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Témoignage: ““Battue, j’ai fui pour sauver ma peau””

Barbara Wesoly


Après des années à subir en silence et en secret les coups de son compagnon violent, Saskia, 25 ans, s’est enfuie il y a trois ans, avec son petit garçon. Elle n’a aujourd’hui qu’un seul regret: ne pas avoir réussi à partir plus tôt.


 

“Je me suis tue pendant deux ans. Deux ans durant lesquels j’ai encaissé les coups, je me suis montrée forte. Personne ne se doutait de ce qui se passait. Face au reste du monde, Joël excellait dans l’art de sauver les apparences. Et moi, je n’osais rien faire d’autre que de me taire.

Juste une phase


Je n’avais que 18 ans lorsque j’ai rencontré Joël. Il était charmant, tendre, et j’étais folle amoureuse. On sortait très souvent ensemble, mais nous avions aussi chacun nos occupations. Jusqu’à ce qu’un an plus tard, je tombe enceinte de manière totalement inattendue. C’est alors que les choses ont changé du tout au tout, du jour au lendemain. Joël était d’une jalousie maladive, il ne voulait plus que je sorte sans lui. Si j’allais malgré tout en vitesse faire du shopping ou boire un café, il m’envoyait des SMS tout le temps. Je pensais que c’était une phase, que tout allait rentrer dans l’ordre. Car ça ne lui était jamais arrivé auparavant de réagir de la sorte. Même lorsqu’il m’a frappée pour la première fois, j’ai passé l’éponge. ‘Une erreur’, pensais-je en moi-même, et lorsqu’il s’est confondu en excuses en m’entourant de tout son amour, je l’ai pardonné. Tout le monde fait des erreurs, non?

De ma faute


Il n’y avait aucune raison à cette première fois. Et il n’y en a jamais eu non plus par la suite. L’humeur de Joël pouvait changer en une seconde. Il pouvait être calme et équilibré, puis entrer dans une rage folle pour une broutille. Je ne sais toujours pas pourquoi il a changé aussi violemment durant ma grossesse. Pourquoi soudainement, il n’était plus l’homme doux et charmant dont j’étais tombée amoureuse. Il me tenait pour responsable de toutes ses frustrations.

Il me tirait par les cheveux, m’étranglait et me frappait le visage. Il réussissait à faire en sorte que je me sente coupable. Non qu’il disait ouvertement que c’était de ma faute. Il me faisait sentir de manière plus subtile que c’était à cause de moi qu’il avait explosé.


Petit à petit, je me suis transformée en une petite créature effacée et pétrie de peur. Je n’osais plus rien faire, je restais toujours sur mes gardes, à l’affût de sa prochaine crise de nerfs. Je faisais tout pour éviter la moindre discussion ou dispute. Quand il jouait la comédie lorsque la famille venait nous rendre visite, je jouais le jeu. Car si je ne réagissais pas comme il le voulait, je savais que j’allais le payer le soir.

 

Une oreille bienveillante


C’est ma chef qui, finalement, m’a donné le coup de pouce nécessaire. Quelques mois plus tôt, je lui avais demandé de mentir à ma mère à propos des bleus dans mon visage. Elle devait passer à la boutique ce jour-là et je ne voulais pas qu’elle se doute de quoi que ce soit. Ma patronne devait dire que je m’étais pris une étagère au magasin. Ce qu’elle a fait, avant de clairement me faire comprendre que c’était la première et la dernière fois qu’elle mentirait pour moi. Et à condition que je lui raconte ce qui se passe. J’ai hésité, mais finalement, je lui ai expliqué mon histoire. Lorsque, quelques mois plus tard, je suis arrivée au boulot complètement bouleversée, elle m’a convaincue de faire mes valises.

