Gen F

En rejoignant la communauté, vous recevez un accès exclusif à tous nos articles, pourrez partager votre témoignage et…

Malou nous confie son combat contre le harcèlement scolaire

Justine Rossius

Malou, 28 ans, est journaliste, créatrice de contenu et entrepreneure. Son compte Instagram @malouvdc comptabilise plus de 17.000 abonné·e·s et elle a longtemps animé l’émission Selim et Malou sur TikPik. Elle nous a confié le récit poignant du harcèlement dont elle a été victime.

“J’ai subi du harcèlement presque toute ma vie, particulièrement pendant mes primaires et vers la fin des secondaires. Je viens d’une petite ville dans le Hainaut. À l’école, j’étais ‘la grosse première de classe’ : la cible parfaite pour mes harceleurs, qui étaient principalement des garçons. Au final, avec l’effet de groupe, toute la classe me harcelait. Je n’avais aucune amie… Même celles que je considérais comme telles riaient lorsqu’on se moquait de moi. Il s’agissait d’insultes, des méchancetés, systématiquement liées à mon poids. J’avais 5-6 ans. Je n’ai pas le souvenir d’avoir subi du harcèlement physique. Le plus difficile, c’était l’isolement: personne ne voulait me parler, jouer avec moi. Que ce soit au cours de gymnastique ou pour des bricolages, j’étais systématiquement la dernière que l’on choisissait. Celle qui attendait sur le banc. J’avais fini par rester avec des filles plus jeunes.

Je pleurais énormément: mes émotions, quelles qu’elles soient (colère, tristesse…) s’extériorisaient par les pleurs. J’attendais impatiemment la sonnerie qui annonçait la fin de la récré ou de l’école: c’était ma porte de sortie. Je suis heureuse d’avoir vécu cela dans une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas. Quand je rentrais, j’étais entourée d’amour et je pouvais m’extirper de ce cauchemar, même si ma mère m’a rappelé qu’il m’arrivait souvent de ramener mes sanglots à la maison. J’ai beaucoup protégé mes parents. Ma maman m’interrogeait parfois, elle avait été en parler au corps enseignant, mais je minimisais toujours, je n’en parlais pas. Et j’avais honte surtout. Honte de subir ce harcèlement. J’emmagasinais la douleur toute seule. Quand tu as 7 ans, tu ne peux pas comprendre que ce n’est pas de ta faute. Tu perçois qu’il existe un consensus sur le fait que tu ne mérites l’amitié de personne. On me faisait même ressentir que je ne méritais pas de vivre…

À force qu’on me répète qu’on ne pouvait pas jouer avec moi parce que j’étais plus forte, j’ai fini par y croire. À penser que c’était de ma faute. Je me suis mise à prier dans l’espoir de devenir quelqu’un d’autre.

J’ai développé des complexes. Les instituteurs n’ont jamais interféré: à l’époque, le mot harcèlement n’existait même pas. Certains instituteurs cernaient le souci et me permettaient de rester dans la classe pendant la récré, pour nettoyer le tableau. C’était le meilleur moyen pour moi d’éviter les insultes. Parfois, un instit’ sommait toutefois mes harceleurs de s’excuser. Ce qu’ils faisaient, avant de recommencer les moqueries trois minutes après. Il faut dire que je ne me plaignais pas. Je pensais être condamnée à ça toute ma vie. Je devais accepter mon sort. Ne pas me plaindre.

Stratégie d’évitement

Quand les primaires se sont terminées, j’ai fait une stratégie d’évitement. J’ai choisi une école moins réputée, où j’étais sûre de ne plus croiser mes détracteurs. L’été qui a précédé mes secondaires, j’ai payé le prix fort. J’ai eu des troubles du comportement alimentaire très violents. Je ne parvenais plus à déglutir.

Je ne savais plus manger, même boire était devenu compliqué. J’avais 11 ans. J’ai dû aller voir une pédopsychiatre en urgence car j’avais perdu énormément de poids en peu de temps

