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FAUT QU’ON PARLE: Non, Ahlam Younan n’a pas été victime d’un ““crime d’honneur””

Kathleen Wuyard

Elle s’appelait Ahlam Younan, elle avait 28 ans, et elle a été tuée d’une balle dans la tête dans son appartement en plein coeur de Liège. Alors que l’auteur de son assassinat est toujours recherché, les médias relaient la théorie du “crime d’honneur”. Sauf qu’abattre une membre de sa famille, ça n’a rien d’honorable.


Sa photo, largement diffusée en ligne depuis la découverte de son corps, hante les esprits. En noir et blanc, vêtue d’un t-shirt orné d’une gigantesque paire d’yeux en plein clin d’oeil pailleté, Ahlam affiche un sourire mutin pour la caméra, ses grands yeux noirs bordés de kohl regardant droit dans les nôtres. Immortalisée pour la postérité en plein sourire, Ahlam a été trouvée par sa soeur dans son appartement de la rue Cathédrale, en plein coeur de Liège. Celle-ci a fait la macabre découverte ce dimanche 3 janvier, le corps sans vie de sa soeur ayant été abandonné mains attachées dans le dos, l’arme à feu ayant servi à lui tirer une balle dans la tête ayant été laissée sur le lit de la victime.

 

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Ahlam, tuée pour avoir voulu vivre libre?


Une jeune fille liégeoise, à mille lieues du profil type de ce type d’exécution “gang style”, sauf qu’Ahlam est d’origine syrienne, et qu’il n’en fallait pas plus pour que les médias se précipitent sur la théorie étudiée par les enquêteurs: crime d’honneur. Une appellation mensongère qu’il serait temps de penser à rectifier. Selon la définition d’Amnesty International, “les crimes dits d’honneur comprennent les violences ou le meurtre (généralement) de femmes par un membre de la famille ou une relation familiale (y compris les partenaires) au nom de l’honneur individuel ou de la famille”.

Les crimes dits d’honneur sont une pratique ancienne consacrée par la culture plutôt que par la religion, enracinée dans un code complexe qui permet à un homme de tuer ou d’abuser d’une femme de sa famille ou de sa partenaire pour cause de “comportement immoral” réel ou supposé”.


Et de spécifier encore que la notion d’honneur n’est pas facile à définir lorsqu’il est associé au crime et varie d’ailleurs souvent selon le sexe de la personne. Dans le cas d’Ahlam, selon les articles consacrés à son assassinat, il s’agirait de son mode de vie, “trop occidentalisé”.

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Jean-Michel Crespin, rédacteur-en-chef de la DH Liège, décrit ainsi une jeune femme “qui voulait vivre à l’européenne”, et travaillait en tant que serveuse dans un café du centre-ville au grand dam de sa famille chrétienne d’origine syrienne. Selon sa soeur aînée, Fadia, toutes deux auraient d’ailleurs déjà reçu des menaces de la part d’un de leurs frères. Le 23 août dernier, en légende d’une photo de couverture Facebook, Ahlam avait posté une phrase à la résonance glaçante aujourd’hui:

Vis ta vie comme tu veux au final tu vas mourir un jour ?“. 

Des crimes de déshonneur


Si du côté du Parquet, on précise que la piste “crime d’honneur” n’est qu’une de celles qui sont explorées la répétition des deux mots, accolés au duo “drame familial” pour parler de ce qui n’est rien de moins que l’assassinat de sang-froid d’une jeune femme pleine de vie laisse un goût amer en bouche. Peut-être que la notion d’honneur est compliquée à définir, mais celle de déshonneur, elle, est limpide: tuer un membre de sa famille. Si médias et commentateurs ne font que reprendre l’expression consacrée pour traiter l’affaire, dans un monde où on a rendu l’écriture inclusive, il serait temps de pousser la réflexion plus loin en appelant ces actes impardonnables comme ils le méritent: crimes de déshonneur.

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Et en évitant, aussi, le recours éculé au “drame familial”, car qu’il s’agisse d’Ahlam, dont ni le(s) meurtrier(s) ni les motifs du crime n’ont encore été mis à jour, ou de toutes ces autres femmes tuées par un de leur proche, ce n’est pas une “affaire de famille”, c’est un assassinat. Ainsi que l’a très justement souligné sur les réseaux une commentatrice bruxelloise, “parler de drame familial pour désigner un féminicide, un meurtre, c’est donner crédit à l’idée que ce crime est la résultante d’un état émotionnel dramatique du mari qui l’aurait conduit à tuer sa femme”. Et d’ajouter qu’il est pourtant si simple “de dire la vérité, d’utiliser les bons mots”. Meurtre. Exécution. Parce qu’Ahlam et toutes les autres ont eu des morts si injustes et inutiles qu’elles méritent bien au moins qu’on leur accorde tout le respect qu’elles auraient dû recevoir de leur vivant, en désignant correctement la violente lâcheté dont elles ont été victimes. Des crimes de déshonneur, celui de leur bourreau, qui sous couvert de vouloir laver leur nom, le salissent à jamais.

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