 

Police, médecin de famille, valises, maman


Ce matin-là, il m’avait une fois encore frappée, et je ne pouvais plus me montrer forte. Ma patronne m’a tout de suite prise à part. Pendant une heure, elle m’a parlé. Elle m’a dit que je devais quitter Joël, et le faire tout de suite. Je devais penser à mon enfant, m’a-t-elle dit. Sur une feuille, elle a noté tout ce que je devais faire: aller à la police, chez le médecin, faire mes valises, prévenir ma mère. Elle m’a donné une semaine de congé et a réparti mon travail entre mes collègues. C’est cette liste qui m’a décidée, ma boss avait fait en sorte de rendre cette étape bien moins difficile pour moi. Bien plus concrète, aussi. Quelques jours plus tard, je suis partie. Très tôt le matin, en emportant le strict nécessaire, après que Joël soit parti travailler et que notre fils, Robin, soit en sécurité à la crèche.

 

Démasqué


Personne ne comprend que ça me soit arrivé. À moi, la femme qui n’avait pas sa langue dans la poche. Et pourtant… Après deux années à me laisser maltraiter, manipuler et dénigrer, je n’étais plus moi-même. Je n’avais plus une once de confiance en moi. Les premiers mois qui ont suivi mon départ ont été très difficiles. Je n’ai pas osé quitter l’appartement de ma mère pendant un mois, terrorisée à l’idée de le croiser dehors. À juste titre, car la première fois où je l’ai recroisé, il a directement cherché la confrontation. En un éclair, je l’ai vu passer dans sa voiture. J’ai agrippé la poussette et j’ai couru. Jusqu’à la banque, d’où je venais de sortir. Pendant de longues minutes, je suis restée cachée là, terrifiée qu’il puisse nous trouver et emporter Robin. Joël nous a trouvés. Et à nouveau, il m’a agressée physiquement.

Je me suis jetée sur mon fils, pour le protéger et empêcher Joël de le prendre, pendant que les coups pleuvaient sur mon visage et mon dos. J’ai eu de la chance, car finalement, Joël est parti… en me laissant des preuves contre lui. Car à la banque, en effet, tout est filmé.

Des regrets de ne pas avoir fui plus tôt


Cela fait trois ans que je l’ai quitté. Financièrement, ce n’est pas facile, mais je réussis peu à peu à me reconstruire. Au début, j’avais seulement une chambre pour Robin, un matelas, une table, quatre chaises et une télé. Mais depuis, mon appartement est devenu plus accueillant. Robin va bien, même si je suis allée chez une thérapeute avec lui à cause de son comportement. Je veux qu’il continue à voir son père, mais en raison de toutes les agressions physiques auxquelles il a assisté, il se met parfois lui aussi dans une colère monstre pour des petites choses. Quand ça ne se passe pas bien chez son père, je le vois tout de suite à son retour.J’ai décidé qu’il n’irait plus si je voyais que la situation se détériorait.

 

Le forcer à se soigner


Entretemps, je continue à réunir des preuves contre mon ex, mais d’après mon avocat, ça n’ira sans doute pas jusqu’au procès. Et ça me met hors de moi. Non, je n’ai pas besoin de voir Joël en prison ou condamné à une grosse amende. Mais une thérapie obligatoire? Ce n’est pas trop demander, je trouve. Joël n’a pas changé d’un poil ces dernières années, car sa nouvelle copine reçoit régulièrement des coups. J’espère qu’un jour, il sera vraiment puni pour ce qu’il a fait. Je me console en me disant que, malgré ses tentatives de me tirer vers le bas et me dénigrer, je suis retombée sur mes pieds et j’en suis fière. Je suis devenue beaucoup plus forte et j’ai réalisé que je n’étais pas du tout coupable de son comportement. Je suis incroyablement heureuse d’être partie. Si seulement je l’avais fait plus tôt, si seulement  je m’étais plus rapidement confiée à quelqu’un…”



Si vous nous lisez et que vous êtes aux prises d’une relation abusive, sachez que vous n’êtes pas seul.e et que vous pouvez trouver de l’aide, notamment en appelant le 0800/30.030, numéro d’Ecoute Violences Conjugales, mais aussi via la liste de contacts rassemblée par Amnesty International.

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