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SANTÉ MENTALE: comment Tiktok pousse à l’autodiagnostic

Justine Rossius

Vous vous sentez mal à l’aise en société? Avez peur de vous exprimer dans un groupe? Après une soirée, vous vous inquiétez de ce que vous avez raconté à vos amis? Alors vous souffrez d’anxiété sociale. Ce n’est là qu’un des nombreux messages qui circulent sur TikTok et qui ont donné naissance à une nouvelle tendance: l’autodiagnostic. Alors, doit-on vraiment faire confiance à docteur TikTok?

Depuis l’apogée de Tiktok – pendant la crise de la Covid – je suis bien forcée d’avouer que j’adore cette application réservée a priori à la génération Z. J’aime être bombardée de vidéos de danse, de cuisine, de chats maladroits ou de bébés mignons. À côté de cette légère addiction à l’application, ma santé mentale en a vu de toutes les couleurs ces dernières années.

Lorsque j’ai commencé à avoir des pensées noires, j’étais encore très jeune et je n’osais pas vraiment l’admettre. Jusqu’à récemment, je n’avais pas envisagé qu’il pourrait exister un lien entre mon attrait pour Tiktok et cette anxiété qui m’habite. L’algorithme ultra-performant de TikTok en a décidé autrement. Car il suffit de s’attarder une seconde de trop sur une vidéo pour que la page « Pour vous » en soit remplie. C’est ok s’il s’agit de chats gênants ou de bébés mignons, mais je n’avais pas forcément envie d’être confrontée chaque jour à mon trouble alimentaire compulsif. Par exemple.

Depuis un certain temps, impossible de passer à côté: l’application regorge de vidéos décrivant des troubles mentaux complexes en quelques caractéristiques auxquelles s’identifier. Et pour tout vous dire, ça me dérange.

Fini le tabou, bonjour la désinformation

Depuis que j’ai révélé mes problèmes de santé mentale, je me suis efforcée de faire en sorte que le sujet soit abordé. En effet, l’une des raisons pour lesquelles la jeune Annelies avait peur d’exprimer ses pensées était que tout cela était tabou dans la société. Se débattre avec des idées noires était considéré comme bizarre. Les troubles mentaux sont passés de tabou à sujet tendance depuis que nous sommes de plus en plus nombreux à utiliser les réseaux sociaux. De grands et de moins grands noms donnent l’exemple, comme Ariana Grande, qui a parlé de son stress post-traumatique, et Jennette McCurdy, qui s’est ouvertement livrée sur ses troubles alimentaires.

Ces exemples poignants de personnes influentes permettent à d’autres de se sentir moins seul·e·s face à leurs problèmes, de trouver une communauté ou d’oser recourir à une aide professionnelle. Mais comme tout le monde peut partager son expérience ou son opinion, la désinformation se glisse souvent dans ces courtes vidéos. Les fake news n’ont rien de nouveau, mais lorsqu’il s’agit de sujets et de personnes aussi vulnérables, il vaut mieux être prudent.

Docteur Google…

Règle numéro 1 lorsque vous êtes malade: ne pas chercher ses symptômes sur Google! Car même si vous n’avez que des douleurs abdominales, vous vous retrouverez, après 3 clics, avec une espérance de vie d’une semaine. Et si vous cherchez à quoi est dû votre moral en berne ou vos problèmes de concentration, vous serez diagnostiqué·e schizophrène par le géant de la recherche en ligne.

« Internet est un bon outil si vous l’utilisez correctement, mais il ne remplace pas un·e professionnel·le de la santé ou de la psychologie », souligne Marijke van de Laar, psychologue. « Nous sommes en 2023 et nous avons désormais accès à internet. Il est tout à fait normal d’aller enquêter lorsqu’on remarque quelque chose qui cloche chez soi, que ce soit sur le plan physique ou mental. Seulement, un diagnostic ne peut être posé que par une personne qualifiée pour le faire. En tant que psychologue, je dispose du DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, éd.), un ouvrage qui répertorie tous les troubles mentaux et leurs symptômes. Mais même avec cet outil, je dois faire appel à mes propres observations, car ce n’est pas parce que vous présentez un grand nombre des symptômes d’un trouble particulier que vous devez immédiatement poser le diagnostic associé. Et encore moins que vous puissiez vous diagnostiquer vous-même sur la base des explications souvent très simples, partiales ou même complètement erronées d’une vidéo TikTok. »

Prophétie auto-réalisatrice

L’anxiété sociale en est un bon exemple. En effet, il y a de fortes chances que vous aussi vous vous sentiez parfois peu sûr de vous dans un contexte social ou que vous ayez peur de vous exprimer devant un groupe de personnes. C’est humain, mais beaucoup de TikTokkers ont transformé ces comportements assez banals en des symptômes d’« anxiété sociale ». Et comme il est agréable de pouvoir se reconnaître en d’autres individus, de nombreuses personnes sont désormais convaincues de souffrir de cette phobie sociale pathologique.

