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© Getty Images

Témoignage: ““Je suis devenue orpheline à 9 ans””

Barbara Wesoly

Il y a presque trente ans, Gaëlle, 38 ans, a perdu ses parents dans un accident de vélo. Devenue orpheline à 9 ans, elle a été confiée à une tante, loin de ses deux frères.


“C’était une belle journée ensoleillée d’avril, il y a trente ans. Je faisais une promenade à vélo avec mes parents. Mamoune et Papou, toujours sur la route, voyageant beaucoup, profitant de la vie. Mes frères âgés de 16 et 17 ans n’étaient pas là. Heureusement. La voiture nous a fauchés. Papa est mort sur le coup, maman quelques heures plus tard. J’ai eu une fracture du crâne ainsi qu’une importante commotion cérébrale. Je me suis réveillée trois jours plus tard. Mes premiers mots ont été “mamoune” et “papou”… “Ils se reposent”, m’a répondu l’infirmière. Elle pensait certainement bien faire, me croyait trop faible pour apprendre la nouvelle. Mais je me sentais encore plus misérable et abandonnée. À cause de ma commotion, je souffrais de vomissements. J’avais mal et j’étais seule. Je voulais voir mes parents, pas les oncles et tantes qui veillaient à mon chevet avec un regard triste. C’est seulement après trois jours que l’une de mes tantes a réussi à convaincre l’infirmière que je devais être mise au courant: je n’arrêtais pas de demander quand je pourrais les voir. “Tes parents sont morts” m’a-t-elle déclaré froidement. Le sol s’est dérobé sous mes pieds. Je ne parvenais pas à y croire. Au départ, j’étais en colère. Contre tout le monde. Contre mon corps qui souffrait, mes parents qui m’avaient laissé tomber.

J’étais une petite fille de 9 ans, incapable de gérer des émotions aussi terribles, brutales. J’ai demandé une couverture car j’avais froid, puis je l’ai jetée car le lit était trop chaud. Je ne voulais ni manger, ni parler, je ne voulais plus vivre. Seulement sentir les bras réconfortants de ma mère autour de moi et entendre la voix rassurante de mon père. Mais ce n’était plus possible.


Et ça ne le serait plus jamais. Je n’étais plus l’enfant de personne. Cette voiture qui roulait beaucoup trop vite a fait de moi une orpheline. Ma famille a fait de son mieux pour m’épauler. Un oncle ou une tante dormait chaque nuit auprès de moi, on s’assurait que je ne sois jamais seule et je recevais de nombreux cadeaux. Mais ils ne pouvaient pas m’offrir la seule chose dont j’avais vraiment besoin: une explication, un sens à tout cela. Mes parents et moi n’avions jamais discuté de cette possibilité, jamais parlé de la manière de procéder si un tel drame se produisait. Je n’ai pas été autorisée à assister aux funérailles. J’étais sans cesse tenue à l’écart. J’étais une enfant, et je ne savais pas ce qu’on attendait de moi. Je ne voulais empirer la douleur de personne, ni faire pleurer qui que ce soit. Je me suis donc tue. Comme tout le monde autour de moi. C’était irréel.”

Le monde sans parents


“J’ai été autorisée à quitter l’hôpital deux semaines plus tard. J’aurais dû être heureuse de rentrer enfin à la maison, mais pour moi, ça voulait dire devoir accepter cette horrible réalité. Ou était-ce désormais, chez moi? Cela peut sembler incompréhensible, mais à l’âge que j’avais, perdre la vie que je connaissais était encore pire que de devoir affronter le monde sans mes parents. Je suis finalement partie habiter avec une de mes tantes qui avait deux enfants de mon âge. Mes frères ont, eux, été envoyés chez une autre de mes tantes. “Ce sera plus facile”, m’a-t-on dit. J’ai donc perdu mes parents, mais aussi tout semblant de famille. Quand mes frères sont venus me dire au revoir, ça a été terrible. Trente ans plus tard, je ressens toujours l’affreuse sensation de ce moment. Cette séparation était presque pire que de devoir me dire que mes parents ne reviendraient pas. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai compris que plus rien ne serait comme avant. Je me suis glissée dans le lit superposé de ma cousine, elle en haut, moi en bas, et je me suis dit: “ça y est, je vis maintenant dans cette maison, avec une famille que je ne connais pas très bien et que je dois maintenant voir comme la mienne”. Je serai éternellement reconnaissante envers mon oncle et ma tante de m’avoir accueillie chez eux, mais j’ai été déracinée. En tant qu’enfant, votre vie est déterminée par les personnes qui vous entourent. Et toutes mes références, tous mes phares avaient disparu. Je me couchais le soir en songeant: “Je ne suis plus ni la fille ni la sœur de personne. Alors qui suis-je maintenant?”

