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Sex blues © Getty Images

Le sex blues, ou quand la tristesse et la mélancolie s’invitent au lit

Manon de Meersman

Avez-vous déjà ressenti un sentiment de tristesse et de mélancolie après un moment intime avec l’être aimé·e ? Tout était merveilleux, le rapport était qualitatif et consenti, et puis, c’est la chute. Le vide. Les frissons. Le blues. Il s’agit là d’un phénomène appelé dysphorie post-coïtale, un syndrome post-sexe, plus fréquent qu’on ne le pense.

Également appelé sex blues, la dysphorie post-coïtale tire son appelation du mot « dysophonie » et « euphoria ». « Des qui vient du grec et qui indique la négation de quelque chose, et euphoria qui signifie euphorie, soit le côté pétillant du bien-être. Dans ce cadre, la dysphorie post-coïtale traduit la difficulté à être dans le plaisir et la joie après le coït » explique Marie-Hellen Alefe Fiouris, spécialisée dans l’accompagnement des femmes afin que celles-ci puissent se mettre en lumière pour ôter les obstacles qui les empêchent d’être elles-mêmes. « Le sex blues, c’est réellement cette sensation de tristesse qui envahit quelqu’un après un rapport sexuel, ajoute Camille Nérac, sexologue. Cet état de dysphorie post-coïtale, qui apparaît suite à un rapport consenti et satisfaisant – la précision a son importance – se traduit par différentes émotions, telles que la mélancolie, la solitude, le vide… Les personnes peuvent alors pleurer, être euphoriques, agitées, évasives, ou encore perdues dans dans leurs pensées. »

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Un phénomène qui touche aussi bien les femmes que les hommes

Cet état, Salima* le connaît bien. Elle l’expérimente depuis plusieurs années avec son compagnon. « La première fois que c’est arrivé, je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. Nous avions partagé avec mon chéri un très beau moment, rempli de douceur et de bienveillance. Et les minutes qui ont suivi l’orgasme ont été indescriptibles. Je me souviens avoir ressenti le néant dans mon estomac. Je ne sais pas expliquer… J’avais envie de crier, et en même temps, j’étais complètement dépouillée d’énergie. » C’est le même constat du côté de Laure*. « Ça fait un an que je suis en couple avec mon fiancé et on ne vit pas encore ensemble. Chaque fois que l’on a un moment intime, c’est chez moi, dans mon studio. Être seule de manière générale, ça va, je le gère bien. Mais lorsqu’il vient, je kiffe ces moments ensemble. Mais se retrouver dans l’intimité, et puis qu’il doive ensuite rentrer chez lui, c’est lourd pour moi. »

Mais le phénomène ne touche pas uniquement les femmes. Il concerne également les hommes. Une étude menée en 2019 et publiée dans le média australien « Journal of Sex and Marital Therapy » a démontré que 41% des hommes interrogés lors de l’enquête déclaraient avoir déjà expérimenté la dysphorie post-coïtale. Julien* fait partie de ceux qui ont fait face à ce phénomène. Timidement, il explique que cela est arrivé plusieurs fois au cours de sa précédente relation. « Je me sentais vraiment bien avec elle, pourtant, tient-il à préciser. Mais une fois sur quatre je dirais, après notre rapport, j’étais presque sans émotion. Je ne sais même pas dire si j’étais triste, en colère, agacé… Et ce n’était pas juste un petit coup au moral, c’était vraiment un état presque dépressif en réalité. » C’est cette caractéristique qui ressort également des explications de Laure à ce sujet. « Je ressens un état de déprime, de dysphorie. J’ai envie d’être câline, mais ce besoin n’est pas comblé car mon copain n’est pas là. Je me sens comme abandonnée. Je vais tourner en rond comme un hamster en cage, ça va me rendre dingue. Je vais avoir envie de manger – le fameux réconfort lié à la nourriture ! Il va aussi y avoir un certain laisser-aller, marqué par un cruel manque de motivation qui peut même aller jusqu’au lendemain. Dans ces cas-là, je ne me sens juste plus moi-même. » Julien évoque également cette sensation de ne plus être qui il est.

