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© Depressed woman weighs herself in a bathroom, EPS 8 vector illustration

Le confinement a pesé lourd sur les troubles alimentaires

Kathleen Wuyard


En nous maintenant face à nous-mêmes durant de longues semaines, avec parfois la nourriture comme seule source de plaisir (ou source d’angoisse supplémentaire), le confinement a pesé lourd sur le mental des personnes atteintes de troubles alimentaires. Et ses effets risquent de se faire ressentir longtemps après qu’on soit déconfinés...



Quand le confinement a été annoncé, Marie, une Liégeoise de 26 ans qui a choisi de témoigner anonymement pour cet article, a d’abord cru que c’était pile ce dont elle avait besoin pour dire adieu pour toujours à ses crises de boulimie. Depuis l’adolescence, en cas de stress ou de tristesse intense, c’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle mange. N’importe quoi, n’importe comment, le plus rapidement possible, mais toujours dans le plus grand des secrets, parfois même à pleines poignées dans sa voiture, pour ne pas que ses colocs sachent ce qui se passe. Car depuis 3 ans, Marie habite en colocation, et la réalisation qu’elle allait être coincée H24 avec ses deux colocataires lui a rendu un peu d’espoir: peut-être que c’était exactement ce dont elle avait besoin pour mettre ses crises de boulimie derrière elle.

Maintenant, je me rends compte à quel point c’était naïf, mais je croyais vraiment que le fait de ne plus pouvoir m’empiffrer en cachette allait m’aider à tourner la page. En vrai, j’ai passé les premières semaines du confinement dans une angoisse impossible à vivre, à cause de l’épidémie, mais aussi et surtout parce que du coup je devais guetter chaque moment où je pouvais faire le plein de bouffe en douce dans ma chambre sans me faire capter... Et sans toujours pouvoir vomir après”.


Et de raconter ce “trente-sixième dessous” atteint il y a une semaine, lorsque, profitant du fait qu’une de ses colocs avait dû aller à la poste et l’autre, au supermarché, elle s’est retrouvée à manger des cuillères de mayo à même le pot parce qu’il n’y avait rien d’autre à binger dans l’appart’.

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Empirer les troubles existants


Autre trouble alimentaire, autre extrême: le Dr Séverine Lamour, psychiatre d’origine huttoise, raconte pour sa part le cas de cette patiente anorexique, qui a choisi de ne pas s’alimenter pendant plusieurs semaines d’affilée, y voyant la seule alternative pour “anesthésier son cerveau” et faire taire la panique suscitée par la pandémie. En février dernier, alors que la plupart des pays d’Europe n’étaient pas encore confinés mais se dirigeaient de manière inexorable vers des mesures semblables à celles adoptées par le gouvernement chinois, la revue scientifique The Lancet avait publié les recherches de chercheurs en psychologie de la médecine au King’s College de Londres, qui avaient choisi de s’intéresser à l’impact psychologique d’une période de quarantaine. Sans véritable surprise, les chercheurs ont pu déterminer que les personnes qui avaient été confinées pour faire face à l’épidémie de SARS avaient enregistré des pics de stress, dépression et angoisse, autant de facteurs qui peuvent empirer des troubles alimentaires préexistants.



En outre, dans un article rédigé pour The Conversation par quatre auteurs dont deux psychologues, un addictologue et un maître de conférences appartenant à un groupe d’experts en prévention et promotion de la santé pour Santé Publique France, il était avancé qu’en perturbant nos émotions, le confinement risque de favoriser les troubles alimentaires. Tristement logique, puisque “du fait du confinement, nous sommes plus fréquemment confrontés dans notre quotidien à tout ce qui a trait à l’alimentation et aux situations que nous avons associées avec le fait de manger, ou qui nous y font penser” rappellent les auteurs, qui mettent également en garde.

Le recours à la restriction cognitive, c’est-à-dire l’intention de contrôler ses apports alimentaires dans un but de maigrir ou de ne pas grossir, et/ou à l’alimentation émotionnelle, c’est-à-dire la modulation de la prise alimentaire en réponse à un ressenti émotionnel plutôt qu’à celui de la faim ou de la satiété, pourraient ainsi contribuer à diminuer transitoirement le stress perçu, mais faire le lit de troubles des conduites alimentaires sur le court et le long terme”.


Mais comment briser le cercle vicieux? Les auteurs conseillent de “spécifier, pour une personne donnée, quels comportements posent problème et quels sont les mécanismes spécifiquement impliqués”. Autrement dit, aller à la source et comprendre pourquoi cette compulsion de manger énormément ou au contraire, presque pas. Souvent plus facile à dire qu’à faire pour les personnes souffrant de troubles alimentaires... Dans un reportage consacré à l’impact du confinement sur les troubles de l’alimentation par Madame, le supplément magazine du Figaro, Emeline, Bretonne de 19 ans qui lutte contre anorexie et boulimie depuis 6 ans, confie ainsi que “le problème du confinement, c’est que tu ne peux pas te projeter”. Et de confier refaire “2 à 3 crises de boulimie par semaine” depuis la mi-mars, alors qu’elle n’en avait plus eu depuis plusieurs mois. Vous êtes dans le même cas? Sachez que de nombreuses initiatives sont mises en place pour vous aider à vous en sortir, avec ou sans confinement. L’ASBL Anorexie Boulimie Ensemble recentre les différents centres de soins dédiés de Belgique, mais propose également des permanences téléphoniques les mardi et jeudi de 18 à 20h au 02 524 08 68. Compulsion alimentaire, anorexie, boulimie, hyperphagie: quel que soit votre trouble alimentaire, l’association les Outremangeurs Anonymes s’engage à vous apporter soutien et solutions et propose notamment un questionnaire vous permettant d’évaluer votre rapport à la nourriture.



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