« Les troubles tels que l’anxiété et la dépression sont si complexes qu’il est impossible de les diagnostiquer soi-même », explique la psychologue Marijke van de Laar. « À cause de certaines vidéos sur TikTok, l’anxiété sociale est devenue un véritable phénomène de mode, et cela fait plus de mal que de bien.

À partir du moment où l’on commence à poser un certain diagnostic, on commence à s’identifier à lui et à vivre en fonction de lui. De nombreuses personnes s’imposent un syndrome qui ne leur correspond même pas. En conséquence? Leurs symptômes de stress ne font qu’empirer. 

Si vous connaissez un peu TikTok, vous savez que le principe de la manifestation (aider vos pensées et vos désirs à devenir réalité) est totalement trendy en ce moment. Mais grâce aux vidéos de diagnostic, les prophéties autoréalisatrices vont bon train. L’homme est un animal grégaire qui aime se reconnaître dans les autres pour former une communauté, mais cette reconnaissance a aussi des inconvénients. Et oui, cela nous amène à mon expérience personnelle…

Tabou-boum-boum !

Une vidéo décrivant un trouble mental en 4 symptômes simples et reconnaissables peut vous amener à vous attribuer injustement un diagnostic sévère. Ou à vous sentir blessé·e à cause de votre propre diagnostic établi par des professionnels. Le deuxième cas, c’est moi!

Je vis avec 2 étiquettes. La première a été assez facile à comprendre, car ma façon de considérer la nourriture et mon corps n’a jamais été vraiment saine. Mais en ce qui concerne mon trouble compulsif, j’ai parcouru un long chemin. En effet, je ne vis pas avec des TOC (la forme la plus connue de trouble compulsif), mais avec des pensée intrusives. La nature de ces compulsions étant réputée plutôt rare, même avec une aide professionnelle et médicale, il a fallu des années avant que j’entende les mots rédempteurs: « Tu n’es pas folle. Tu souffres d’un trouble compulsif. » Depuis, je prends les médicaments adéquats et le contenu de ces pensées est strictement confidentiel entre moi et les quelques personnes qui ont besoin de le savoir. Je vais bien dans ma vie, sauf lorsque je tombe sur des vidéos TikTok de diagnostic décrivant les TOC (troubles obsessionnels compulsifs, ndlr).

En effet, j’ai dû me battre pendant très longtemps avant que quelqu’un me comprenne enfin et me prenne au sérieux. Aujourd’hui, lorsque je vois mon trouble extrêmement complexe résumé en quelques phrases telles que « Vous devez aussi toujours vérifier 3 fois si vous avez débranché votre lisseur, appuyer 4 fois sur l’interrupteur avant de quitter la pièce et le brossage des cheveux vous rend vraiment heureux? Alors vous avez un TOC », mon sang ne fait qu’un tour.

Rien de surprenant, selon l’experte: « Si vous avez été diagnostiqué par un professionnel et que vous voyez ensuite ce trouble apparaître comme un terme à la mode sur des plateformes comme TikTok, vous avez rapidement l’impression que les autres ne vous prennent pas au sérieux. Vous vivez avec un trouble particulier et vous en souffrez beaucoup. Par-dessus tout, vous voulez être soutenu et compris.

Lorsque quelqu’un diffuse des informations erronées à votre sujet, vous pouvez avoir l’impression qu’encore moins de personnes comprennent et reconnaissent votre douleur. 

Je maintiens donc l’idée que les réseaux sociaux nous ont amenés à parler davantage de nos problèmes psychologiques, mais qu’il y a clairement des limites à ces développements positifs. Après tout, mes pensées compulsives ne devraient pas être un secret, mais lorsque je vois comment les TOC sont dépeints dans des contenus qui sont vus par tant de gens et pris pour argent comptant, le tabou prend encore plus d’ampleur.

Des jugements qui n’ont pas lieu d’être

Il en va de même pour les personnes qui parlent ouvertement de leurs traumatismes sur les réseaux sociaux. Il faut beaucoup de courage et de force pour le faire, et c’est pourquoi il est particulièrement regrettable que les commentaires sous ce type de vidéos soient souvent remplis de comparaisons et de minimisation. « S’il y a une chose qui ne se compare pas, c’est bien l’expérience traumatique », souligne la psychologue. « Quelqu’un peut avoir perdu un parent à un jeune âge et un autre peut avoir eu un parent présent qui ne lui a jamais donné d’amour ou d’attention. Il est alors facile de dire que la personne B s’en est mieux sortie, parce qu’elle a au moins eu la présence du parent. Mais ce n’est pas forcément le cas. Les 2 situations peuvent causer autant de mal l’une que l’autre aux individus qui y sont confrontés. »

