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Violence gratuite, éloge de la folie: pourquoi le film ““Joker”” fait polémique

Kathleen Wuyard

“Un chef d’oeuvre”. “Une honte”. Avant même sa sortie, la version 2019 du “Joker” divisait déjà l’opinion publique, et maintenant que le rideau est levé, la polémique ne fait qu’enfler. Tandis que d’aucuns applaudissent le génie du réalisateur et du jeu de Joaquin Phoenix, d’autres quittent les salles en pleine projection, quand ils n’appellent pas simplement au boycott. Mais why so serious, au fait?


La dernière fois qu’il était apparu sur les écrans, c’était en 2008, incarné par l’inoubliable Heath Ledger dans “The Dark Knight”. Oh, bien sûr, Jared Leto a bien prêté ses traits au Joker en 2016 pour les besoins de “Suicide Squad”, mais le leader de 30 Seconds to Mars ne pouvait rien face à l’interprétation magistrale du regretté acteur australien. Maquillage dégoulinant, phrasé glaçant et gestuelle théâtrale, Heath Ledger avait pris le Joker et en avait fait non plus un simple méchant mais un véritable cauchemar. “Why so serious?” demandait-il d’un air dérangé dans le film, et sa violence avait visiblement résonné comme un cri de ralliement outre-Atlantique. Lors de la diffusion du second volet, “The Dark Knight Rises”, James Eagan Holmes avait en effet ouvert le feu dans un cinéma d’Aurora, dans le Colorado, tuant 12 personnes et en blessant 58 autres à l’arme automatique. Un acte de violence absolument gratuite. Et c’est là que la polémique autour du “Joker” version 2019 trouve racine: glaçant de violence, il est accusé par les proches des victimes de la tuerie d’envoyer un message maladroit, tout particulièrement en ce qui concerne l’utilisation des armes à feu.

Dangereuse empathie


À l’écran, Joaquin Phoenix incarne Arthur Fleck, un habitant de Gotham City vivotant en se grimant en clown, et progressivement happé par une folie destructrice et meurtrière.

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Autre problème selon les proches des victimes d’Aurora, mais aussi les critiques? La rationalisation de la violence du personnage. Arthur Fleck n’est pas mauvais, il le devient, ou plutôt, on le pousse à le devenir en ne lui témoignant ni compassion ni empathie et en éteignant peu à peu la moindre étincelle d’humanité en lui. Inacceptable pour les proches des victimes, qui l’ont fait savoir à la Warner Bros dans un communiqué.

Nous sommes les familles et les amis des 12 personnes tuées à Aurora lors de la diffusion du film The Dark Knight Rises le 20 juillet 2012. Cet évènement tragique, perpétré par un individu isolé socialement qui se sentait “trahi” par la société a changé le cours de nos vies (...) Quand nous avons appris que Warner Bros. sortait un film […] qui présente le personnage comme un protagoniste ayant une histoire avec laquelle on peut entrer en empathie, ça nous a fait réfléchir”


Et ils ne sont pas les seuls: outre la mise en perspective de la violence comme une réponse légitime à une intégration sociale difficile, “Joker” est également accusé de servir d’étendard à la culture incel, ces “involuntary célibats” qui blâment leur célibat sur la gent féminine et en développent une haine des femmes qui peut parfois les pousser à tuer.

Après tout, “Joker” ne raconte-t-il pas l’histoire d’un homme rejeté par la société mais aussi et surtout par sa jolie voisine de palier, et dont le seul salut se trouve dans des pulsions de rage meurtrière? Outre-Atlantique, l’armée américaine et les services secrets avaient d’ailleurs mis en garde contre la probabilité de tueries perpétrées par des incels lors de la diffusion du Joker. Sauf que loin d’être le porte-drapeau d’hommes transformant leur frustration sexuelle en violence, Arthur Fleck est plus complexe. Bien sûr, il est en colère, mais plus contre ses circonstances personnelles que contre un quelconque système qui l’exclurait.

Violence insoutenable


Le Joker, un dangereux modèle qui pourrait inciter à la violence? Des accusations que son interprète, Joaquin Phoenix, ne prend pas à la légère: lors d’une interview visant à promouvoir le film, il aurait réagi de manière viscérale à un journaliste qui lui demandait s’il ne craignait pas que son personnage inspire la violence. Murmurant “pourquoi me demanderiez-vous cela”, il aurait ensuite quitté la pièce et ne serait venu finir l’interview qu’une heure plus tard, après que le réalisateur du film, à qui on doit aussi “Very Bad Trip”, soit parvenu à le convaincre.

Reste que peu importe le message que l’on choisit de voir derrière la violence du “Joker”, celle-ci reste difficile à digérer. D’ailleurs, lors de son week-end de sortie, les tweets de spectateurs ayant ressenti le besoin de quitter la salle se sont multipliés, d’aucuns affirmant “ne s’être jamais sentis aussi mal à l’aise”, d’autres lui reprochant une “glorification de la violence” impossible à regarder. Aux States, des spectateurs ont également quitté la salle en pleine séance mais pour d’autres raisons plus effrayantes encore: un individu au comportement “suspect” a été repéré dans un cinéma de Long Beach, en Californie, poussant les spectateurs à évacuer. De quoi tirer le rideau sur le film dès sa première semaine de sortie? Au contraire. Malgré ou peut-être justement grâce à la polémique, le film a caracolé en tête du box office nord américain avec pas moins de 93.5 millions de dollars de recettes dès son premier week-end. Et les accolades pourraient bien ne pas s’arrêter là: après l’Oscar posthume reçu par Heath Ledger pour son interprétation du méchant clown de Gotham, Joaquin Phoenix est à son tour pressenti pour recevoir une statuette dorée. Une bonne raison de “put on a happy face”...

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