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Dans ces boulangeries d’Afrique, les femmes mettent la main à la pâte pour changer la société

Kathleen Wuyard

Rêver d’un monde égalitaire où l’on aurait brisé le plafond de verre, ça ne mange pas de pain. Mais pour que cela devienne réalité, il faut retrousser ses manches et mettre la main à la pâte, à l’image des employées des Women’s Bakery, des boulangeries qui redéfinissent la place des femmes dans la société et l’économie en Afrique.


À l’origine de ce délicieux projet, on retrouve Markey Culver, une Américaine native du Michigan qui a pris une pause dans ses études pour faire du volontariat au Rwanda de 2010 à 2012. Afin de créer des liens avec les femmes du village rwandais dans lequel elle a posé ses valises, elle décide de leur apprendre à faire du pain sur base des instructions de son manuel des Peace Corps et des ingrédients disponibles sur place. Très vite, les villageoises se prennent au jeu et découvrent le plaisir de préparer du pain pour leur familles. The Women’s Bakery était née.

Aujourd’hui, ces boulangeries au goût de révolution sociale se retrouvent en Tanzanie et au Rwanda, et emploient 34 femmes. Avec trois ingrédients incontournables: mettre au point des recettes ayant la valeur nutritive la plus élevée possible, utiliser des ingrédients locaux pour soutenir l’économie et les fermiers, et employer le plus de femmes possibles afin de changer les mentalités. Un défi auquel Marley Culver et Julia Greene, co-fondatrices et responsables du projet des Women’s Bakery, tiennent tout particulièrement.

Habiter au Rwanda nous a permis de prendre conscience des inégalités, mais aussi et surtout de voir à quel point elles sont ancrées dans la société ici. Peu de filles vont à l’école, donc elles ne sont pas nombreuses à obtenir un diplôme, et encore moins à rejoindre le monde du travail. C’était extrêmement important pour nous d’offrir des opportunités aux femmes.


Et ces dernières savourent l’opportunité qui leur est offerte de gagner leur propre argent et de nourrir leur famille.

Sur la page Facebook de Women’s Bakery, les témoignages se multiplient. Il y a cette femme anonyme, qui raconte le manque de considération qu’elle devait subir de la part de ses voisins quand elle vendait des légumes au marché, jusqu’à devenir un membre respecté de sa communauté après avoir commencé son travail à la boulangerie. Ou cette habitante de Kigali qui se réjouit que ses formations en boulangerie lui aient aussi appris à comment se faire entendre à la maison. Et puis cette femme qui raconte comment désormais, dès qu’elle reçoit son salaire, elle se précipite chez elle et regarde ce qui manque dans le garde-manger, avec le plaisir de savoir qu’elle peut immédiatement y pallier. Sans oublier les chiffres, impressionnants eux aussi: un salaire mensuel de 72 dollars par mois, soit trois fois plus que le salaire moyen national, 5 000 morceaux de pain vendus chaque semaine, et 100% des employées couvertes par une assurance maladie. Des privilèges qui peuvent paraître normaux voire dérisoires en Occident, mais qui font toute la différence sur place. D’autant que The Women’s Bakery s’est également lancé la mission de changer la manière dont les locaux, et particulièrement les enfants, se nourrissent.

Si Marley et Julie ont d’abord eu l’idée de faire du pain au Rwanda, c’est parce qu’elles n’étaient pas contente de la seule option locale, une pâte frite appelée amandazi et mangée à toute heure. Un en-cas bon marché, certes, mais tout aussi riche en graisses que pauvre en éléments nutritifs. Alors dans les Women’s Bakerie, de la courgette et des carottes s’invitent dans les pâtes à gâteau, le glaçage au chocolat est préparé à base d’avocat et les recettes de pain sont adaptées pour que chaque morceau contienne au moins 7 grammes de protéines. Des produits bons pour la santé, mais qui ont demandé un peu de persuasion pour séduire les consommateurs locaux.

Du point de vue entrepreneurial, le plus grand défi pour nous a été de convaincre les Rwandais de payer le même prix pour un produit plus petit, même si nos pains et pâtisseries ont une valeur nutritive plus grande. Il a aussi fallu leur donner envie de goûter à quelque chose de nouveau: les muffins, par exemple, ne sont pas dans la culture ici. Cela a demandé de la persuasion.


Une opération séduction qui porte ses fruits aujourd’hui. A leurs débuts, Julie, Marley et leurs apprenties boulangères ne produisaient que 3 kilos de pâte à pain par jour. Aujourd’hui, pour répondre à la demande, la production est passée à 35 kilos de pâte quotidiens. Après la Tanzanie et le Rwanda, le projet va s’exporter en Ouganda, avec l’espoir pour les fondatrices d’ouvrir des franchises un peu partout en Afrique de l’Est. Et changer l’image de la femme au passage: ainsi que l’explique Julia, “alors que les femmes sont en charge de la cuisine à la maison, dans le monde professionnel, ce sont les hommes qui occupent ces postes”. Plus maintenant. Et le changement a un goût de pain au miel et de bretzels à la cannelle.

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