur ma santé mentale. J’en avais bien besoin. Je me remettais de ma dépression et j’avais besoin de comprendre ­comment façonner ma vie. Il est intéressant de noter que je n’ai pas bénéficié de l’aide d’un psychologue au cours de mon processus de rétablissement. Les longues listes d’attente, malgré le besoin, n’ont pas amélioré la situation. Heureusement, dans les moments difficiles, j’ai ­toujours pu compter sur mes parents. Sans leur soutien, leur patience et leur aide, les choses auraient pu être différentes. Ils sont mes soignants de confiance et ils vivent juste en face de chez moi.

Même si l’on s’attend à ce que notre société fournisse un filet de sécurité sociale, à ma grande surprise, ces soins sont presque inexistants et les handicaps invisibles restent difficiles à appréhender pour notre société.

Par exemple, tout le monde n’a pas accès aux mêmes droits. Il y a des discriminations, et je trouve cela très inquiétant. Je parle régulièrement de ces questions en tant que bénévole auprès d’une association. Par exemple, j’y aide les personnes non autistes à mieux comprendre leur proche autiste, et j’y ai ­récemment raconté mon histoire. Les conversations informelles avec d’autres personnes souffrant ­d’autisme m’apportent aussi une reconnaissance et le sentiment que je ne suis pas seule au monde. C’est un vrai soulagement. Ma vie est peut-être différente de celle d’une jeune fille de 19 ans ordinaire, mais elle n’en vaut pas moins la peine. Je n’ai pas du tout honte de mon autisme. Cela fait partie de ce que je suis, tout simplement. »

Texte: Eugenie D’Hooghe et Julie Braun Photos: Morgane Gielen

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