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““Trop pauvre pour divorcer””, la vérité derrière le commentaire polémique de Julie Graziani

Kathleen Wuyard

Vous connaissez Julie Graziani? Nous non plus, son nom ne nous disait rien il y a peu, mais avec son commentaire polémique, l’éditorialiste s’est attiré les feux (brûlants) des projecteurs. “Si on est au Smic, faut peut-être pas divorcer” affirme-t-elle, suscitant la colère des commentateurs. Pourtant, la précarisation causée par les séparations est un facteur qui maintient de nombreuses femmes prisonnières de relations.


Invitée sur le plateau de “24h Pujadas” ce 4 novembre, Julie Graziani réagit à chaud aux images d’une femme interpellant Emmanuel Macron lors de sa visite à Rouen. Une ville en état de crise depuis l’incendie de l’usine Lubrizol qui a maculé la région d’un épais nuage de suie, forçant plusieurs familles à fuir leur domicile. Elevant seule ses deux enfants avec le Smic (revenu minimum d’intégration) pour toute rentrée financière, cette mère courage avait ému les Français. Mais pas Julie Graziani, visiblement. “Je comprends très bien qu’elle ne s’en sorte pas”, commence-t-elle, conciliante. Mais sa compréhension s’arrête net: “à un moment donné, je ne connais pas son parcours de vie à cette dame. Qu’est-ce qu’elle a fait pour se retrouver au Smic? Est-ce qu’elle a bien travaillé à l’école? Est-ce qu’elle a suivi des études?”. Et d’asséner le jugement qui allait faire jaillir la polémique:

 Si on est au Smic, faut peut-être pas divorcer dans ce cas-là !”


Choc sur le plateau, et onde de choc sur les réseaux. Pourtant, la position ne surprend pas vraiment dans le chef de Julie Graziani: éditorialiste pour le très conservateur “L’incorrect”, elle a notamment pris position contre l’avortement et en faveur de La Manif pour tous. Pas forcément un modèle de tolérance, donc, ainsi qu’elle le démontre encore quand la députée européenne Aurore Lalucq, invitée aussi sur le plateau de David Pujadas, lui fait remarquer que cette femme a tout de même bien le droit de divorcer.

À un moment donné quand on se rajoute des difficultés sur des difficultés et des boulets sur des boulets, on se retrouve avec des problèmes (...) Faut prendre sa vie en main et faut arrêter de se plaindre !”

“Tu as fait le mauvais choix tu assumes”


Une prise de position clivante, qui a rapidement suscité l’indignation sur les réseaux sociaux, la secrétaire d’Etat à l’Égalité femmes-hommes Marlène Schiappa ayant elle-même réagi, demandant quel était le message “quand on blâme une femme de ne gagner que le Smic puis qu’on lui reproche publiquement d’avoir divorcé?”. Sur Twitter, Julie Graziani a d’abord persisté, soulignant que “chacun est responsable de ses parcours de vie. Tu as fait le mauvais choix de boulot, tu as fait le mauvais choix de mec, tu assumes. Ce n’est pas à l’Etat d’arranger tes problèmes”. Avant de finalement présenter ses excuses, affirmant avoir parlé sous le coup de la colère.

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Voilà pour la polémique. Mais au-delà de ces déclarations à l’emporte-pièce et du tollé qu’elles ont provoqué, la situation lève le voile sur la précarisation causée par la séparation, et comment l’argent, ou plutôt l’absence de celui-ci, peut pousser des femmes à rester dans des relations sans amour voire abusives.

Le prix de la liberté


Et pourtant, la problématique est tellement répandue que des ouvrages entiers lui sont dédiés. En 1998 déjà, une étude de l’Observatoire de l’endettement des ménages révélait que le divorce est un des facteurs principaux de précarité financière. Logique, et plus préoccupant encore pour les mères aux foyers. Ainsi que l’écrivait superbement l’Américaine Theo Pauline Nestor dans une des toutes premières chroniques Modern Love jamais publiées par le New York Times, “pour les femmes au foyer, un divorce n’est pas simplement une séparation mais aussi un C4”.

Parce que cela équivaut à vous faire virer de votre job de maman à plein temps, un travail que vous ne pouvez plus assumer financièrement, et pour lequel vous avez abandonné une carrière qui payait les factures”


Au printemps 2011, Roularta avait mené une enquête relative à l’évolution des familles sur leur situation financière. Verdict? 31 % des femmes s’en tirent moins facilement financièrement sans leur époux (contre 22 % des hommes), 57 % d’entre elles affirmant devoir se montrer plus attentives aux prix post-divorce, tandis que plus d’un répondant sur cinq (21%) avait affirmé avoir du mal à finir le mois après avoir divorcé. Logique, puisqu’en Belgique, les femmes sont payées entre 5 et 20% de moins que les hommes à postes égaux, et que face aux pensions alimentaires impayées, le système de plafond instauré peine à assurer la relève financière.

Depuis le 1er octobre 2005, le Service des Créances Alimentaires (SECAL), peut en effet faire des avances sur pensions alimentaires dues aux enfants, ce montant étant toutefois plafonné à 175 euros. Autrement dit, pas bien riche. Alors parfois, ainsi que le conseille vertement Julie Graziani, des femmes restent prisonnières de leur relation faute d’avoir les moyens d’assumer une séparation. Des femmes qui sont parfois abusées verbalement ou physiquement mais ne voient pas d’autre issue que de rester en couple pour éviter la ruine. “Si on est au Smic, faut peut-être pas divorcer”, c’est vrai. Et c’est tragique, aussi, que dans notre société, le prix de la liberté soit encore parfois impossible à payer.

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