C’était dur à gérer pour moi, car je me sentais perdu et presque livré à moi-même, mais c’était compliqué aussi pour ma copine, car elle ne savait pas comment agir. Elle voulait me réconforter, mais cela m’oppressait plus qu’autre chose. Il y avait un décalage flagrant entre ce que nous venions de vivre, et l’après-sexe. Parce que clairement, on s’éclatait au lit, c’était vraiment bien. Mais une fois que c’était fini, j’avais presque besoin d’être seul, et en même temps, j’avais besoin qu’elle soit là.

explique-t-il. “C’était très confus en fait comme sentiment. Au bout d’un moment, on a fini par en parler, car ce n’était plus possible pour elle de gérer ça. Et pour moi non plus. Qu’on se le dise : ça n’a pas été simple pour elle de comprendre ce dont il s’agit, mais pour moi, c’était pire. Je me sentais impuissant face à cet état. Heureusement, à l’époque, elle a été super patiente avec moi, et elle a vraiment tout fait pour que je me sente bien malgré tout. Je ne me souviens pas réellement de ce qu’on a mis en place pour que ça aille mieux, mais je sais que quand ça arrivait, elle finissait par faire preuve de beaucoup de patience et de compassion, et ça me permettait aussi de me sentir mieux à la fin. Je me sentais soutenu, et ça venait presque contrebalancer le sentiment désagréable de la dysphorie post-coïtale. »

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D’où vient la dysphorie post-coïtale ?

Parce que le sujet de la dysphorie post-coïtale reste encore peu abordé – et ce, malgré de véritables témoignages appuyant son existence – les explications à propos du sex blues restent encore à ce jour assez floues. « Le manque d’études fait qu’il existe encore des zones d’ombres concernant les causes du sex blues. Il n’y a pas de réponses concrètes mais plutôt différentes théories qui soulignent l’impact probable de facteurs biologiques/hormonaux ou psychologiques/sexuels » explique Camille Nérac. Concernant les causes hormonales, c’est physiologique, car l’acte sexuel créé un feu d’artifices dans notre cerveau. « Après cette explosion, on sécrète différentes hormones. Il y en a quatre principales, qui ont chacune leur spécificité, et dont le but commun est le bien-être: la sérotonine, qui module la communication, l’ocytocine, qui favorise les liens, l’endorphine qui réduit le stress et booste l’énergie, et la dopamine, qui récompense » détaille Marie-Hellen Alefe Fiouris « La chute brutale de ces hormones en fin de rapport pourrait, entres autres expliquer cet état, tant l’écart entre montée et descente est important » explique Camille Nérac. « Dans ce cadre, le stress et la pression peuvent également être des ennemis et on produit alors trop de cortisone, ce qui déséquilibre la sécrétion des autres hormones. » En ce qui concerne les causes émotionnelles, « d’autres études soulignent que les personnes peuvent ressentir une forme d’abandon, s’accompagnant d’une grande sensibilité, une difficulté à « quitter l’autre » et donc à gérer la solitude une fois le moment terminé » explique Camille Nérac, qui met alors des mots sur ce que vit Laure et de nombreuses autres personnes après un rapport. « De plus, au-delà de la décharge sexuelle ressentie au moment de l’orgasme, il peut y avoir également une décharge plus générale : une sorte de relâchement de tensions accumulées au fil de la journée, qui s’accompagne d’émotions fortes. À souligner également que les émotions fortes liées au sex blues peuvent également être liées à la reviviscence d’une potentielle expérience négative en lien avec la sexualité… » ajoute Camille Nérac.

