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Pourquoi le retour en Europe des fiancées de Daesh pose problème

Kathleen Wuyard

Elles sont parties du jour au lendemain, rejoindre les combattants de Daesh en Syrie, laissant derrière elles des familles qui n’avaient rien vu venir, et certainement pas le mariage de leur adolescente à un extrémiste. Aujourd’hui, Daesh a bel et bien perdu la guerre, et ces fiancées déracinées veulent rentrer en Europe. Un retour vu d’un (très) mauvais oeil par leurs pays d’origine... et leurs victimes.


Car cela ne fait aucun doute pour Pari Ibrahim, la responsable de la fondation Free Yezidi, qui lutte pour la protection des femmes yézidies, persécutées et traitées comme esclaves sexuelles par Daesh: “la théorie selon laquelle les fiancées de Daesh sont elles-mêmes des victimes, dont le seul crime a été de rejoindre le front, est on ne peut plus fausse”. Selon les chiffres diffusées par l’armée de libération syrienne, ils seraient environ 3000 Occidentaux (800 hommes, 700 femmes et 1500 enfants) à être actuellement en Syrie, la plupart ayant été capturés au gré du recul de Daesh et étant actuellement emprisonnés dans des camps. Des prisons de fortune appelées à disparaître, ainsi que l’a rappelé Donald Trump dans un tweet adressé le 19 février dernier à “la France, l’Allemagne, l’Angleterre et nos autres alliés européens”.

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L’occasion pour le président US de les exhorter à “rapatrier dans leurs pays d’origines les 800 combattants européens que nous avons capturés et jugés en Syrie. Le Caliphat est sur le point de tomber. Si l’Europe refuse de les rapatrier, l’alternative sera de les libérer...” Un choix cornélien qui ne plaît guère aux gouvernements européens, qui doivent également faire face aux suppliques de certaines fiancées de Daesh, devenues pour la plupart veuves depuis leur arrivée en Syrie, et qui aimeraient aujourd’hui rentrer chez elles avec les enfants nés dans l’Etat Islamique.

Ignorer l’ignorance


L’une d’entre elles s’appelle Shamima Begum et les quotidiens britanniques ne parlent que d’elle en ce moment. Née dans la banlieue de Londres, elle a quitté le domicile familial à 15 ans seulement pour rejoindre les rangs de Daesh en épousant un combattant, aujourd’hui emprisonné. Âgée de 19 ans seulement, Shamima a déjà donné la vie trois fois, et perdu deux enfants, une fillette et un petit garçon de 8 mois, décédés à quelques mois d’intervalle l’année passée. Avec son fils d’une semaine, Jerah, prénommé en l’honneur d’un combattant islamique, elle attend son sort dans le camp de réfugié d’Al Hawl parmi les autres fiancées de Daesh, reconnaissables dans le camp aux longues abayas noires qui les couvrent de la tête au pied. Après avoir suscité la colère dans son pays d’origine en faisant preuve de bien peu de repentir, Shamima Begum tient un autre discours, et affirme n’être que regrets.

Je regrette d’être venue en Syrie, parce que quand je suis arrivée ici, je croyais que j’allais y fonder une famille. Je ne savais pas ce qu’ils faisaient.


Des déclarations qui ne convainquent pas le propre père de la jeune femme, qui a déclaré dans les médias britanniques ne pas vouloir le retour de sa fille et lui en vouloir pour ses actes incompréhensibles ainsi que certaines de ses déclarations incendiaires, l’adolescente ayant notamment déclaré récemment que l’attentat de Manchester était “mérité”. Pas convaincue non plus par sa prétendue naïveté: Pari Ibrahim, qui affirme que les fiancées de Daesh telles que Shamima étaient partie prenante des horreurs dont les femmes yézidies ont été victimes.

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Les Yézidis sont une minorité ethnique originaire d’Irak qui vivait relativement recluse avant que Daesh ne les prenne pour cible et ne décide de les exterminer en vue de purifier le territoire des “infidèles”. En août 2014, entre 35000 et 50000 Yézidis ont cherché refuge dans les montagnes du Sinjar, où nombre d’entre eux sont morts de faim, de soif ou encore à cause de la chaleur, qui peut atteindre 50 degrés dans ces montagnes arides, sans ombre où se réfugier. L’Etat Islamique s’est alors attelé à une destruction systématique de l’identité yézidie, les hommes ayant le choix de se convertir à l’islam ou mourir, tandis que femmes et enfants ont été capturés et vendus comme esclaves. Au sujet du sort des femmes yézidies aux mains de Daesh, la Fédération internationale des droits de l’homme a parlé de “crimes sexuels pratiqués à une échelle invraisemblable”. Et pour ceux qui se battent aujourd’hui pour que justice leur soit rendue, les femmes des combattants doivent payer aussi.

