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Témoignage: ““Je suis enceinte de mon homme décédé””

Barbara Wesoly

Il y a 9 ans, le compagnon de Nelly, 35 ans, est mort d’un cancer du poumon. Lorsqu’il est parti, Nelly a perdu l’amour de sa vie. Mais grâce à une implantation post-mortem, elle a pu donner naissance à un bébé, fruit de leur amour.


“Lorsque j’ai croisé Benoît pour la première fois, je m’en suis voulu de ne pas lui avoir demandé son prénom. Quand on s’est revus une semaine plus tard dans le même bar, nous avons tout de suite entamé la discussion. Entre nous, l’osmose était totale. Très vite, nous sommes devenus inséparables. Nous avons vécu un an et demi de bonheur total. Ensuite, Benoît est tombé malade: lorsqu’il toussait, il crachait du sang. Même si ces symptômes ne l’alarmaient pas plus que ça, il a décidé, d’aller consulter un médecin, qui l’a à son tour envoyé à l’hôpital pour faire une radio. Les médecins lui ont expliqué que les douleurs et les saignements étaient les suites d’une embolie pulmonaire. Ils lui ont prescrit des médicaments en lui assurant que son rétablissement était l’affaire de quelques jours. Malheureusement, la toux ne s’est pas calmée, au contraire. Nous nous sommes alors rendus dans un autre hôpital pour avoir un second avis. C’est sur base de cette seconde radiographie que le verdict est tombé.

Lorsque les médecins ont prononcé le mot cancer, notre monde s’est écroulé. Il avait une tumeur de 4 à 8 centimètres au poumon droit, accompagnée de métastases au niveau des ganglions.

Congélation de sperme


Lorsqu’on vous annonce une pareille nouvelle, surtout lorsqu’il s’agit d’un cancer du poumon, vous savez que la mort peut vous attendre à l’autre bout du tunnel. Je n’arrêtais pas de pleurer. Chaque fois que nous avions rendez-vous chez un médecin, j’attendais qu’il me dise qu’il pouvait sauver Benoît. Toute cette attente me rendait dingue. Le pire, c’est que le traitement qu’il devait subir avait un effet négatif sur la fertilité. Or, nous espérions l’un comme l’autre devenir parents. Nous avons donc décidé de nous rendre dans un centre spécialisé pour faire congeler son sperme. Peu de temps après, il a subi trois chimios qui ont permis de réduire la taille de la tumeur. Avant de pouvoir être opéré, il a également dû être soumis à 24 séances de rayons. À peine remis, il est passé au bloc où on lui a enlevé les deux tiers de son poumon droit. Malgré la lourdeur de l’intervention, il s’est rétabli en un temps record. Après deux semaines, il pouvait à nouveau monter et descendre les escaliers.

Plein d’espoir


Compte tenu du pronostic plutôt positif des médecins et de l’état général de Benoît, nous avons très vite parlé mariage. Nous étions déjà fiancés depuis un petit temps, mais à l’annonce de son cancer, nous avions postposé le projet. Nous nous sommes dit oui le 17 décembre 2004. Pour nous, ce mariage était synonyme d’un nouveau départ. Benoît allait si bien que nous envisagions l’avenir avec le sourire. Les médecins qui le suivaient nous assuraient que les scanners laissaient un bon espoir pour la suite. Puisqu’en théorie, mon mari et moi pouvions à nouveau concevoir un bébé par voie naturelle, le service fertilité de l’hôpital nous a demandé ce que nous souhaitions faire avec le sperme congelé de Benoît.

Deux tumeurs au poumon gauche

Mon mari était tellement heureux de voir son état s’améliorer aussi rapidement qu’il a donné son feu vert pour qu’on le détruise. Grave erreur… En mars 2005, on nous a en effet annoncé que le cancer de Benoît était en train de récidiver.


Cette fois, la tumeur était plus importante et située dans le poumon gauche, dans une zone difficilement traitable. Pour la deuxième fois, j’ai eu la sensation que le monde s’écroulait. Tout à coup, je n’avais plus foi en rien, ni en personne. Benoît a été opéré en urgence. On lui a à nouveau enlevé une partie du poumon. Lorsque l’hôpital m’a téléphoné pour m’annoncer que l’intervention s’était bien passée, j’ai eu envie de sauter au plafond. L’étape suivante: une nouvelle cure de chimio. Comme il avait donné son accord pour la destruction de son sperme, il a dû subir un nouveau prélèvement. Cette fois, le sperme était de moins bonne qualité que lors du premier prélèvement. Pour que je puisse être enceinte, nous devrions obligatoirement passer par une FIV, selon une technique particulière qui consiste à mettre directement en contact un spermatozoïde avec un ovule en vue d’une fécondation. Cela nous donnerait une nouvelle chance de devenir parents un jour.

