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Au restaurant, la frontière est fragile entre politesse et sexisme

Kathleen Wuyard

On reconnaît les grands établissements des tables ordinaires à leur respect des bonnes manières, et tout particulièrement des règles de galanterie qui exigent que la femme soit servie en premier et que l’on lui tire sa chaise quand elle s’assied et se lève. Mais si plutôt que de la politesse, ces coutumes étaient en réalité du sexisme?


C’est en tout cas l’avis de Meredith Rush, la manager du restaurant Tied House, ouvert à Chicago en février dernier. Selon elle, il est en effet tout à fait possible, voire même nécessaire, d’avoir un service attentionné sans pour autant souscrire à la règle du ‘ladies first”. “Notre staff ne sert pas les convives selon leur genre, et essaie d’éviter les phrases style “ladies et gentlemen”. En gros, on applique le service le plus élégant possible, mais sans se soucier de si on a une femme ou un homme devant nous”. Une évolution qui peut sembler inutile ou exagérée, mais qui n’est finalement que la suite logique de l’abandon d’autres pratiques sexistes au restaurant.

Un menu féminin


Il n’y a pas si longtemps encore, la bienséance voulait qu’il existe des menus spéciaux pour les femmes, identiques en tous points à ceux des dîneurs masculins à l’exception près de la colonne des prix, laissée vide dans le menu féminin. Une pratique venue d’Europe, et devenue populaire dans les 70s dans les restaurants chics des Etats-Unis, jusqu’à un différend juridique en juillet 1980. Cet été-là, Kathleen Bick, une chargée de relations publiques, avait voulu inviter son business partner Larry Becker au restaurant et avait choisi L’Orangerie, un établissement haut-de-gamme de Beverly Hills tenu par un couple de français. Surprise, au moment de commander: alors que le menu de Larry comportait les prix des plats, celui de Kathleen, qui l’invitait pourtant au restaurant, n’en avait pas. Il n’en fallait pas plus pour les pousser à se lever de table, et à contacter en prime la célèbre avocate féministe Gloria Allred pour lui faire part de cette injustice.

Quand j’ai demandé à la propriétaire pourquoi il n’y avait pas de prix sur le menu donné aux femmes, elle m’a répondu que c’était parce que “une femme est une femme”. Et moi, je lui ai dit que c’était discriminatoire et que la pratique n’avait pas lieu d’être.


Sous la menace d’un procès ultra médiatisé, L’Orangerie a finalement accepté d’abandonner cette pratique, rapidement imité par les autres établissements du pays qui ne voulaient pas s’attirer les foudres de Gloria Allred. Et s’il est extrêmement rare aujourd’hui de se voir remettre un “menu pour femmes”, il est toutefois toujours fréquent de déposer l’addition devant l’homme.

Les femmes d’abord


Une pratique qui n’a pas non plus lieu d’être chez Tied House, où les dîneurs sont servis en fonction du numéro attribué à leur siège par le personnel de service (“le siège n°1 en premier, et puis dans le sens des aiguilles d’une montre”) et l’addition est posée au centre de la table. Et si pour le moment, personne n’a fait de commentaires, il n’en a pas été de même pour Jenny Moon, qui a voulu mettre en place un service non-genré en 2008, dix ans avant #MeToo, et a dû faire face à une pluie de critiques.

On nous a reproché de ne pas servir les femmes en premier, et plusieurs clients ont laissé des commentaires négatifs à ce sujet sur notre page.


Pour la sommelière américaine Moriya Bodie, ce n’est pas étonnant: “la vérité, c’est qu’on peut tenter de gommer le genre du service autant qu’on veut, il existe une différence entre les hommes et les femmes. Et quand on travaille dans l’industrie du service, notre rôle est d’en tenir compte et de s’en servir pour anticiper les besoin de chacun”. Ce qui ne veut pas dire pour autant que c’est forcément Monsieur qui payera l’addition.

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