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““I Feel Pretty””, un film au message pas forcément décomplexant

Kathleen Wuyard

Avec son nouveau film qui montre une héroïne soudain persuadée d’être superbe, Amy Schumer a été largement encensée, au prétexte que I Feel Pretty permettrait de relativiser et de se sentir mieux dans sa peau. Sauf qu’au lieu d’être décomplexant, le film aurait plutôt tendance à faire du négationnisme des complexes et à avoir l’effet inverse.


Et pourtant, sur papier, I Feel Pretty a tout pour plaire. D’abord, le pitch: après une chute en plein cours de sport, Renee, une jeune femme manquant cruellement de confiance en elle, se trouve tout à coup superbe. Fous rires à la clef, forcément, surtout quand elle décide de devenir mannequin ou de tout donner dans un concours de Miss T-shirt mouillé. D’ailleurs, le film ne peut être qu’une pépite puisqu’à la réalisation, on retrouve Abby Kohn et Marc Silverstein, le duo à qui on doit notamment cette merveille de Never Been Kissed. Chouette scénario, réalisateurs de choc et en prime Amy Schumer en tête d’affiche, tous les ingrédients d’un succès fulgurant étaient réunis. D’autant plus qu’en prime, le film promettait officieusement d’effacer les complexes des spectatrices en leur faisant comprendre que c’est dans leur tête, tout ça, et qu’elles sont belles. Un message louable, certes, mais qui aurait plutôt tendance à avoir l’effet inverse.

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Le négationnisme des complexes


Car au-delà du scénario rigolo et de la morale qui se veut réconfortante, I Feel Pretty propage en effet un discours de plus en plus répandu, tant et si bien que les psychologues américains lui ont donné un nom: le négationnisme des complexes. Autrement dit: “il faut s’accepter telle que l’on est, l’apparence n’a pas d’importance, la beauté vient de l’intérieur”. Furieusement dans l’air du temps, ce message se propage à grands coups de hashtags invitant les filles à montrer leur vergetures et leurs bourrelets tandis que les marques sont de plus en plus nombreuses à utiliser des mannequins non retouchées qui montrent les vêtements et leur cellulite au passage. Rien de plus beau que l’authenticité et la confiance en soi, finalement. Sauf que si c’était si simple, ça se saurait. Et puis ce discours aurait tendance à être relativement hypocrite.

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L’inégalité des sexes, même face aux complexes


Ou plutôt, n’ayons pas peur des mots, sexiste. Parce que aussi bien pensant soit-il, ce discours sur la beauté intérieure et l’importance de s’accepter telle que l’on est semble quasi exclusivement dirigée vers nous les filles. Sur Instagram, personne ne pousse les hommes de moins d’un mètre 50 à s’affirmer parce que #smallisbeautiful et franchement, c’est trop cool d’être un petit mec. Pareil pour les chauves, qui ne sont pas invités à arrêter de tenter de remédier à leur perte de pilosité et à poster des photos de leurs crânes luisants, #vivelacalvitie. Bien sûr, les vergetures et les bourrelets ne concernent pas uniquement les femmes, mais en scrollant parmi les photos body positive, les hommes sont on ne peut plus rares.

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Un discours bien-pensant ultra culpabilisant


Et cette division genrée n’est pas le seul élément dérangeant du négationnisme des complexes, qui est en plus vachement culpabilisant. Ainsi, il n’est désormais plus rare lors d’une discussion entre fille, que celle qui confie ne se sentir bien qu’avec un peu de maquillage, même en lendemain de veille, soit traitée comme un Alien complétement superficiel voire accusée de le faire uniquement pour plaire à son mec. Quand la discussion autour de tel ou tel complexe ne se transforme pas en pénible leçon de vie centrée sur le refrain usé de “non mais arrête, y’a pire tu sais”. Bien sûr, qu’il y a pire que deux kilos en trop (réels ou perçus) ou bien une frange qui refuse obstinément de faire ce qu’on voudrait. Mais pour info, s’en préoccuper n’équivaut pas à être une garce totalement auto-absorbée, ni à mettre ces petites failles dans l’estime de soi sur un pied d’égalité avec l’angoisse du chômage ou le calvaire des réfugiés en Syrie. On est tout à fait capables de penser à mille chose à la fois, merci, et si il y en a une seule qui risque de nous faire perdre la boussole, c’est la schizophrénie qui règne en ce moment autour de la beauté.

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Complexer d’être complexée


Dans son livre “Perfect Me”, la professeur de philosophie britannique Heather Widdows martèle sur plusieurs centaines de pages, exemples à l’appui, que jamais à aucun moment de l’Histoire la société n’a mis une telle importance sur l’apparence, l’importance d’être mince, d’avoir l’air jeune et en bonne santé. Et pourtant, en marge de ces attentes souvent inatteignables, on nous enjoint de surtout se sentir bien dans notre peau, parce que c’est comme ça au final qu’on est les plus belles, et d’ailleurs, ce qui compte, c’est ce qui est à l’intérieur. Un message qui se veut positif mais qui est en réalité critique, puisqu’il sous-entend de manière sous-jacente qu’il y a quelque chose de mal à rêver d’être juste un peu plus grande, ou un peu plus mince. Au final, marteler que ça suffit avec les complexes, ça ne fait qu’une chose, nous filer un complexe supplémentaire, celui d’être complexée.

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