Arrêt cardiaque


Juste après le deuxième traitement de Benoît, les médecins nous ont donné de bonnes nouvelles. Même si nous refusions de crier victoire trop vite, il nous semblait désormais possible d’enfin envisager de faire notre premier bébé. Comme la FIV était la seule solution , j’ai passé tous les tests d’usage avant d’obtenir le feu vert des médecins. Malheureusement, la liste d’attente était extrêmement longue. Après tout ce que nous venions de traverser, nous n’avions plus envie de perdre du temps, e il nous a fallu passer par un centre à l’étranger pour pouvoir commencer le traitement. Le médecin que nous avons rencontré là-bas s’est montré très compréhensif. Il nous a d’emblée placés tout en haut de la liste d’attente. J’ai eu tout de suite droit à mes premières injections d’hormones. Un mois plus tard, les médecins ont procédé au prélèvement d’ovules. On m’a annoncé que j’avais 7 ovules utilisables. Dès la première tentative, je suis tombée enceinte. Malheureusement, à la première échographie, le gynécologue a vu que le cœur du bébé ne battait pas. Il a fallu procéder à un curetage. Cette intervention a eu lieu le jour de notre troisième anniversaire de mariage. J’avais l’impression que la vie ne nous faisait plus le moindre cadeau.

Aux portes de la mort


Malgré ce nouvel épisode difficile, Benoît et moi étions plus que jamais décidés à avoir un bébé. La deuxième tentative n’a pas mieux fonctionné que la première. Et comme si ce n’était pas encore assez, en avril 2008, les médecins ont à nouveau détecté des cellules cancéreuses dans les poumons de Benoît. Cette fois, avec des métastases au niveau de l’œsophage et des cordes vocales.

Malgré les pronostics très négatifs des médecins, nous n’avons pas baissé les bras. Benoît voulait vivre, mais il ne se sentait plus vraiment la force de subir des traitements aussi lourds que ceux qu’il avait endurés précédemment.


En mai, il est passé pour la troisième fois sur la table d’opération. Après l’intervention, son corps a moins bien réagi que les autres fois. Il souffrait d’infections diverses. Son état s’est fortement dégradé. Moi, de mon côté, j’étais encore en traitement en vue d’une nouvelle FIV. Je vivais dans un monde parallèle, sans vraiment réaliser que mon mari était en train de mourir.

Un prénom pour le bébé


Le 3 juin 2008, le jour de la mort de mon mari, j’ai subi un nouveau transfert d’embryons. Comme Benoît n’était pas en état de m’accompagner, il a dû rédiger un document, en présence de son médecin, stipulant qu’il donnait son accord pour qu’on utilise son sperme en cas d’essais ultérieurs, s’il venait à mourir. Nous avions déjà signé ce type de contrat à l’hôpital. C’est mon beau-frère qui m’a accompagnée. Cette fois, le transfert a réussi. Deux semaines plus tard, on m’a annoncé que j’étais enceinte. De retour à la maison, Benoît et moi avons lancé des idées de prénoms pour le bébé. Si c’était une fille, Benoît adorait Amy. Si c’était un garçon, ni lui, ni moi ne savions vraiment.

J’ai demandé à mon mari s’il acceptait que j’utilise ses spermatozoïdes, y compris après sa mort. ‘Je ne peux pas décider à ta place. Tu dois faire ce qui te rend heureuse’, m’a-t-il répondu. Trois heures plus tard, il est mort dans mes bras.

Tempête émotionnelle


J’étais ravagée par le chagrin. Impossible de trouver les mots justes pour exprimer dans quel état d’esprit je me trouvais à ce stade. Je sais que ça peut paraître stupide et absurde, mais je n’ai vraiment pas vu sa mort arriver. Tout à coup, je me suis retrouvée en train de régler les détails relatifs à ses funérailles. Lorsque j’ai découvert que je n’étais finalement pas enceinte, j’ai eu la sensation de toucher le fond. Si j’avais pu le rejoindre à ce moment-là, je pense que je l’aurais fait. Par chance, nous avions deux chiens dont je devais m’occuper. J’ai aussi reçu un soutien énorme de ma famille et de mes amis. Quelques semaines après son décès, j’ai repris contact avec l’hôpital. La mort de Benoît ne changeait rien au fait que je voulais avoir un enfant de lui. En juillet, j’ai obtenu un rendez-vous avec le médecin du service de fertilité. Il était convaincu que je voulais un bébé juste pour me consoler de la mort de mon mari. C’était faux. Ça faisait des années que j’espérais ce bébé.

