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Marie Trintignant
© Frederic meylan/Sygma via Getty Images

FAUT QU’ON PARLE: le féminicide de Marie Trintignant ça fait 20 ans, mais depuis c’est tous les jours

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Ce 1er août signe un triste anniversaire, celui des 20 ans de la mort de Marie Trintignant. L’actrice française est décédée le 1er août 2003, six jours après avoir été battue par son compagnon Bertrand Cantat. Un meurtre désigné comme un « crime passionnel » à l’époque, portant aujourd’hui le nom de féminicide. Un phénomène qui se reproduit chaque jour dans le silence.

Tout commence à l’été 2003, lorsque Marie Trintignant tourne le téléfilm « Colette, une femme libre » à Vilnius en Lituanie et que son compagnon de l’époque Bertrand Cantat vient lui rendre visite. Dans la nuit du 26 au 27 juillet, le couple rentre à l’hôtel à 23 h 30 et une dispute éclate. Des insultes sont proférées et les coups pleuvent. Vers 5 h 30 du matin, Bertrand Cantat appelle le frère de Marie Trintignant, Vincent Trintignant, et lui demande de venir. Ce dernier affirme au tribunal :

Il m’a dit (...) qu’il s’était disputé avec Marie, qu’il l’avait bousculée et qu’il lui avait mis une gifle, qu’elle allait peut-être avoir un oeil au beurre noir.

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Vincent Trintignant, inquiet, finit par se rendre dans la chambre de sa sœur, il se souvient avoir soulevé la serviette posée sur son visage : « C’était loin d’être un simple cocard». À sa demande, les secours sont appelés à 7 h 16, plusieurs heures après les coups. Une opération pour juguler l’hémorragie cérébrale est effectuée. Le lendemain, une enquête est ouverte par la police lituanienne qui affirme que lors d’une dispute violente, le chanteur sous l’effet de médicaments et d’alcool aurait frappé et poussé l’actrice qui en se cognant la tête serait tombée dans le coma. Le 29 juillet, Marie Trintignant subit une seconde opération, deux jours plus tard elle est rapatriée à Paris. Le neurochirurgien Stéphane Delajoux déclare à l’époque :

Médicalement, il n’y a plus rien à faire. (...) Malheureusement, on est arrivés beaucoup trop tard. Cela fait à peu près deux jours que son cerveau est mort cliniquement.

Bertrand Cantat est placé en garde à vue. Le 1er août 2003, à 10 h 20, Marie Trintignant décède à Neuilly-sur-Seine à la suite d’un œdème cérébral. La famille Trintignant porte plainte, mais l’affaire est présentée comme un « crime passionnel ». Le parquet ouvre une information judiciaire pour « coups volontaires et « non-assistance à personne en danger ». L’hypothèse de la chute de l’actrice s’efface lors de la reconstitution des faits où l’avocat des Trintignant affirme : « Son visage est trop tuméfié », Marie n’est pas tombée. Pourtant, Bertrand Cantat maintient que tout cela est un « accident après une lutte, une folie, mais ce n’est pas un crime ». Son avocat évoque lui aussi un « accident des deux côtés, une tragédie, un conflit humain entre deux personnes, deux artistes à fort tempérament ».

19 coups au visage

Le 13 août, plus de dix jours après sa mort, l’autopsie est rendue publique. Le constat est horrifiant, Marie Trintignant a reçu 19 coups, en majorité sur la tête et le visage. Une seconde expertise confirme que ces coups ont été mortels. Si la famille de la victime souhaite un procès en France, tout comme l’accusé, la justice lituanienne demande un procès à Vilnius pour homicide volontaire, avant l’extradition. Bertrand Cantat avoue : « Pris de furie, j’ai donné de fortes baffes à Marie. » Le 21 août, le chanteur est également mis en examen par un juge français à Vilnius pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner” et “non-assistance à personne en danger”. Il est condamné en mars 2004 à huit ans de prison, mais obtient une liberté conditionnelle au bout de quatre ans et demi de détention.