La fille orpheline


“Enfant, je n’étais pas pourrie gâtée, mais j’étais la petite dernière qu’on couvait et qui a grandi dans un bain d’amour. La fillette aux deux grands frères, timide et très aimée. Quand je songe à ma mère, je repense à son caractère attentionné et à sa volonté que tout soit bien fait, bien rangé. Femme au foyer, elle mettait les petits plats dans les grands et cuisinait les légumes de notre jardin. Le vendredi soir, je l’accompagnais au supermarché et je pouvais manger des chips. Mon plus beau souvenir semble tout droit sorti d’un film. Je la revois, chantant en faisant la vaisselle. Quand j’imagine mon père, je sens l’odeur des petits pains tout chauds. Il en ramenait chaque dimanche de la boulangerie et les posait sur le rebord de la fenêtre. Je me rappelle comment je grimpais sur ses genoux et à quel point je me sentais en sécurité dans ses bras.

Je sais que la vision que j’ai de mon enfance est sûrement romancée. Mais c’est en se retrouvant loin de sa famille qu’on réalise à quel point on aimait ces petites traditions et ces rituels. Mon oncle et ma tante avaient leur propre quotidien et leurs habitudes. Et je restais à part.


Auprès d’eux, j’essayais d’être aussi invisible que possible. Tandis qu’à l’école c’était tout l’inverse. Je ne voulais pas être “la fille qui a perdu ses parents” alors je me montrais extravertie, spontanée et bruyante. Si ma mère et mon père m’avaient vue, ils n’en auraient pas cru leurs yeux, tant j’étais différente de celle qu’ils connaissaient. Les jours devenaient des mois. Et nous ne parlions toujours pas de mes parents. Je me rendais parfois au cimetière et cela me semblait étrange. Je n’étais pas allée à leur enterrement. Comment être sûre qu’ils étaient bien là? Couchée dans mon lit, il m’arrivait de leur parler puis de me mettre à pleurer. Mais à part ça, je gardais ma peine pour moi. Comme n’importe quel enfant de mon âge, j’avais besoin de quelqu’un capable de me guider et de me montrer la voie. Je réalise aujourd’hui que cette impression de ne plus appartenir à rien ni personne m’a handicapée pour le restant de mes jours.”

Frères absents


“Mes frères avaient la chance d’être au début de leur vie d’adulte. Mon frère aîné s’est rapidement engagé dans l’armée et le second est parti étudier. Ils avaient des mobylettes, sortaient, mangeaient des bonbons. Nous avons progressivement perdu le contact, à l’exception d’une lettre occasionnelle venant de mon frère à l’armée. Et de temps en temps il venait me rendre visite, il faisait de son mieux. Mais notre lien déjà fragile à cause de la différence d’âge et du fait qu’ils étaient des garçons s’est encore affaibli avec la manière dont nous avons géré notre deuil. J’avais vécu neuf ans avec eux, trop peu à mes yeux. J’ai toujours tenté de garder une relation avec mes frères. Ils étaient les seuls à me relier à mes parents. Les voir s’éloigner m’a rendue très malheureuse. Je sais que les frères et sœurs s’affrontent souvent et ne s’entendent pas forcément. Mais le traumatisme que nous avons vécu a rendu notre histoire encore plus compliquée.

