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L’anorexia athletica, quand l’obsession de maigrir ronge les athlètes de haut niveau

Kathleen Wuyard

Alors que sur les réseaux sociaux, le hashtag #GymnastAlliance libère la parole des gymnastes sur les abus dont elles ont été victimes, et notamment la pression mise sur leur poids, il n’y a pas que dans le milieu de la gymnastique que l’anorexie rôde. Endémique dans certains sports de haut niveau, elle est la maîtresse dangereuse d’athlètes prêtes à tout pour atteindre le sommet, même s’affamer.


D’elle, on ne sait ni son nom, ni son âge, juste qu’elle est Belge, qu’elle a exercé la gymnastique à un haut niveau et qu’elle a eu le courage de raconter son expérience sur Inner Magic. Un vécu à mille lieues du glamour des podiums et des justaucorps ornés de paillette. Et s’il ne faut pas être un génie pour se douter de toute la discipline qui se cache derrière les figures aériennes parfaitement exécutées, difficile d’imaginer la torture mentale subie par certaines gymnastes, sans parler de celle qu’elles s’infligent parfois elles-mêmes. Avouant ne pas se rappeler quand elle a commencé à détester ce sport qu’elle aimait tant, la gymnaste anonyme confie toutefois se rappeler des cris constants, des blessures dont on leur martelait qu’elles n’étaient “pas si graves”, et puis surtout du body shaming.

La pesée hebdomadaire devant tout le monde, notre coach qui s’incrustait dans le vestiaire durant la pause midi pour inspecter ce qu’on mangeait. On nous interdisait de manger ceci ou cela, pas de bonbons, pizzas interdites, mais pas non plus de pâtes ou de pommes de terre le soir, même après 4h d’entraînement”.


“On nous disait combien de poids on devait perdre, en nous encourageant parce que soi-disant, certaines figures étaient plus faciles si on était plus légères” poursuit-elle. Et d’avouer avoir commencé à souffrir de troubles alimentaires dont elle a pris plus de deux ans à s’extirper. “Aujourd’hui encore, je ne suis pas certaine que j’en guérirai véritablement un jour. Ma relation avec la nourriture sera toujours difficile, tout comme l’image négative que j’ai de mon corps”. Et elle n’est pas la seule à avoir abandonné le sport mais à porter encore les stigmates d’entraînements où le poids était scruté d’aussi près que les capacités sportives.

Des formes qui dérangent


Pour Alice (prénom d’emprunt), la danse classique a longtemps été le quotidien. Six entraînements hebdomadaires, des étagères remplies de livres et romans dédiés à son sport de prédilection et une passion dévorante pour le ballet, dont elle se délectait des représentations quand elle ne dansait pas elle-même: de ses 3 à ses 14 ans, rares ont été les moments où elle n’avait pas des chaussons aux pieds ou dans la tête, jusqu’à se rêver danseuse étoile “quand elle serait grande”. Et puis la puberté est arrivée.

Du jour au lendemain, je suis passée d’enfant athlétique, musclée par des heures et des heures de danse, à ado potelée, avec une énorme poitrine dont je ne savais quoi faire et des hanches encombrantes. J’ai bien vu au regard de mes professeurs de danse que la vision de moi boudinée dans mon justaucorps les répugnait”.


Encouragée à s’affiner un peu avant le spectacle annuel dans lequel elle tient un joli rôle, Alice tombe rapidement dans l’engrenage de l’anorexie et subsiste de quelques bouchées par jour au repas du soir, “parce que contrairement au petit-déjeuner et à midi, je ne pouvais pas esquiver vu que mes parents étaient à table”. Heureusement pour elle, sa mère, médecin, s’alarme rapidement de la perte de poids fulgurante de sa fille, et lui offre l’accompagnement médical nécessaire pour s’en sortir. Même si, 18 ans plus tard, la jeune femme confie avoir toujours une relation des plus conflictuelles avec la nourriture. “Mon cerveau a intégré que la nourriture était l’ennemi, alors j’ai parfois des pics de boulimie intense, où je mange en cachette tous les bonbons qui traînent à la maison, parce que “je n’ai pas le droit d’y toucher” et que je profite que mon mec n’est pas là pour me goinfrer”.