Le traitement médiatique du « crime par amour », une deuxième mort

Très vite dans les médias, la version de Bertrand Cantat est extrêmement relayée, le meurtre de Marie Trintignant est désigné tantôt comme « une fatale attraction », comme « un crime de jalousie » ou encore « une histoire d’amour qui tourne au drame ». Tandis que lui ne cesse de clamer que tout est un « accident ». 19 coups, un accident. Si aujourd’hui, la mort de Marie Trintignant est qualifiée de féminicide et fait même figure de symbole dans la lutte contre les violences faites aux femmes, rien n’a changé. Si, les médias ne titrent plus sur « les crimes passionnels », on trouve encore de nombreux articles mettant en valeur le travail génial d’un artiste accusé de violences sexuelles, ou les origines modestes et le parcours fulgurant d’un humoriste accusé de viols. Sans oublier les versions des accusés qui résonnent bien souvent comme les propos de Bertrand Cantat entre minimisation des faits comme « l’œil au beurre noir » et thèse de l’accident et de la colère folle du moment. Mais le constat le plus alarmant est celui des chiffres qui eux ne mentent pas, chaque jour qui passe en 2023, vingt ans après la mort de Marie Trintignant, une femme meurt sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon dans le monde. Pire que ça, en 2021 environ 45 000 femmes et filles dans le monde ont été tuées par leur compagnon ou un membre de leur famille. En d’autres termes, chaque heure plus de cinq femmes ou filles sont tuées, comme le rappelle ONU Femmes.

“Virginie 46 ans, Valérie 52 ans, Eva 20 ans, Mongia 73 ans”…Toutes mortes 


En 2022, selon les chiffres de l’association StopFéminicide au moins 24 femmes ont perdu la vie sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint en Belgique. En France, 104 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, selon un recensement d’« Ouest-France » en 2022. Selon l’association féministe NousToutes qui tient un décompte des féminicides dans le pays, une femme décède tous les deux jours sous les coups de son compagnon/ ex-compagnon en France. Au 17 juillet 2023, l’association comptait déjà 70 décès pour cette année 2023. Sur la page de leur site Internet baptisée « mur de femmages », l’association rend hommage, femmage (hommage à une femme) à chacune des victimes pour qu’aucune ne soit oubliée, une case avec son prénom et son histoire figure pour chacune d’entre elles. On y lit « Virgine 46 ans, Valérie 52 ans, Catherine 47 ans, Angélique 22 ans, Eva 20 ans, Mongia 73 ans », elles ont tous les âges, toutes les origines, elles représentent toutes les femmes et elles ne sont plus là. Toutes sont mortes. Certaines cases portent la mention « inconnue », car le prénom de ces femmes n’est pas connu, mais elles sont tout de même là. Ce mur de noms est à la fois glaçant et nécessaire, il leur rend femmage, et surtout nous confronte à la part la plus inhumaine de notre société. Comment après avoir consulté les statistiques et lu ces prénoms, peut-on encore penser que c’est tout de même un peu la faute des victimes, que chacun·e a ses torts, que ce ne sont que des disputes qui ont dégénéré ?

Pour Marie Trintignant, comme pour d’autres cas de femmes moins connues, le récit qu’on fait de leur mort est une manière de les tuer une seconde fois, tant le récit est à charge.


Explique l’historienne Christelle Taraud, autrice de l’ouvrage « Féminicides: une histoire mondiale » lors de son passage sur LCI. Elle poursuit : “Ce fut tout à fait le cas de l’affaire dont on parle. Il y a eu des articles délétères, précisant que Marie Trintignant était folle, qu’elle était droguée, qu’elle était hystérique, qu’elle était incontrôlable, comme si c’était une excuse pour son meurtrier. » Elle conclut :

Il a fallu 20 ans à la société française pour accepter qu’il ne s’agissait pas du tout d’un crime passionnel, qu’on ne tuait pas du tout par amour.


Une phrase choc qui paraît absurde, mais qui est pourtant vraie. On se demande désormais, combien de temps il faudra pour que la société comprenne qu’on ne tue pas sa femme, sa fille, sa sœur, sa compagne, sa belle-mère, sa nièce, sa tante, sa mère, sa belle-fille, qu’on ne tue pas les femmes.
20 ans après Marie Trintignant, on a désormais le mot féminicide pour désigner les meurtres de femmes en raison de leur sexe. Une victoire oui, mais est-ce réellement une avancée de le voir écrit partout, tout le temps, dans les journaux, sur les réseaux sociaux… La société a-t-elle réellement évolué si des femmes sont tuées chaque jour ? Oui, la justice a évolué, des lois pour mieux juger les auteurs de violences faites aux femmes ont été mises en place, des dispositifs pour les éviter aussi. Et pourtant, comme le déclare Maître Isabelle Steyer : « Il y a à peu près une victime sur deux de féminicides qui avaient déjà déposé plainte. Dans les faits, les femmes ne sont pas plus protégées. »

La société échoue à les protéger, nous échouons à protéger les femmes qui nous entoure

Le mot féminicide est rentré dans le langage commun et si la féministe en moi s’en réjouit, la femme que je suis est terrifiée à l’idée de voir que ce terme est désormais autant utilisé que le mot « accident », ce même mot utilisé par Bertrand Cantat pour sa défense. Aujourd’hui, les femmes meurent autant d’un véritable accident (accident de la route, accident de sport, accident de travail, accident médical, accident domestique,…), que de féminicides. Voilà le constat vingt après et j’en suis profondément désolée, Marie.

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