J’ai mis longtemps à poser à mes frères les questions qui me brûlaient les lèvres. À quoi ressemblaient nos parents? Comment était l’enterrement? Pourquoi a-t-il fallu vendre la maison? Pourquoi n’ai-je pas pu conserver plus d’objets? C’est seulement trente ans après que j’ai osé avouer ma colère à propos de nombreuses choses, et qu’ils m’ont enfin donné les explications que j’attendais.


Ils m’ont raconté que tout s’était fait dans l’urgence. Qu’ils avaient pensé agir comme il le fallait. C’est uniquement aujourd’hui, avec l’aide d’une thérapeute, que j’ose m’avouer que peut-être préfèrent-ils aussi ne pas se rappeler tous les détails. Heureusement, ils me racontent nos parents: les anecdotes, les histoires, les souvenirs. Mon frère aîné m’a récemment ainsi expliqué avoir un jour été au cimetière avec maman. Et qu’elle lui avait dit que, lorsqu’elle mourrait, il faudrait mieux prendre soin de sa tombe que certaines qu’ils avaient vues ce jour-là. J’aurais voulu savoir ça plus tôt! Aujourd’hui, je vais toutes les semaines la nettoyer. Mon grand frère a compris que je veux tout savoir d’eux, tant ce qui est beau que ce qui est douloureux.”

La peur de mourir


“Je suis devenue maman il y a cinq ans. Et plus ma fille grandit, plus je pense à ma mort. Cela peut sembler étrange aux autres mères, mais j’ai plus peur de disparaître que de perdre mon enfant. J’aime ma fille plus que tout et je ne veux vivre sans elle à aucun prix. Je sais aussi que je suis forte et capable de survivre au pire des chagrins. Mais je ne peux pas supporter l’idée que ma fille doive endurer la même chose que moi. Pas avant ses 18 ans… Je veux tout lui offrir, tant que je le peux. Je veux la combler d’amour, qu’elle se sente totalement en sécurité. Lui apprendre qu’elle peut être elle-même, toujours et partout, et qu’elle doit être forte. Je veux rester près d’elle, de préférence le plus longtemps possible. Ma plus grande angoisse est de mourir et qu’elle n’ait plus de maman. Et je me demande à chaque voyage si cela en vaut vraiment la peine. Dois-je partir en city-trip avec des amies? Et si l’avion s’écrase? Et s’il y avait un attentat?

Il m’arrive de faire des cauchemars dans lequels ma fille m’enterre. Heureusement ces pensées ne m’empêchent pas de vivre pleinement. Cela aussi, je le dois à la perte de mes parents. Ils avaient à peu près le même âge que moi aujourd’hui lorsqu’ils sont décédés. Je sais que la vie peut être aussi courte qu’intense et j’essaye donc de l’apprécier au maximum.


J’ai bien sûr déjà réfléchi à ce qui arriverait à ma fille si je disparaissais. Depuis que je ne suis plus avec son père, le risque de mourir ensemble est devenu quasiment inexistant. Curieusement, cela m’aide à être en paix. C’est un bon père et je sais qu’il prendrait bien soin d’elle. Je n’ai donc pas nommé d’autre tuteur. Et je veille à ce qu’elle ait suffisament de gens autour d’elle pour l’épauler. Elle n’a pas de grands-parents mais elle a mon frère aîné, nos amis, son père. Je veux qu’elle ressente tout l’amour qui l’entoure. D’où il vient m’importe peu. Je suis convaincue que l’on se remet de la mort de ses parents en se créant une deuxième maison, une deuxième famille. Et cela m’aurait tant aidée de pouvoir parler d’eux, d’évoquer leur souvenir. Heureusement les temps ont changé, et être vulnérable n’est plus honteux, au contraire.”