La honte de la maladie


En octobre 2012, dans une carte blanche publiée par L’Obs, l’ancienne championne française d’athlétisme Elisabeth Grousselle, demi-finaliste aux JO d’Athènes de 2004, confiait comment elle a caché son anorexie durant toute sa carrière. Une carrière qui a d’ailleurs démarré parce qu’ado voulant maigrir, elle décide de se lancer dans l’athlétisme pour perdre du poids. “J’ai commencé à pratiquer l’athlétisme à 17 ans, au moment où je suis devenue anorexique. Je me suis inscrite dans un club pour maigrir, pas pour faire de la compétition. Je pensais que le sport était le seul moyen de perdre quelques kilos. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert mes capacités physiques” se souvient-elle.

Je suis restée dans la honte de ma maladie pendant quinze ans, toute ma carrière. Je n’en ai jamais parlé (...) Lorsque les compétitions approchaient, je m’alimentais un peu plus pour avoir des forces. Le pire, c’était quand je partais en stage. Je mentais, je me cachais. Je trouvais des stratégies pour vomir ou faire semblant de manger”.


Et d’ajouter ne pas être seule dans le cas, avançant certaines études selon lesquelles l’anorexie concernerait près d’un.e athlète sur cinquante, certains sports dits “anorexigènes” étant plus à risque que d’autres. Une pathologie tellement répandue qu’elle porte un nom, “l’anorexia athletica”, pour la différencier de la “simple” anorexie mentale.

Dans la revue “Correspondances en Métabolismes”, la médecin du sport et endocrinologue française Paule Nathan souligne ainsi que “sa fréquence est en augmentation chez tous les athlètes: masculins et féminins et dans la majorité des sports. Tout sportif est à risque”.

Sont en cause : la nécessité de faire le bon poids, l’augmentation de la fréquence et du volume de l’entraînement, la pression exercée sur l’athlète par l’entourage du sportif”.


Et d’ajouter que “la prévention et le dépistage doivent être une préoccupation de tous ceux qui entourent le sportif. Le but est de préserver la carrière du sportif, prévenir les complications et le passage à une véritable anorexie”. Car bien qu’elle en ait tous les atours, l’anorexia athletica est à distinguer de l’anorexie mentale, explique Paule Nathan: “contrairement à l’anorexie mentale, où l’objectif est l’obtention d’un poids de plus en plus maigre à n’importe quel prix, dans l’anorexia athletica, le contrôle du poids et la minceur ne sont qu’un moyen pour atteindre la performance”.

Le sport, poison et antidote


Et d’avancer que “les troubles du comportement alimentaire sont facilement repérables dans les sports à composante esthétique qui prônent le principe d’“archimaigre” et dans les sports à contrainte de poids bas. – les sports dits “de minceur”. Une apparence longiligne est valorisée et quasiment indispensable à la réussite des sports à visée esthétique tels que la gymnastique artistique et rythmique, les sports de glace, tel le patinage artistique, et la natation synchronisée. Dix-sept à 33% des danseuses ont eu un passé de TCA, surtout fait d’anorexie”. Même si, “la majorité des sports peut conduire à une anorexia athletica du fait de l’entraînement physique intensif et de la pression importante des entraîneurs et des parents”. Les facteurs déclenchants? Ils associent souvent surentraînement, pression compétitive intense, relation entraîneur-entraîné négative, orientée sur la forme corporelle ou encore manque de temps pour manger. Et la médecin du sport de rappeler qu’en cas de doutes, “la prise en charge doit être ferme et constructive”.

Amère ironie pour les athlètes qui ont développé un trouble alimentaire en marge de leur carrière? La pratique du sport est justement préconisée dans la prise en charge des anorexiques, ainsi que l’explique le Docteur Patrick Bacquaert, qui rappelle que la restructuration du corps passe par une prise de conscience de l’utilité de « réutiliser » son corps, mais aussi que la socialisation que représente la pratique d’une activité physique en groupe est bénéfique, sans oublier l’effet bénéfique de l’activité physique pour renforcer la fixation du calcium et lutter contre l’ostéopénie induite par la longue période d’anorexie. Car entre le poison et l’antidote, tout n’est parfois qu’une question de dosage...

Vous ou un.e de vos proches souffre(z) d’anorexie? N’hésitez pas à visiter le site d’Anorexie Boulimie, une association d’information et de soutien pour les personnes souffrant de troubles alimentaires ou de MIATA, la Maison d’information et d’accueil des troubles de l’alimentation. 

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