Le type d’attachement joue alors également un rôle dans la présence du syndrome post-coïtale. « On construit ces attachements dans notre jeune âge par rapport à la manière dont on a pris soin de nous, que ce soit nos parents ou grands-parents, aka les personnes qui ont participé à notre nourrissement, les personnes qui nous ont inculqué une sécurité ou une insécurité émotionnelle, explique Marie-Hellen Alefe Fiouris. Le donneur de soin est son référent. Et à la manière dont ce dernier aura répondu à ses besoins, l’enfant va créer un lien entre la sécurité, l’amour et le fait qu’il est valable et qu’il est reconnu face à cette personne. Il y a ce lien de dépendance: si l’enfant n’a pas été nourri émotionnellement dans quelque chose de bienveillant, il se construit un attachement anxieux. » On décèle alors deux familles d’attachement :

  • L’attachement sécure: « On est en confiance. On a pu compter sur l’adulte et on était reconnu et aimé. Aujourd’hui, peu importe ce qui va se passer dans nos relations, ça va faire mal, mais on ne va pas être abattus » explique Marie-Hellen Alefe Fiouris;
  • L’attachement insécure: « On retrouve trois sous-catégories: l’anxieux, l’évitant et l’anxieux-évitant (soit le type désorganisé). Tout cela englobe la stratégie que l’enfant a mis en place pour éviter la douleur émotionnellement et éviter de souffrir. Le but, c’est d’être aimé et d’être reconnu. De cette manière, l’anxieux va être dans le besoin de vouloir toujours plus et quand l’autre se détache, il met en place des stratégies pour pouvoir être toujours en fusion avec l’autre ; on retrouve ici les personnes qui se mettent en position de victime et qui ont toujours besoin d’aider ou d’être aidé. L’évitant, quant à lui, va se dire que, certes, l’amour ça peut faire mal, et, bien qu’il ait envie d’être aimé, il va éviter les choses au maximum dès qu’il sent qu’il s’attache ou que l’autre s’attache. Il prend en quelques sortes la poudre d’escampette pour éviter la douleur. Enfin, le désorganisé passe d’un état à l’autre en très peu de temps – seulement 5% de la population se range dans cette catégorie : la personne a vécu des traumas très profonds, et elle ne sait pas quelle stratégie mettre en place. »

Marie-Hellen Alefe Fiouris évoque également parmi les causes psychologiques de la dysphorie post-coïtale une méconnaissance de ses besoins profonds. « On peut très bien se dire : ‘J’ai pris du plaisir, tout est OK, mais au fin fond de moi, je n’ai pas répondu à mes besoins car j’ai fait l’amour de la manière dont on attend que je fasse l’amour’ », nous éclaire la spécialiste, indiquant qu’énergétiquement alors, nous ne sommes pas au clair avec un besoin profond niché au fond de soi.

Gérer la dysphorie post-coïtale au quotidien

Il y a dans ce phénomène une véritable difficulté de gestion puisqu’elle intervient parfois sans qu’il soit réellement possible d’agir dessus. « Je suis davantage sensible certains jours, et ces jours-là, j’aimerais qu’il soit là, confie Laure. C’est comme si le ciel restait tout gris. Bien sûr, j’en discute avec lui, et on s’en rend compte, mais on ne sait pas agir vraiment dessus pour le moment. On pourrait améliorer la qualité du temps qu’on passe ensemble après le sexe. On sait qu’on ne peut pas vivre ensemble actuellement, mais on fait en sorte de dormir ensemble une fois par semaine, et les fois où nous avons un rapport et où c’est prévu qu’il rentre chez lui, alors on décide de ne pas miser que sur le fait de faire l’amour: on fait l’amour, mais on fait d’autres choses aussi. C’est une clé de solution. On l’a expérimenté et ça limite la casse. » De son côté, Salima a décidé d’aller consulter une sexologue. « Pour moi, c’était trop compliqué à gérer en fait, explique-t-elle. Cet état de folie au moment du rapport sexuel, et puis cette chute où tu te rétames juste tout simplement la figure, c’est difficile, vraiment. Alors après en avoir longuement parlé à mon copain, qui est vraiment une personne bienveillante et attentive, je me suis dit : ‘Salima, c’est le moment pour toi d’aller voir quelqu’un’. Et je ne dirais pas que ça m’a aidée tout de suite en réalité, mais on a abordé certains évènements de mon enfance, et j’ai compris petit à petit que tout dans ma vie était liée. Le sex blues n’était qu’une manifestation parmi d’autres de comment ce que j’ai vécu plus jeune a pu avoir des répercussions sur qui je suis aujourd’hui. Je souffre encore d’épisodes de sex blues, mais aujourd’hui, c’est moins fort, moins récurrent, et surtout, j’accueille différemment ces moments. »

