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© Getty Images

FAUT QU’ON PARLE: de la pression du ““bon”” âge pour accomplir les choses

Barbara Wesoly

Ton premier enfant, tu l’as eu à quel âge? Et ton permis de conduire? Trente ans et pas en couple? Et acheter une maison, tu y penses? Et cette carrière? Il serait temps de s’y mettre. Et sinon, si on arrêtait de mesurer le bonheur, la réussite et l’accomplissement sur une échelle temporelle de l’absurde?


Cela commence insidieusement, dès les premiers jours. Les premiers mois. Des chiffres synonymes de victoire ou d’échec. Et surtout de norme. Dans ce carnet de naissance qui nous accompagne et chez le pédiatre, reviennent les mêmes questions lancinantes. Quand a-t-elle fait ses nuits? À quel mois a-t-elle commencé à s’asseoir. Marcher. Parler. Tenir une fourchette. Savoir faire une phrase. Nulle part on ne demande d’inscrire quand pour la première fois est apparu un sourire ou l’émerveillement de jouer avec des cailloux. Des données qui sont jugées futiles quand il s’agit de qualifier l’évolution, de vérifier si chaque enfant suit bien la courbe imaginaire de progression qui lui est assignée.

Et cela continue ensuite. À cinq ans, l’on est censé savoir se tenir sur un pied. Une fois terminé la première ou deuxième primaire, on doit pouvoir lire et écrire. La fin des secondaires doit représenter le passage à l’âge adulte. Et mieux vaut les achever à 18 ans, sans avoir doubler. Vers vingt-trois ans, il faut trouver un travail, se créer une situation confortable. À vingt cinq ans, on est censé être en couple et commencer à envisager les principes de bébé/vie commune. Si à trente-cinq ans l’on n’a ni l’un ni l’autre, c’est d’ailleurs plus que suspect. Symbolique de déboire social.

Le bon timing


Ainsi s’accumulent les dominos des conventions. L’un en entraînant l’autre à sa suite vers une lignée de vie standardisée. Tel un jeu vidéo, où chaque mission achevée entraîne le plaisir de l’accomplissement. Nous sommes conditionnés à être fiers d’avoir suivi le bon timing, voire pour les plus émérites, de l’avoir surpassé. En une compétition du non-sens contre les autres et nous-mêmes, dont la ligne d’arrivée ne mène absolument nulle part. Qui en effet, une fois que vous êtes adulte, s’inquiète de l’âge auquel vous avez su lacer vos chaussures? Ou de celui ou vous avez pour la première fois mangé une panade? Qui se tracasse que vous ayez mis quatre ans au lieu de trois pour ce bachelier? Et rencontré l’amour de votre vie passé 30 ans?

C’est la question fondamentale. À qui diable rendons-nous des comptes?

À personne. À tout le monde. Au monde. À ces attentes qui se transmettent presque génétiquement. Aux inquiétudes de nos parents de ne pas nous voir grandir comme il faudrait. De faillir à faire de nous des êtres réussis. À nos professeurs, nos proches, notre entourage, ou l’inconnu du trottoir d’en face. À tous ceux dont on pense qu’ils nous jugent à l’aune de leur propre succès sur cette échelle de valeurs. À nous-mêmes aussi, lancés depuis les premiers pas sur ce tableau statistique de vie.

Et si le temps de cinq minutes, on changeait les règles? À la manière d’un Monopoly dont on réécrirait les noms des rues et où on n’achèterait plus des hôtels et des maisons mais des feuilles et des nuages? Si on dressait notre propre Produit Intérieur Brut? Un PIB qui ne se mesure pas en argent mais en richesse personnelle, et dont la monnaie est unique et propre à chacun? Un indice de bonheur totalement subjectif, de réussite à être soi, à être en accord avec soi.

Choisir que le monde soit autre chose qu’un immense bulletin de cotations. Qu’une fiche horaire où l’on ne peut que finir par arriver en retard. Autre chose que des murs qui nous contraignent.

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