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Je suis hypersensible et j’ai du mal à faire de ce trait de caractère un atout

Manon de Meersman

Je suis hypersensible. Et rien que d’écrire ces mots me soulève le coeur. J’ai les mains moites. Les yeux qui brillent. Les pensées qui fusent dans tous les sens. Comment fait-on pour accepter ce trait de sa personnalité? Comment transforme-t-on des émotions intenses et exacerbées en atout? Comment vivre l’hypersensibilité au quotidien, sans qu’elle ne déborde sur chaque dimension de notre existence?

On dit qu’une personne sur cinq naît avec une hypersensibilité exacerbée. J’en fais partie. Et je ne mets des mots dessus que depuis peu. Hyperquoi, au juste? Je suis sensible à l’humeur des autres et l’environnement qui m’entoure. Je réfléchis beaucoup. Le moindre détail suscite en moi des émotions. Je me sens vite débordée lorsqu’on m’en demande beaucoup en peu de temps. Les changements me touchent. J’évite les conflits. Je suis attentive aux odeurs, aux bruits, aux sensations sur ma peau. Je parle beaucoup de ce que je vis à l’instant T. Je suis perfectionniste. Je suis impulsive et m’énerve vite lorsque l’effervescence déborde autour de moi. Et je me suis toujours sentie différente pour ces raisons. J’ai souvent ri de ce trait de caractère de ma personne, usant d’auto-dérision pour faire diversion. Bien que l’hypersensibilité soit une caractéristique commune à bien des personnes, et que chacun interprète cette dernière à sa façon, l’unicité de l’humain rend ce trait davantage complexe. Et j’ai beau me dire que nous sommes nombreux·ses à être hypersensibles, cela n’enlève en rien la difficulté que j’ai à l’accepter. Car savez-vous, combien de fois n’ai-je pas entendu: “Mais quelle chance tu as! Profites-en.” Ah, si seulement c’était si simple!

 

Se sentir incompris

Dans son livre “Hypersensibles – Mieux se comprendre pour mieux s’accepter”, la psychologue Elaine N. Aron explique que “les hypersensibles sont assaillis par une foule de messages et reçoivent des nuances qui échappent aux autres. Ce qui semble normal aux autres [...] peut se révéler extrêmement stimulant et, donc, stressant pour les hypersensibles.

La majorité des gens ignorent le vrombissement des sirènes, l’assaut des lumières éblouissantes ou d’odeurs fortes, le tohu-bohu et le chaos. Les hypersensibles, eux, en ressentent une grande perturbation.”

“Les hypersensibles sont capables de ressentir des degrés de stimulation qui échappent aux autres, qu’il s’agisse de lumière ou de sons subtils, ou encore de sensations physiques telles que la douleur, explique Elaine N. Aron. “Ce n’est pas que vos sens soient plus acérés que ceux d’autres. Quelque part, juste avant le cerveau ou dans le cerveau même, les informations reçoivent un traitement plus méticuleux. Les hypersensibles réfléchissent davantage à tout ce qui les entoure. Cette sensibilisation accrue au monde subtil fait de nous des êtres intuitifs, qui traitent les informations de manière semi-consciente, voire inconsciente. Très souvent, nous “savons”, sans comprendre pourquoi ni comment.”

Mais comment je fais alors, moi? Comment je fais pour ne plus me sentir bousculée et stimulée par l’excès? Comment je fais pour, lorsque j’entre dans une pièce, ne plus percevoir l’humeur des gens et m’en imprégner? Comment je fais pour ne plus compter que sur mon feeling et mon intuition lorsque je rencontre de nouvelles personnes? Comment je fais pour ne plus interpréter les tons de voix de mes interlocuteurs ainsi que leurs petites manies? Comment je fais pour ne plus user de l’introspection à chaque évènement de mon existence? Comment je fais pour arrêter d’analyser mes réflexions? Comment je gère cette hypersensibilité tout court? Ce sont ces questions qui m’amènent devant un portail dont je n’ai pas – encore? – les clés. Plantée devant, j’observe cette grande porte de l’hypersensibilité en regardant avec curiosité de l’autre côté via le trou de la serrure, histoire de voir comment ça se passe une fois qu’on fait de ce trait de caractère une force. Waouw. Ça a l’air gigantesque de l’autre côté!

