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Accusé de ““recel d’objets volés””, le Musée de Tervuren renvoie la Belgique face à son passé colonial compliqué

Kathleen Wuyard

Ce jeudi 3 octobre, un collectif a porté plainte contre le Musée de Tervuren pour recel d’objets volés, plus précisément, le masque Luba, acquis lors du pillage d’un village congolais. Loin de nier les faits, le Musée affirme être parfaitement conscient de receler des objets acquis illégalement et cette réponse pose problème.


On imagine mal nos lointains cousins américains penser avec mélancolie au doux temps de l’esclavage et s’enorgueillir de posséder des oeuvres volées au peuple oppressé. Ou plutôt, non, on peut très bien se les représenter puisqu’on les a vus lors des rassemblements racistes de Charlotteville en 2017, visage haineux,  drapeaux confédérés et cagoules blanches du Ku Klux Klan. En Europe, les images ont monopolisé l’actualité et les condamnations se sont multipliées. Sauf qu’à trop garder le regard fixé vers les Américains, on en oublierait presque de s’intéresser à la situation chez nous. Pas de marches haineuses éclairées à la torche, certes. Mais pas vraiment mieux non plus quand on y pense. C’est que les Européens aussi se sont adonnés à l’esclavagisme dans les colonies, et dans la plupart des pays concernés, l’histoire coloniale reste un pan de l’histoire compliqué à aborder entre nostalgie des fastes économiques et honte réprimée. Nos voisins hollandais n’utilisent-ils pas l’expression “tempo doeloe” pour désigner le doux temps des colonies en Asie? Chez nous, le passé colonial s’affiche au Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren (désormais Africa Muséum), récemment rouvert après 5 ans de chantiers ayant eu pour objectif de présenter les collections avec un nouveau regard décolonisé. Loupé.

 

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This giant mask from Congo can be admired at @ the Egmont Palace in Brussels until the end of August!

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Ce jeudi 3 octobre, un collectif composé de juristes, d’avocats, d’universitaires et d’activistes a en effet déposé plainte contre le Musée de Tervuren. Motif: recel d’objets volés, en l’occurrence, le masque Luba, emblème du musée, qui aurait été dérobé lors du pillage d’un village congolais en 1896. La réaction du Musée? Ni déni, ni honte mais bien cet aveu d’être conscients que “de nombreux objets ont été dérobés avec violence à l’époque de l’État Indépendant du Congo, et envoyés ensuite en Belgique”. Où ils sont donc exposés, entre autres, à Tervuren.

Avec notre passé colonial, une partie de nos collections a été acquise lors d’expéditions militaires, par la violence, et sont des prises de guerre”


Admettons. Mais pourquoi ne pas envisager une restitution des artefacts concernés, à l’image des oeuvres dérobées aux Juifs par les Nazis et rendues aujourd’hui à leurs familles? Selon les représentants du Musée, “pour les Congolais, le retour des collections n’est pas quelque chose de prioritaire, car ils n’ont pas de lieux de stockage adaptés (...) Aujourd’hui, il y a encore 40.000 à 50.000 pièces ethnographiques qui sont aujourd’hui dans des conditions déplorables. Ils nous demandent une aide à ce niveau”. Si la problématique est réelle, son explication est on ne peut plus maladroite, et rappelle toute la complexité du passé colonial belge dans la mémoire collective. Un rapport auquel faisait référence Roméo Elvis sur son titre “Belgique Afrique”.

J’suis vraiment fier d’être Belge. Même si j’ai honte de nos ancêtres, ah c’est du passé. Vive notre économie (quoi ?), on n’en serait pas là sans les colonies. Et même si je suis vraiment fier d’être Belge. J’ai quand même honte de ce qu’on enseigne, Theo Francken”


Petite victoire pour le collectif ayant déposé plainte contre le Musée? Leur action aura permis d’arrêter la vente prévu ce vendredi 4 octobre des manuscrits de l’officier Albert Lapière, qui faisaient état du pillage du village où a été dérobé le masque Luba, mais aussi d’autres crimes ainsi que d’esclavage et de travail forcé. Les écrits, qui devaient être vendus aux enchères, ont finalement été acquis par la Fondation Sindika Dokolo, du nom d’un collectionneur d’art africain qui a garanti que les documents resteraient accessibles au public. Par exemple, en les prêtant au Musée de Tervuren, qui est toujours dans le viseur des activistes. Ainsi que l’a rappelé l’un d’entre eux au micro de la RTBF, “depuis au moins 1948, date à laquelle le musée fait une copie du manuscrit, le musée de Tervuren est au courant de l’origine illicite de ce masque. Il ne s’en cache pas, mais il ne se rend pas compte que le recel est un délit pénal”. Et de souligner que le Musée est “supposé le restituer sans contrepartie”. Affaire à suivre. En attendant, du côté du Musée, on prépare la première exposition temporaire dans le cadre rénové, qui devrait accueillir les visiteurs dès juin 2020. Le thème? L’origine des collections exposées.

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