Un gouffre en moi


“L’année dernière, j’ai consulté un thérapeute pour la première fois. Trente ans après l’accident. Je me sentais enfermée dans ma peine. Il m’arrivait aussi de me mettre en colère, parfois sans raison, et c’était lié à ce que j’avais vécu. Lorsque les gens me trouvent négative, je me dis intérieurement: n’est-ce pas logique vu mon histoire? Il n’est pas facile pour les autres de percevoir l’intensité de mon chagrin. ‘Moi aussi je serais triste si je perdais ma mère. Je m’entends très bien avec elle’, me dit-on souvent. Même s’il serait inutile de comparer les différents degrés de douleur, ce que je ressens, c’est l’impression d’avoir un gouffre en moi. C’est n’est pas seulement la disparition de mes parents alors que j’étais très jeune, mais aussi de mes repères et mon identité. Le sentiment d’avoir un manque fondamental. Même après trente ans, je ressens parfois encore au fond de moi la petite fille de 9 ans qui vient de perdre ses parents.

Leur dire adieu


C’est aussi très différent de voir ceux qu’on aime mourir soudainement ou d’avoir eu le temps de leur dire au revoir. Je sais que chacun le vit différement et que beaucoup préfèreraient une fin rapide que de voir leurs proches souffrir. Mais j’aurais tant aimé pouvoir leur dire adieu. J’ai récemment écouté pour la première fois une cassette enregistrée par mon père. Mes premiers mots. On m’entend babiller avec mes frères. Puis arrive la voix de mon père et de ma mère. C’est mon bien le plus précieux. Si je savais que je devais mourir bientôt, j’en enregistrerai des centaines pour ma fille. Je lui dirais à quel point je suis fière d’elle, et que tout ira bien. Peut-être ai-je vécu trop longtemps dans le passé, manqué trop de choses. J’ai passé des années à souffrir du manque de l’approbation de mes parents, à imaginer leurs réactions. En secondaire, lorsque j’avais des mauvaises notes, j’étais déçue par moi-même. ‘Mamoune et Papou auraient surement trouvé ça très grave’, disais-je en pleurant à ma tante. Alors qu’en fait, ils auraient peut-être trouvé ça sans importance. Je veux transmettre cela à ma fille. Lui faire comprendre qu’elle est très bien, qu’elle n’a pas à jouer les grandes ou à être la meilleure. Et que je l’aimerai toujours.”

Trois questions à l’avocate Elfri De Neve, spécialisée en droit de la famille


Que se passe-t-il lorsqu’un enfant perd ses deux parents?

“En cas de décès des deux parents, l’enfant est confié à un tuteur. Si aucun tuteur n’avait été nommé, le juge de paix désignera quelqu’un. L’enfant ne peut être réclamé d’emblée par les grands-parents ou d’autres membres de la famille. Il revient au juge de paix de désigner la personne la plus proche et jugée la plus apte à prendre soin de lui. Le juge de paix choisit habituellement en premier lieu parmi les membres de la famille, mais il peut aussi s’agir d’amis. À partir de 12 ans, l’enfant est entendu et est autorisé à indiquer vers qui va sa préférence.”

Comment, en tant que parent, désigner un tuteur?

“Il suffit de nommer une personne dans son testament. Attention: cela doit se faire individuellement pour chaque parent. Les testaments conjoints ne sont pas valides. Discutez dès lors avec votre partenaire du tuteur que vous souhaiteriez nommer et parlez-en aussi à la personne en question. Bien que cela ne se produise pas souvent, il arrive que celui que vous avez choisi refuse ce rôle.”

Reçoit-on de l’argent en tant que tuteur?

“Un tuteur a droit à une indemnité forfaitaire d’un montant d’un peu plus de 600 euros par garde et par an, ainsi que le paiement d’éventuels frais supplémentaires. La fonction la plus importante d’un tuteur est de s’assurer que l’enfant ne manque de rien. Il réalisera cette tâche sous la supervision du juge de paix. Le tuteur devra par exemple obligatoirement demander la permission au juge avant de vendre la maison familiale ou tout bien appartenant au patrimoine de l’enfant.”

Si vous désirez en savoir plus, n’hésitez pas à consulter le site https://www.droitsquotidiens.be rubrique désignation du tuteur.

Texte: Lisa Gabriels et Barbara Wesoly. Photo: Leen Van den Meutter


 

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