L’hypersensible, cet être merveilleusement complexe

Je vois dans mon hypersensibilité un trait de caractère qui me met des bâtons dans les roues. Dans mes prises de décision, ma manière de réfléchir, la façon dont poser mes actions. Mais force est de constater que les hypersensibles sont indéniablement des êtres complexes. Il faut dire que l’âme et l’esprit habitent presque toutes les dimensions de ma vie. Dans ce cadre, l’hypersensible a cette capacité et cette conscience aigüe du passé ainsi que de l’avenir. Je me sens impliquée dans chaque dimension de mon existence, à des échelles différentes évidemment, mais je me sens voguer entre passé-présent-futur en permanence.

 

 

Ébullition, surchauffe, explosion. Chaque évènement qui m’arrive constitue une pluie d’émotions. Une grêle de ressentis. Une douche froide de sensations. Le tout impliquant le déferlement de questionnements: pourquoi suis-je comme ça?”

 

“Beaucoup de chercheurs pensent que le cerveau contient deux systèmes, dont l’équilibre crée la sensibilité. Le première, le système d'”activation du comportement” (ou d”approche” ou encore de “facilitation”) est branché aux parties du cerveau qui reçoivent des messages des sens et transmettent aux membres l’ordre de s’activer. Ce système a pour but de nous pousser vers les nouvelles situations. [...] Lorsque le système d’activation fonctionne normalement, nous faisons preuve de curiosité, d’audace, d’impulsivité”, explique Elaine N. Aron. “L’autre système porte le nom d'”inhibition du comportement (ou de “retrait”). Il nous éloigne des situations nouvelles, nous rend attentifs à la présence du danger, nous place en état d’alerte, nous incite à la méfiance, à l’observation des indices. [...] Ce système enregistre toutes les données relatives à une situation avant de comparer automatiquement le présent avec ce qui était normal et habituel dans le passé et ce à quoi il faudrait s’attendre à l’avenir. Si l’écart est trop grand, le système nous incite à marquer une pause, en attendant d’avoir analysé la nouvelle situation. [...] À quelle catégorie appartenez-vous? questionne l’autrice. Votre système de retrait régit-il votre existence, tandis que votre système d’activation demeure en veilleuse? Vous contentez-vous d’une petite vie tranquille? Ou bien vivez-vous un conflit permanent? Vous élancez-vous constamment vers la nouveauté tout en sachant pertinemment qu’ensuite, vous serez épuisé·e?

Accepter que l’on est différent

Prendre le temps d’accepter son hypersensibilité est complexe. Et je suis encore loin d’y arriver. D’autant plus qu’il y a dans l’hypersensibilité un côté qui me dérange fortement: l’impression qu’en étant hypersensible, on appartient à une catégorie « supérieure ». Bien évidemment, aucun hypersensible ne se sentira comme tel. Justement parce qu’il est hypersensible. Pourtant, il s’agit d’une croyance qui persiste. Et peut-être qu’elle constitue l’une des raisons pour lesquelles j’ai bien du mal à me dire que j’accepte ce trait de ma personnalité? En revanche, je me le demande:

 

 

Qu’arriverait-il si je parvenais à admirer mon empathie? Ma nervosité permanente et mon anxiété claudicante? Mon instabilité émotionnelle? Mes réflexions épuisantes? Mon hyperesthésie? En somme: si j’arrêtais de voir mon hypersensibilité comme une aporie, mais plutôt comme un cadeau du ciel, un atout… Oserais-je dire: une chance?”

 

 

Finalement, dans le fond, le « self-love », ce n’est pas uniquement accepter son corps, se trouver belle·beau, admirer la personne que l’on est et que l’on construit de jour en jour. Le « self-love », c’est aussi mettre des mots sur qui on est, oser faire de sa personne celle qu’on veut devenir, avec ce que la vie nous offre. L’acceptation constitue un chemin semé d’embûches. Mais mettre le doigt sur ce qui nous touche, ce qui nous travaille, ce qui fait de nous ce que nous sommes, c’est déjà être plus loin qu’on ne le pense, non?

“Hypersensibles – Mieux se comprendre pour mieux s’accepter”, Elaine N. Aron, Éd. Marabouts. En vente au prix de 9,65€ chez Filigranes

Crédits photo: Getty Images

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