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© Distanciation sociale et coronavirus - Getty Images

Disputes, complot... Le Coronavirus nous éloigne de bien plus qu’1m50

Kathleen Wuyard

En imposant des mesures sanitaires strictes, entre bulles réduites et distanciation sociale obligatoire, le Coronavirus allait forcément nous éloigner un peu physiquement. Mais c’est sur le relationnel que son impact est le plus fort, le virus infectant les relations et transformant les proches d’hier en ennemis d’aujourd’hui.


Lucie* est encore interloquée plusieurs mois après les faits. Au début de la pandémie, quand le virus n’avait pas encore atteint la Belgique, elle en avait parlé au téléphone avec son oncle, qui minimisait l’affaire, mais puisqu’à l’époque même notre propre Ministre de la Santé nous enjoignait à ne pas nous inquiéter, Lucie n’avait pas relevé. Sauf que depuis, le taux de morts et d’infections a grimpé, et bien que la mère de Lucie, sa soeur, ait contracté le Coronavirus et dû faire un passage à l’hôpital, son oncle n’en démord pas: il n’y a pas d’épidémie qui vaille.

C’est hallucinant, parce que c’est comme si on parlait à un fou. Au début, on essayait de raisonner avec lui, mais pour chaque argument rationnel, il nous sort un article “scientifique” fumeux ou une vidéo YouTube de “médecins” russes qui dénoncent le “complot Coronavirus”. C’est devenu constant, et à force, je l’ai viré de mes amis Facebook pour ne plus être exposée à tous ses posts complètement tarés”.


Et la Bruxelloise d’ajouter qu’en ce qui concerne sa mère, la rupture est bien plus profonde encore, cette dernière n’ayant pas supporté que son frère aîné continue de véhiculer ses théories complotistes après qu’elle ait elle-même attrapé la maladie. “Ils n’avaient jamais été très proches, mais là, leur relation est devenue complètement fracturée et ma mère m’a déjà dit qu’il était hors de question de l’inviter pour les fêtes de fin d’année” soupire Lucie.

Distanciation sociale et coronavirus - Getty Images

Coronavirus nous éloigne tous


Jonathan, lui, s’est attiré les foudres de sa famille non pas parce qu’il niait les dangers de l’épidémie mais bien parce que selon eux, il ne prenait pas le Coronavirus suffisamment au sérieux. Bulle éclatée, soirées clandestines? Rien de tout ça, simplement, pour ce gérant d’une petite librairie liégeoise, qui fait également point poste, fermer son commerce durant le confinement n’a pas été une option, et ses proches lui en ont voulu d’être “inconscient”.

Certains ont eu des paroles très dures envers moi, ils ne comprenaient pas que je me mette en danger ainsi et que je mette également en danger ma femme et ma fille. J’ai eu beau leur expliquer que c’était sécurisé, que le masque était obligatoire, qu’il y avait un écran en plastique me séparant des clients, rien n’y a fait, et j’ai été bombardé de coups de fils quasi quotidiens de la part de mes parents”.


Une infantilisation qui a laissé un goût amer au Liégeois, d’autant que “ce n’est pas vraiment comme si j’avais le choix. Bien sûr, mes clients auraient pu se débrouiller autrement pour poster leurs lettres ou acheter leurs magazines, mais moi, je faisais comment pour payer mon loyer?”.

Distanciation sociale et coronavirus - Getty Images

Entre colère des uns et incompréhension des autres, la pandémie semble nous pousser inexorablement vers un repli parfois douloureux au gré des proches à qui on dit adieu. Ces derniers mois, il n’y a pas que nos comptes en banque et nos agendas qui ont fondu comme neige au soleil, nombreux sont ceux qui ont également procédé à un grand tri dans leurs listes d’amis, qu’ils soient virtuels sur les réseaux ou bien réels. Une étude réalisée au printemps dernier par Digital Third Coast a ainsi révélé que 20% des répondants avaient supprimé des amis Facebook après des désagréments sur la pandémie de Coronavirus. Une approche qui fait plus de mal que de bien en ces temps incertains?

Pour Thimothy Caulfield, Professeur de Santé Publique à l’université d’Alberta, au Canada, “une période anxiogène où la science a du mal à suivre l’évolution d’une problématique donnée offre un terreau fertile aux conspirations en tout genre”. La bonne nouvelle? “Des études ont démontré qu’il est possible d’avoir un impact réel sur les gens en les invitant à réfléchir à l’exactitude de ce qu’ils avancent”. Autrement dit, pour jouer un rôle positif contre la désinformation ambiante “plutôt que de supprimer les gens, informez-les”. À condition d’en avoir la patience... Umberto Eco ne croyait pas si bien dire en regrettant que les réseaux sociaux ont “donné le même droit de parole aux imbéciles qu’aux prix Nobel” et la pandémie aura démasqué pas mal de Prix Nobel ès complots qui s’ignorent dans nos contacts. Chouette alors.

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