Pour Camille Nérac, la bienveillance est effectivement le maître-mot dans la gestion de ce phéomène. « De manière générale, lors d’un rapport sexuel particulièrement intense et satisfaisant, il est tout à fait naturel de ressentir différentes émotions, qu’elles concernent la joie, la bonne humeur, l’apaisement, la tristesse, la mélancolie, etc. et qu’elles se manifestent de différentes manières (rires nerveux, larmes, somnolence, agitation, etc). Mon conseil serait de relativiser, d’accueillir l’émotion avec bienveillance sans y chercher des explications à tout prix, et la laisser repartir comme elle est arrivée – un peu comme un nuage dans un ciel bleu » conseille-t-elle. « Le sex blues est caractérisé par un sentiment désagréable après un moment agréable. Les émotions sont les messages que notre corps nous envoie, ajoute dans la même idée Marie-Hellen Alefe Fiouris. Qu’il y-a-t-il derrière la tristesse? Du dégoût, de la colère…? Quel est le message que mon corps m’envoie au travers de ces émotions ? ».

Une démarche que préconise aujourd’hui Laure, qui voit en ce phénomène un moyen de prendre peut-être davantage de temps pour elle. « Forcément, le sex blues impacte mon quotidien et mon bien-être personnel. Dès que mon copain vient et qu’on fait l’amour, c’est tellement cool, mais c’est ensuite réduit en miette. Ce fracas brutal est parfois difficile à gérer. Je ne lui en veux pas, on ne va se disputer à cause de ça, on en a discuté, mais c’est un petit grain de sable dans l’assiette: c’est inconfortable et gênant. On met alors des choses en place, mais c’est plutôt relationnel, et plutôt dans le temps. J’ai aussi également songé à me chouchouter en prenant du temps pour moi: écouter de la musique, faire du sport, arrêter d’étudier et prendre l’air… Je sais ce qui me ferait du bien pour que ça aille mieux, et ce sont des choses personnelles à mettre en place, par moi-même. Je souffre de cet état de dysphorie car il n’est pas là, donc je dois me concentrer sur moi. »

Enfin, comme l’ont fait Laure, Salima et Julien, parler à son·sa partenaire de ce que l’on vit et ressent en regard de la dysphorie post-coïtale s’impose comme l’une des solutions préconisées par les spécialistes, étant donné que ce phénomène engendre un état d’insécurité. « En réduisant l’impact de la pensée, on en parle à l’autre et cela créer du lien. Imaginez, le/la partenaire à côté d’une personne en train de subir le sex blues qui peut ressentir des émotions aussi, et rentrer lui aussi dans ses blessures. L’idée est simple et complexe à la fois : revenir dans des relations en conscience, tout en restant responsable de ce qui se passe chacun chez soi » explique Marie-Hellen Alefe Fiouris « Cependant, si la dysphorie post-coïtale provoque souffrance ou des multiples interrogations perturbantes, il convient d’en parler à un professionnel, sexologue, psychologue ou encore médecin. En discuter permettra sûrement de mieux relativiser, de comprendre le contexte dans lequel prend part le blues, d’évaluer le lien avec la relation conjugale ou encore d’avoir des pistes pour mieux gérer ces épisodes de blues » conclut à ce propos Camille Nérac.

*prénoms d’emprunt – témoignages recueillis en anonyme.

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