Les femmes qui se sont mariées avec des combattants sont vues comme des victimes alors qu’elles sont coupables aussi. Dans la plupart des cas, ce sont les femmes qui étaient les tortionnaires des Yézidies, elles qui les gardaient captives, les traitaient comme des esclaves, et n’hésitaient pas à les battre et à les torturer pour se faire obéir.


Et de citer les témoignages d’anciennes captives Yézidies qui décrivent comment les femmes des combattants leur interdisaient de pleurer, les forçaient à réciter des passages du Coran, voire même, les lavaient et les maquillaient avant de les conduire à leurs maris pour qu’ils violent l’esclave de la maison. Hors de question, donc, pour Pari Ibrahim, que ces femmes puissent rentrer au pays sans avoir été jugées au préalable pour leurs crimes.

Punir le génocide


Qu’elle se rassure: les pays d’origine de celles qui ont tout quitté pour rejoindre Daesh en Syrie sont tout sauf prêts à les accueillir à bras ouverts. La Grande-Bretagne a ainsi annoncé que Shamima Begum allait être déchue de la nationalité afin de l’empêcher de rentrer sur le territoire. En Belgique, de nombreux élus plaident pour que les djihadistes qui ont rejoint Daesh soient jugés sur place, tandis que l’ex-ministre de l’Intérieur Jan Jambon a indiqué en janvier dernier que les mineurs qui reviendraient de la zone irako-syrienne seraient suivis par le parquet ainsi que les agences communautaires d’aide à la jeunesse. Dans le cas des jeunes femmes parties de leur plein gré en Syrie ainsi que des combattants, l’Etat belge a prévu de les sanctionner pénalement. Pour ce faire, le gouvernement a ainsi réactivé une loi datant de 1979 et qui prévoit de sanctionner les ressortissants belges à leur retour d’une peine qui peut aller, en Belgique, jusqu’à deux ans de prison. Une peine bien légère aux yeux de Pari Ibrahim.

L’Europe a des lois anti-génocide, et cela semble incroyable qu’ils n’activent pas les mécanismes mis en place après la seconde guerre mondiale. Il y a des preuves et des témoignages que les membres de l’EI ont commis un génocide massif, mais les gouvernement préfèrent parler simplement de terrorisme et jeter les coupables en prison pour quelques années. Sauf que les crimes ont bien eu lieu, le génocide aussi, et l’Europe va droit dans le mur si ses habitants peuvent joindre un groupe armé, commettre un génocide puis reprendre leur vie après quelques années en prison.


Un point de vue partagé par les nombreux opposants au retour des fiancées de Daesh, face auxquels une minorité déterminée essaie de rappeler que ces jeunes femmes ont été endoctrinées et sont donc elles aussi des victimes, la plupart d’entre elles étant à peine sorties de l’enfance lorsqu’elles ont gagné la Syrie. Pour le journaliste britannique Anthony Loyd, qui est le premier à avoir parlé du sort de Shamima Begum, “elle devrait pouvoir rentrer chez elle. Elles devraient toutes pouvoir rentrer chez elles. D’abord, parce qu’on devrait avoir suffisamment confiance en notre système de justice pour traiter les cas de ces personnes, mais aussi parce que si l’on prend le cas de Shamima par exemple, elle n’avait que 15 ans quand elle s’est rendue sur place, elle était incroyablement influençable”.

Plus de mal que de bien?


Pour le journaliste Mubaraz Ahmed, ce genre de discours qui identifie les femmes de combattants comme des victimes est “typique des stéréotypes associés aux femmes musulmanes, qui sont vues comme dociles et soumises à l’autorité des hommes de leurs vies”. Typiquement le genre de clichés qui ont contribué à l’envie de ces jeunes filles de gagner la Syrie.

Non seulement Daesh a eu l’intelligence de jouer sur les rôles associés aux femmes musulmanes, mais en prime, l’EI leur a promis qu’elles joueraient un rôle actif. Il ne s’agit pas tant d’endoctrinement que de participation, tout simplement.


Autrement dit, tenter de coincer à nouveau ces femmes dans le rôle des victimes ne risque de résoudre aucun problème. Les juger pour leurs crimes alors? Ou leur interdire tout simplement l’accès au territoire, sans certitude qu’elles ne pourront pas y entrer de manière clandestine? Mais si c’était là que se cachait le plus grand danger? L’envie d’appartenance qui pousse hommes et femmes occidentaux à rejoindre les mouvements terroristes n’est pas créé par ces mouvements, ils se contentent simplement de l’exploiter. En repoussant les “returnees” qui veulent revenir au pays, il y a donc le risque réel de créer une armée déracinée, susceptible d’être mobilisée dans d’autres conflits. Si la coalition l’a emporté contre Daesh en Syrie, la guerre est loin d’être finie, et il semblerait que pour en affronter ses conséquences, l’Europe n’ait pour le moment face à elle que des options perdantes...

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