Jusqu’au bout


Quelque temps après, j’ai obtenu un rendez-vous avec la psychologue du centre de fertilité. Selon elle, j’étais encore en pleine période de deuil et donc incapable de prendre ce type de décision. D’autant que très peu de femmes font le choix de poursuivre leur traitement après la mort de leur mari. Moi, de mon côté, j’étais décidée à aller jusqu’au bout. J’ai finalement décroché un nouveau rendez-vous quelques mois plus tard. Lors de cette nouvelle entrevue, j’ai été obligée de répéter une nouvelle fois toute mon histoire et d’expliquer dans quel état d’esprit je me trouvais.

J’ai redit que je n’avais pas changé d’avis par rapport à mon souhait de devenir maman. La psychologue m’a demandé quand j’allais enfin réaliser que mon mari était bel et bien mort. J’étais interloquée. Comment aurais-je pu ignorer que mon mari était mort?


En juillet 2009, c’est-à-dire 13 mois après le décès de Benoît, elle m’a finalement donné le feu vert. On m’a d’abord injecté des hormones avant de procéder à un nouveau prélèvement d’ovules. Cette intervention s’est parfaitement déroulée. Il ne restait plus qu’à espérer. Comme je n’avais pas la patience d’attendre des nouvelles de l’hôpital, mes sœurs ont acheté un test de grossesse à faire à la maison. Lorsque j’ai vu qu’il était positif, j’ai eu du mal à y croire. J’étais folle de joie.

Ma vie, mon choix


Au début, je n’ai pas voulu annoncer cette grossesse à tout le monde. Seuls mes proches amis et ma famille étaient au courant. Ce qui me rendait le plus triste, c’était d’entendre les réflexions de certaines personnes qui se permettaient de me dire que je pouvais m’estimer heureuse de ne pas avoir d’enfant. Et lorsque j’ai annoncé que j’étais enceinte, j’ai eu droit aux mêmes types de remarques. Certaines personnes trouvaient ça bizarre. D’autres refusaient de croire que j’avais fait ce choix délibérément. Or, c’était ma vie et mes choix. Et même si je ne pouvais pas partager la magie de ce moment avec Benoît, ma grossesse me rendait très heureuse. Je savais que ce serait un garçon et j’avais hâte de le serrer dans mes bras.

Coup de foudre


Alors que j’étais enceinte d’environ 4 mois et demi, je me suis rapprochée de Nathan, un ami de Benoît. Je l’ai recroisé en promenant mes chiens. Quand il m’a vue, il a été étonné de me voir enceinte. Entre nous, le courant est tout de suite bien passé. Un peu comme ça avait été le cas avec Benoît. Nous sommes sortis ensemble peu de temps après. Nathan n’a pas assisté à mon accouchement. Nous trouvions tous les deux que sa présence serait déplacée. Mes sœurs étaient heureusement près de moi. Le 28 mai 2010, mon fils Dylan est né. Dès les premières secondes, je suis tombée amoureuse de mon bébé. Je l’attendais depuis si longtemps… Ce jour-là, j’ai eu l’impression que mon rêve de toujours se réalisait.

Le même regard


Dylan a 7 ans aujourd’hui. Plus il grandit, plus il me rappelle son papa. Il a exactement le même regard! Même si Dylan est encore très jeune, il a déjà compris qu’il a deux papas. À la maison, nous parlons tous les jours un peu de Benoît. Je trouve important que Nathan puisse raconter à Dylan de chouettes histoires à propos de son autre papa. Nathan considère Dylan comme son propre fils. S’ils n’ont pas le même ADN, ils sont très soudés. Dylan sait que son papa veille sur lui depuis le paradis. Cela lui fait du bien de le croire, je pense.

Benoît aurait été un papa formidable. Il adorait les enfants. Je suis tellement heureuse d’avoir pu donner naissance à son enfant. Je ne regrette pas une seconde d’avoir fait ce choix.

Texte: Marijke Clabot et Marie Honnay. Photo: Thomas Legrève.


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