Ce qui est traumatisant pour une personne peut être vécu comme un événement normal pour une autre. Vous n’êtes peut-être pas en mesure de le comprendre, mais il est très important de reconnaître le traumatisme d’une autre personne. Dans notre société, on pense qu’il ne faut pas s’énerver et qu’il faut voir le bon côté de la vie”, poursuit Marijke van de Laar. « Mais les traumatismes ne se limitent pas à la maltraitance, à un accident ou à la perte d’un être cher. La négligence structurelle, par exemple, est très intense et difficile à avouer. Surtout si d’autres personnes clament ouvertement que ce n’est pas si grave. Il arrive donc qu’une personne souffrant d’un traumatisme important ne cherche pas d’aide. »

Dernier coup de pouce

Est-ce que tout est si sombre? On pourrait presque le croire, mais comme je l’ai déjà dit, les vidéos de diagnostic sur TikTok ont aussi un côté positif. D’une part, parce que, si elles sont véridiques, elles brisent les tabous. D’autre part, parce que des vidéos interpellantes peuvent être le facteur décisif pour qu’une personne fasse enfin le pas vers une aide professionnelle.

Selon Marijke van de Laar, ce contenu s’est avéré utile pour 2 diagnostics: Le TDAH et l’autisme. « Par exemple, si vous avez des problèmes de concentration depuis longtemps et que vous ne savez pas pourquoi vous n’arrivez pas à vous en débarrasser, il peut être très instructif de voir une vidéo dans laquelle quelqu’un explique ce qu’est le TDAH », explique la psychologue. « Le fait de vous reconnaître dans les caractéristiques citées par les personnes diagnostiquées peut vous faire comprendre que vous n’êtes pas bizarre, mais que vous avez simplement besoin d’une aide professionnelle. »

Chiara fait partie de ces internautes qui ont retiré du positif de telles vidéos TikTok. « Toute ma vie, je me suis débattue avec mon cerveau. Pas nécessairement de manière négative, car je suis heureuse en soi, mais j’ai toujours eu l’impression que quelque chose n’allait pas. Je pense différemment des autres, j’ai du mal à me concentrer sur une seule chose et j’ai toujours eu l’impression d’être un peu à part. Un jour, un ami m’a carrément dit: ‘Ton cerveau fonctionne différemment’. Au début, j’ai trouvé cela étrange, mais après avoir regardé des vidéos TikTok sur l’autisme, j’ai compris. Je ne suis pas bizarre, je suis peut-être simplement autiste. D’habitude, je n’aime pas être cataloguée, mais ici, ça m’apaise de comprendre. »

Les tests de dépistage de l’autisme coûtant très cher, Chiara s’appuie aujourd’hui principalement sur son psychologue et sur la communauté TikTok. 

 C’est libérateur de voir des créateurs de contenu autistes parler d’expériences et de comportements auxquels je m’identifie totalement. J’ai l’impression que l’image que j’ai de moi est enfin correcte.

Le bon, le mauvais et...

... la zone grise. Comme d’habitude, tout n’est pas aussi noir ou blanc qu’on pourrait le croire. Je pourrais recommander de ne plus regarder ces vidéos de diagnostic et de ne plus faire de recherches sur les symptômes, mais honnêtement, qui va vraiment arrêter de le faire? Préconiser un châtiment majeur sur les médias sociaux, qui mettrait fin à toute désinformation (comme s’il s’agissait des tétons des femmes sur Instagram), c’est espérer un miracle. Nous ferions donc mieux d’être attentif·ve·s à la manière dont nous voulons y faire face. Par nous-mêmes, mais aussi avec des spécialiste qui s’y connaissent vraiment.

« Lorsque je reçois, dans mon cabinet, des personnes qui sont fermement convaincues d’un diagnostic qu’elles ont elles-mêmes posé, j’essaie de renverser la situation. Ne partez pas du tableau clinique pour le refléter, mais partez de vous-même. Il arrive à tout le monde de manquer de confiance en soi, de passer une mauvaise journée ou de se sentir désespéré pendant un certain temps. Cela ne signifie pas nécessairement que vous souffrez d’un trouble particulier. Ne tirez donc pas de conclusions hâtives et osez vous regarder sous un angle plus doux. »

Qu’en est-il des personnes qui, comme moi, sont un peu (très) en colère face à la représentation erronée des problèmes de santé mentale? « Parlez à des personnes de votre entourage qui savent ce que vous vivez et qui sont bien informées sur le sujet », conseille Marijke van de Laar. « Se sentir incompris est très difficile, mais il ne faut pas se perdre dans la colère ou la tristesse qui en découle. Il y a autour de vous des membres de votre famille, des amis, des travailleurs sociaux qui vous comprennent et vous soutiennent. Faites-leur confiance. Et faites-vous confiance. »

*Chiara a préféré rester anonyme et utilise donc un pseudonyme.

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