Elle m’a expliqué que mon corps devait faire sortir toutes ces choses que j’avais emmagasinée toute seule pendant ces six années. J’étais une vraie éponge émotionnelle — et je le suis toujours. J’avais tout gardé pour moi, pour ne pas faire souffrir mon frère et mes parents. Les troubles alimentaires m’avaient apporté une grande souffrance, et des séquelles dont je souffre encore aujourd’hui, mais l’aspect positif, c’est que j’avais un poids normal. Je rentrais en secondaire sans être catégorisée comme ‘la petite grosse’. Mes complexes et mes insécurités n’avaient pas disparu, mais ce poids dans la norme m’épargnait des moqueries. Je me suis fait beaucoup d’amis… jusqu’à ma dernière année de secondaire. J’avais progressivement repris des kilos, notamment à cause de la pilule, et je suis devenue la cible de slutshaming d’un groupe de garçons. Des rumeurs circulaient sur moi, j’entendais des atrocités à mon sujet partout. Ça a été très compliqué de voir que le harcèlement revenait dans ma vie. Je me suis effondrée en larmes quand j’ai remarqué que toute la classe me rejetait à nouveau. Et je suis retournée voir ma pédopsychiatre quelques fois. J’ai réalisé qu’il était essentiel pour moi d’extérioriser ce que je vivais. En attendant la fin des secondaires, je suis à nouveau restée avec des plus jeunes que moi. Je n’attendais qu’une chose: partir étudier le journalisme à Bruxelles. Je suis devenue créatrice de contenu (avec une chaîne Youtube notamment), mais aussi animatrice radio pour la chaîne Tikpik. Un jour, en me connectant sur ma chaîne Youtube, j’ai réalisé qu’une personne mal intentionnée avait laissé des commentaires haineux. Cette personne avait laissé son prénom et il s’agissait d’un des garçons qui m’avait déjà harcelée en secondaire. J’ai alors eu la présence d’esprit d’enregistrer ces insultes et j’ai été porter plainte. Il a écopé d’une peine d’admonestation. J’étais contente de ne pas m’être laissé faire. J’ai subi des vagues de cyberharcèlement, notamment sur TikTok. J’ai reçu des dizaines de milliers de commentaires insultantes, grossophobes et sexistes. Certains commentaires mentionnaient des menaces de mort et de viol à l’encontre de ma mère et de moi. Tout ça parce que j’avais abordé les droits des femmes dans une vidéo. C’est compliqué de se protéger car si on retire l’accès aux commentaires, on punit les personnes bienveillantes qui nous suivent et la réduction de l’interaction réduit également la visibilité.

Des conséquences à long terme

Aujourd’hui, ce harcèlement a toujours des conséquences dans ma vie. Je suis suivie par une thérapeute: je vis avec beaucoup de peurs, d’insécurités, et de réactions, directement liées à ce harcèlement. C’est une des choses les plus traumatisantes qu’un enfant puisse vivre, car cela arrive à une période où on est censé se construire et fonder sa confiance en soi. J’ai très peu d’estime de moi-même. J’ai aussi une grosse peur de l’abandon ainsi qu’une angoisse de ne pas être aimée. Je suis méfiante avec les gens que je rencontre. Encore aujourd’hui, si je passe une super soirée à rigoler avec une personne avec qui je m’entends bien, je vais rentrer chez moi avec un doute: est-ce que cette personne va finir par m’insulter? Est-ce qu’elle me déteste? L’une des grandes conséquences du fait d’avoir été harcelé, c’est de devenir un people pleaser: une personne qui va toujours faire en sorte d’adapter ses propres comportements pour que ça plaise aux personnes d’en face. J’en ai pris conscience et je suis entourée de personne qui comprennent mes comportements de méfiance, de doute, de peur.

M’accepter telle que je suis

Mon poids a longtemps été une source d’angoisse: jusqu’à mes 25 ans, j’enchaînais des périodes de régime drastique : je me levais à 5 h du matin pour faire une heure de cardio’ avant d’aller étudier, je m’interdisais tout glucide. Je perdais 15 kilos en peu de temps, mais j’ai réalisé que je n’étais pas moi. Si pour être mince, je devais me sous-alimenter et me mettre en danger au niveau de ma santé, c’est que ce corps rêvé ne me correspondait pas. J’ai découvert plus tard que j’avais un SOPK (syndrome des ovaires polykystiques) et de l’insulinorésistance : deux diagnostics qui ont été difficiles, mais qui m’ont aussi libérée: j’ai réalisé que mon corps se battait depuis toujours contre des syndromes qui engendraient des gros dérèglements hormonaux. Ça m’a permis de m’accepter telle que je suis.

Avec le recul, je pense que le harcèlement aussi horrible a-t-il été, fut aussi un moteur de détermination et de revanche sur la vie. Quand j’avais seulement 7 ans, je me rappelle m’être dit que tous ceux qui se moquaient de moi à cet instant payeraient un jour des places pour venir me voir… Je rêvais d’être chanteuse!

Si je devais parler à la Malou de 7 ans, je lui dirais que ce n’est pas définitif. Quand on vit du harcèlement, on se dit qu’on ne connaîtra jamais rien d’autre. J’aurais aimé que quelqu’un me dise que ça ne dure qu’un temps. Qu’on en sort, qu’on fait des chouette rencontres, qu’on accomplit des choses ensuite. Il faut s’extirper de son milieu: tu as peut-être la sensation que le monde entier te veut du mal, mais c’est ta petite classe, dans ta petite ville. Un changement de milieu peut te sauver la vie : le monde entier n’est pas contre toi ! Je lui dirais aussi qu’elle n’est pas fautive: et qu’elle ne l’a pas cherché. Enfin, je lui demanderais de continuer à être la petite fille gentille qu’elle est. Je suis loin d’être parfaite, mais depuis toujours, je déteste les injustices et j’essaye d’être une bonne personne. C’est une volonté consciente de ma part. Petite, j’allais toujours vers les nouveaux élèves, même les rejetés, et je leur demandais pour être leur amie. J’aurais dit à cette petite Malou harcelée: continue de prendre la gentillesse comme moteur et ne bascule pas dans cette méchanceté dont on t’inonde.”

Lire aussi:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Nos Partenaires