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Le lien étrange (et dérangeant) entre Angèle, Roméo Elvis et Game of Thrones

Kathleen Wuyard

Ces derniers jours, ils ont monopolisé l’actualité, entre sortie de la dernière série, du nouvel album ou d’un clip léché. Mais les liens entre Game of Thrones et les Van Laeken vont plus loin que le calendrier.


Vous avez déjà entendu parler du Syndrome de Game of Thrones, également connu sous le nom scientifique de Westerite aigüe? Non? Il y a pourtant de fortes chances pour que vous en souffriez. S’il faut en croire vos proches, les réseaux sociaux, bref l’entièreté de vos interactions quotidiennes, le monde se divise en effet en deux camps: les inconditionnels de Westeros et ceux qui méprisent Game of Thrones. Pas de zone grise possible, c’est blanc (comme Snow) ou noir, et gare à ceux qui osent émettre un avis un peu moins tranché. “Comment ça, tu trouves que ça a un peu baissé en qualité après la saison 3? Non mais n’importe quoi, GoT c’est juste mythique/hyper surfait”, la seconde partie de la phrase dépendant évidemment de si vous vous trouvez face à un “pro” ou un “anti”. Et quand il s’agit des rejetons Van Laeken, c’est pareil.

Suivant votre interlocuteur, Roméo Elvis va être soit “le roi des Belges”, soit un “bouffon qui rappe mal” tandis que sa cadette, Angèle, est tour à tour adoubée comme le nouveau visage de la pop francophone, ou rabaissée à sa condition de “fille et soeur de”. Ici aussi, pas de compromis possible: osez avancer que Angèle et Roméo ne vous font pas plus chaud ou froid que ça, et que vous aimez certaines de leurs chansons, et d’autres pas, et vous aurez droit à un argumentaire enflammé vous expliquant qu’ils sont absolument nuls/géniaux, et que de toute façon, vous êtes un Visigoth attardé qui ne comprend rien à  la vie et encore moins à la musique. Les médecins sont formels, une variation tout aussi dangereuse de la Westerite aigüe s’est répandue en Belgique: la Van Laekenite purulente. Et pour le coup, rien que d’y penser, ça nous file des boutons.

Tyrannie de la pensée


C’est que tel le serpent qui se mord la queue, c’est précisément parce que les opinions sont si tranchées au sujet de Game of Thrones et des Van Laeken  que les opinions se font tranchantes, et que vous vous retrouvez à proclamer “haïr” une meuf au demeurant plutôt inspirante, ou “vomir” une série dont vous n’avez jamais vu le moindre épisode. Pour mieux comprendre ce processus, il faut se pencher du côté de l’oeuvre de Boris Cyrulnik, qui définit les pensées totalitaires comme “une pensée totalement explicative qui ne laisse pas la possibilité d’inventer d’autres pensées. C’est une excellente stratégie de prise de pouvoir qui empêche le plaisir de penser, mais donne les bénéfices de la récitation partagée”. Dont acte: difficile, même pour les plus hargneux des “anti”, de contester la domination culturelle de GoT et de Roméo Elvis et Angèle, qui monopolisent respectivement ondes et écrans. En choisissant un “camp”, on rejoint un groupe, et on obtient ainsi un sentiment d’appartenance rassurant: toujours selon Cyrulnik, “le groupe est sécurisant sur le plan affectif. Avoir le même chef, penser les mêmes choses renforce le sentiment d’appartenance et participe à la définition de notre identité”. Vous n’êtes plus seulement vous, vous êtes un soutien loyal de la famille Stark, aussi fictive soit-elle, et vous êtes également fan d’Angèle, nouvelle princesse belge de la pop. Vos choix , contrairement à d’autres préférences plus marginales (par exemple, votre passion pour les tartines choco-cornichon) sont partagés par d’autres, vous pouvez communier ensemble à  l’autel de vos idoles, et convertir les infidèles. Car la Westerite aigüe et la Van Laekenite purulente ne sont pas simplement des épidémies, mais bien aussi des croisades: que trépassent vos idoles si votre enthousiasme faiblit, alors il s’agit de convaincre les autres de leur supériorité, et vite.

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Que celui ou celle qui n’a jamais dû subir un monologue de 15 minutes sur les mérites comparés d’Angèle et Roméo Elvis ou sur la suprématie intellectuelle du scénario de Game of Thrones nous qualifient de “dramatiques”, les autres sauront. Le raisonnement de Cyrulnik s’appliquant plutôt aux régimes totalitaires qu’au totalitarisme culturel, il conclut que “le groupe a aussi pour effet d’anesthésier et d’euphoriser ses membres. La haine de l’autre, de celui qui est différent, qui pense différemment grandit dans l’esprit des membres du groupe et ajoute à l’euphorie. C’est parce que ces pensées sans altérité ont un grand effet tranquillisant et solidarisant que tant de dictateurs ont été élus démocratiquement”. Mais que faire contre cette tyrannie manichéenne de la culture qui pousse à être “pro” ou “anti” sous peine de n’être rien de plus qu’un mécréant ignorant? Le psychiatre recommande de “privilégier les pensées complexes, loin des raisonnements simplistes”. Et si vous arrivez à peine à placer deux mots face à votre pote parce que son argumentation vous transperce, dites-vous qu’il faut laisser le temps faire: les hystéries collectives se suivent et ne se ressemblent pas, et peut-être que la prochaine idole des jeunes sera la vôtre aussi. Sinon, vous avez toujours la possibilité de leur dire d’aller se faire “en-mhmh”.

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