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Témoignage: ““J’ai survécu à l’attentat de Maelbeek””

Barbara Wesoly
Orphée, 35 ans, propriétaire d'un salon de coiffure, a été gravement blessée dans l'explosion de la rame numéro 2 du métro de Maelbeek, le 22 mars 2016. Aujourd'hui, un an plus tard, elle lutte toujours contre les séquelles physiques et psychologiques de l'attentat.

"C'était le lendemain du printemps, il faisait beau. Les filles dans la rue étaient en jupe. Ça faisait une éternité que je n'avais plus pris le métro. J'ai acheté un café et des petits pains et suis montée dans le second wagon. Je me rappelle les paroles d'une vieille dame qui demandait "C'est un attentat?". J'ignorais tout de Zaventem. Nous n'avions pas allumé la radio. Le matin, on préfère écouter notre fils de deux ans chanter, mon mari et moi. Il a tenté de me joindre mais j'avais seulement trois arrêts à parcourir, donc j'ai pensé le rappeler en arrivant. Il venait d'apprendre pour l'aéroport et aurait voulu que je sorte du métro. J'ai tenté de m'asseoir à une place qui se libérait, mais une femme y est parvenue la première. Je lui ai laissé le siège. Je n'ai jamais su ce qu'elle était devenue. Parce qu'après, c'est le trou noir.

 

Comme spectatrice

Je suis revenue à moi hors de la station. Un homme me tenait dans ses bras. J'entendais des cris, des bruits, je regardais les gens, sans comprendre. Les secours étaient déjà là. On m'a déposé au Thon Hotel tout proche, rue de la Loi. Je n'ai pas réalisé que j'étais blessée et brûlée et que je saignais du visage. J'avais le crâne ouvert et un trou qui révélait une partie de ma mâchoire. Des brancardiers sont arrivés pour me soigner. Cela semble absurde aujourd'hui mais ils voulaient découper ma veste et j'ai refusé, je venais de l'acheter. J'étais aussi ennuyée pour cette cliente avec qui j'avais rendez-vous à 10h et que je ne pourrais pas décommander. Je cherchais mon sac. Je pense que j'essayais de me raccrocher à la réalité, face à ces événements que je ne comprenais pas.

 

Une situation de guerre

J'ai été évacuée en direction de l'hôpital vers 12h. Sur place, le personnel était totalement dépassé par la gravité de la situation.

Ils m'ont désinfecté le visage à l'alcool et ont recousu ma blessure sans la nettoyer correctement, en laissant des bouts de métal sous ma peau. Pendant ces quelques heures, je n'ai eu aucun scanner, ni examen. Et à 20h30, on m'a demandé de quitter les lieux.

J'étais en état de choc et j'ai pleuré tout le long du chemin. Durant la semaine qui a suivi, je ne suis pas sortie de chez moi. Il a fallu trouver une solution pour éloigner mon petit garçon. Pour qu'il ne voie pas sa maman dans cet état, le visage complètement tuméfié et plein de coupures. Quinze jours plus tard, j'ai été à l'hôpital militaire. Cela a marqué le début de nombreux traitements. Ils ont du rouvrir toutes les sutures pratiquées en urgence le 22 mars, enlever les débris de mon dos et de mon crâne et réparer progressivement les dégâts de l'attentat et des premiers soins.

 

Un lien unique

Je dois ma survie, ce 22 mars 2016, à Christelle, une jeune femme venue à mon secours, alors que j'étais inconsciente et coincée sous des bouts de rame. Nous nous sommes retrouvées dans les semaines qui ont suivi et depuis, nous sommes est restées très proches. Avoir rencontré quelqu'un comme elle est le seule point positif de ces attaques. Sans Christelle, je ne sais pas où je serais. Je crois que je ne pourrai jamais comprendre comment cette petite jeune femme a pu agir ainsi, penser aux autres dans un moment pareil, mais une chose est certaine, elle a vraiment été mon ange gardien. Et je ne pourrais plus me passer d'elle dans ma vie.

 

Dépasser à tout prix

En parallèle, rapidement, j'ai presque supplié mon médecin de me laisser retravailler. J'avais ouvert mon salon de coiffure 5 mois avant les attentats. C'était le fruit de mon rêve, d'années d'efforts et d'économies. J'avais peur que tout s'écroule, que mes clients s'en aillent. Et j'avais surtout besoin de revenir à la réalité, avec mon mari, mon fils, mon travail. Je voulais montrer à mon petit garçon que tout allait bien, que maman était toujours là. J'ai tenté de reprendre mon activité en juin. Mais après un mois, sentant que mon corps ne tenait pas encore le coup, je me suis forcée à partir en vacances, avec ma famille. En septembre, malgré les douleurs, j'ai recommencé à travailler. En tant qu'indépendante, je n'avais pas le choix. L'assurance que j'ai ne couvre pas le terrorisme... Il y avait les charges, les fournisseurs, le salon à payer. Mon salon avait été fermé pendant presque six mois, tout était à recommencer.

 

Se battre au quotidien

Au lendemain de l'attaque, mon mari avait aussi arrêté sa société pour s'occuper de moi, de notre famille et régler toutes les démarches. Après avoir épuisé toutes nos économies, nous sommes rapidement retrouvés à vivre uniquement grâce à 1300 euros versés par la mutuelle. Mon mari a du revendre sa voiture, puis sa moto. Et même son vélo, dont les 60 euros nous ont permis de faire les courses pour un mois. Aujourd'hui, un an plus tard, je ne perçois toujours aucune aide financière extérieure. La STIB ne nous a toujours remboursé que 2000 euros et je n'en ai reçu que 7000 € de l'Aide d'urgence aux victimes, ce qui m'a tout juste permis de rembourser quelques dettes. Même mes frais médicaux ne sont pas remboursés. J'ai encore de nombreuses séquelles qui nécessitent des traitements, que je n'ai pas les moyens de payer.

J'ai utilisé tout l'argent que j'avais pour nous assurer un toit et de quoi manger. Si je devais aller consulter comme il le faudrait, j'en aurais pour plus de mille euros par mois. C'est impossible. Et c'est si horrible de devoir se battre à ce point pour être aidée.

 

Tant de victimes

L'année qui vient de s'écouler a été tellement plus douloureuse que l'attentat lui-même. Plus le temps passe, plus c'est dur, physiquement et psychologiquement. Je suis plus fatiguée et j'ai plus de douleurs aujourd'hui que les premiers mois. Mon acouphène est épuisant et il m'empêche de dormir la nuit. J'ai mal au dos, à la tête. J'ai l'impression d'avoir un corps foutu. Mais je n'ai pas les moyens de me soigner. Je dois aussi affronter ma pire crainte, celle de reprendre les transports en commun, vu que je n'ai plus de voiture. Je me déplace donc en bus et c'est une torture. Je suis fatiguée de tout cela.

Je voudrais que les gens comprennent que derrière chaque victime, il y a un entourage en souffrance, des enfants qui voient leurs parents blessés ou traumatisés. Aujourd'hui, je voudrais juste que ma famille et moi puissions retrouver un avenir.

 

Retrouvez le témoignage de Christelle et l'entièreté du reportage "Ma vie, un an après les attentats", dans Flair, en librairie dès ce 15 mars 2017.

 

Orphée Christelle

Orphée, à gauche sur l'image, accompagnée de Christelle, de retour, un an après, à la station de Maelbeek.

 

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