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FAUT QU’ON PARLE: le pire dans la série Insatiable, c’est la violence des critiques à son égard

Kathleen Wuyard

Avant même d’être diffusée, la nouvelle série Netflix, Insatiable, faisait déjà parler beaucoup d’elle, et pas en bien. “Grossophobe”, “homophobe”, ou encore “transphobe”, c’était à qui aurait la critique la plus dure envers la série. Laquelle, si elle est fondamentalement ratée, ne mérite toutefois pas toutes la polémique qu’elle a attiré.


Disons le d’emblée: oui, Insatiable est une mauvaise série. Les caractères ne sont pas suffisamment développés, leurs dialogues tombent quasi toujours à plat, le “fat-suit” enfilé à l’actrice principale est un des moins convaincants jamais vus à l’écran (non, les personnes en surpoids n’ont pas 6 mentons, un ventre de Bibendum et des jambes et des bras relativement fins) et pour qui la regarde en v.o., en prime, l’accent du Sud des States est massacrés par les acteurs choisis, originaires pour la plupart de la côte Est. Un vrai fiasco donc. Et pourtant, de prime abord, le scénario n’avait rien de différent de la plupart des séries ou films pour ados, centrés sur un personnage principal victime de moqueries pour son physique jusqu’à sa transformation et a) sa revanche sur ceux qui lui en ont fait baver b) son baiser final avec le mec ou la meuf inaccessible du lycée.

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Ici, Insatiable suit les (més)aventures de Patricia alias Patty, une ex-obèse devenue mince après qu’un clochard lui ait cassé la mâchoire d’un coup de poing, la forçant au régime liquide et à perdre beaucoup de poids rapidement ce faisant. Quand on sait que le clochard l’a frappée parce que Patty refusait de partager sa junk food avec lui, on comprend rapidement que le scénario de la série ne va pas remporter un Oscar. Même si fondamentalement, l’histoire de la fille rejetée qui se transforme physiquement, devient reine de beauté et en fait baver à ses anciens tortionnaires se retrouve en intrigue principale ou secondaire dans la plupart des films d’ado. Sauf qu’Insatiable est sorti en 2018, pas en 1998, et que la police bien-pensante n’a jamais eu autant de canaux pour crier son mécontentement. Ni porter des accusations immédiatement diffusées dans le monde entier, sans se soucier qu’elles soient ou non fondées.

Exorciser ses démons


En l’occurence, la créatrice de la série Lauren Gussis est donc accusée d’être grossophobe, homophobe et transphobe, rien que ça. Des accusations d’autant plus blessantes pour celle qui a notamment travaillé sur la série Dexter que Lauren Gussis affirme avoir voulu réaliser Insatiable pour faire taire ses propres démons.

Quand j’avais 13 ans, ma meilleure amie a décidé qu’elle ne voulait plus de moi, j’étais harcelée à l’école, et je voulais me venger. Je croyais que si j’étais belle à l’extérieur, je le ressentirais à l’intérieur et j’aurais enfin le sentiment de valoir quelque chose. Au lieu de ça, j’ai développé un trouble alimentaire et le genre de rage qui pousse aux idées noires.


Car c’est bien de ça qu’il s’agit dans la série, même s’il est difficile de se concentrer sur le message avec les vannes ratées à la chaîne et les accents peu crédibles: bien que Patty soit devenue jolie au sens conventionnel du terme et que les garçons se battent pour sortir avec elle, à l’intérieur, elle se sent toujours aussi mal (si pas plus) qu’avant.

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Elle a beau faire la taille dont elle a toujours rêvé, cela n’a rien fait pour effacer la noirceur en elle et elle réalise qu’avoir le physique de ses rêves ne suffit pas à changer sa vie. Un état d’esprit que Lauren Gussis connaît bien et qu’elle a tenté de transmettre sans succès dans la série.

Je ne suis toujours pas bien dans ma peau... Mais j’ai décidé de partager ce qui était à l’intérieur de moi, ma douleur et ma vulnérabilité, et de le faire avec humour parce que c’est comme ça que je fonctionne.


Lauren Gussis voulait faire une satyre, mais son humour est visiblement incompris et lui vaut un torrent d’accusations et même, des pétitions demandant l’arrêt de la diffusion de la série. Et si certaines des “blagues” d’Insatiable et des intrigues de la série (l’ado amoureuse de l’adulte marié qui se révèle en réalité être un gay refoulé ?!) sont franchement à la limite, exiger la censure de la série la franchit.

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Danger de censure


Pour rappel, la censure est une mécanique utilisée par les régimes totalitaires pour faire taire les voix divergentes et s’assurer qu’il n’y ait qu’un seul type de message qui soit diffusé. Et si la vague de “body positivisme” qui a pris d’assaut les réseaux ces derniers temps est louable et salutaire, la vérité, c’est que tout le monde ne vit pas son surpoids comme ça et que la rage et la noirceur ressenties par Patty sont une réalité pour certaines filles, à commencer par la créatrice de la série qui s’est confiée au Hollywood Reporter.

Je pense que nous sommes vraiment en danger de censure si nous décidons que nous devons tous raconter des histoires d’une certaine manière pour que tout le monde se sente en sécurité. Si entendre ces choses est inconfortable, je le comprends, ce sont des sujets sensibles. Mais je ne pense pas que l’on doit être réduit au silence. Je pense que la solution est de dire les choses, pour que nous puissions en parler. C’est représenter la vérité, par opposition à une autre version idéalisée de la vérité qui n’est pas vraiment vraie, qui nous éloigne encore plus d’une conversation honnête et d’une meilleure compréhension mutuelle.


Reste que quoi qu’en dise Lauren Gussis, l’incompréhension quant à ses véritables intentions semble être la plus totale. Et tant pis si elle souligne que “la série est un avertissement des dangers de juger sur l’apparence, sans se renseigner” et que ses critiques font exactement pareil à l’égard d’Insatiable. En attendant, le diction veut qu’en bien ou en mal pourvu qu’on en parle et la controverse autour de la série n’aura pas manqué de faire une sacrée campagne de pub à Insatiable. Tout aussi peu méritée que la violence des critiques à son égard: si Insatiable est offensante, c’est surtout tellement son humour est lourd et ses intrigues, des clichés éculés. Vous serez prévenues si vous décidez tout de même de la regarder...

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