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Témoignage: ““J’ai perdu ma sœur jumelle””

Barbara Wesoly
Comment vivre avec une moitié de soi en moins? Lorsque chaque fête d'anniversaire est aussi un moment de deuil et rappelle cette sœur qui est partie? Elsa, 24 ans, a perdu sa jumelle il y a cinq ans et ne trouve pas le chemin pour continuer seule.

"Je suis la plus "âgée", arrivée cinq minutes avant Camille. Il n'y avait pas de cas de gémellité dans ma famille, ce fut donc une grande surprise pour mes parents quand ils ont su que nous étions deux. Fanny, ma grande sœur, avait cinq ans lorsque nous sommes nées. Mes parents se retrouvaient donc soudain avec trois filles en cadeau au lieu de deux. Dès notre plus jeune âge, Camille et moi étions inséparables. En grandissant, on a continué à tout faire ensemble: shopping, ciné et même karaté. Qui voyait Camille, savait que je n'étais pas loin. Nous avons longtemps partagé la même classe à l'école. Tous les soirs, c'était la course à celle qui serait la première à la maison pour raconter sa journée (rires). En deuxième année, Camille a doublé et cela nous a offert une bouffée d'oxygène. Mais dès la fin des cours, nous foncions à l'arrêt de bus pour voir si l'autre y était déjà.

En dehors de l'école, nous étions toujours scotchées. Et jusqu'au départ de Camille de la maison, nous dormions dans la même chambre.

 

Echange d'identité

Je ne nous trouvais pas tellement semblables physiquement, mais aujourd'hui, lorsque je regarde des photos d'enfance, je dois bien l'admettre. Souvent, même moi, je ne parviens pas à discerner laquelle est qui. D'autant qu'à l'école primaire, nous portions les mêmes vêtements. Maman a malgré tout toujours su faire la différence entre nous, bien que je pense qu'elle se souvenait surtout de qui elle avait placé dans quel lit. Une fois, papa a inversé nos emplacements et il y a eu un moment de panique. (rires). Et nos professeurs avaient également le plus grand mal à nous dissocier. Nous trouvions amusant de changer de classe et je me faisais souvent gronder pour des actes que Camille avait commis.

 

Lien à part

Nos amis, eux, n'éprouvaient aucun mal à nous reconnaître. Nous avions chacune notre caractère et ils l'avaient parfaitement compris. Nous partagions un lien à part que seuls les jumeaux peuvent ressentir. Un jour, Camille était restée à la maison car elle était malade, quand tout à coup, elle a dit à maman "Elsa a mal et elle est en train de pleurer". Maman n'a pas voulu la croire, mais dans le doute, elle a demandé ensuite à notre institutrice si quelque chose s'était passé pendant la journée. Et j'étais en effet méchamment tombée. Il n'était pas rare que Camille reçoive un message et que je ressente une vibration dans ma poche. Nous ne pouvions pas l'expliquer. C'était une connexion unique.

 

Pleurer sous la douche

Un camion a percuté Camille et son amie Joyce à cinq heures du matin, alors qu'elles revenaient de soirée. De mon côté, j'étais partie à une autre fête avec une copine. Mais elle ne répondait pas à mes messages. J'avais un mauvais pressentiment et lorsque j'ai aperçu les pompiers et la police affairés autour d'un scooter, j'ai su qu'il lui était arrivé quelque chose. Plus tard j'ai réalisé que je m'étais sentie soudainement très mal et nauséeuse à la fête. Etait-ce parce que j'avais ressenti qu'elle était en danger? Je ne sais pas. Je sais seulement que j'ai directement su que c'était elle. Je ne parvenais pas à joindre mon père, car il n'avait pas son téléphone près de lui dans la chambre. J'ai heureusement pu parler à mon autre sœur Fanny et cinq minutes plus tard, elle était près de moi. La police nous a ramenées chez nous. Nous voulions prévenir nous-mêmes papa et maman, mais en voyant un véhicule de police se garer devant chez eux, ils se sont doutés d'emblée que c'était grave.

 

Un vide immense

Je ne pourrai jamais oublier quand, le lendemain de l'accident, j'ai entendu mon père pleurer sous la douche. Il avait délibérément augmenté l'eau pour ne pas que nous sachions, mais ses cris étaient trop forts. Ils m'ont brisé le cœur.

Nous avons pu aller voir Camille à l'hôpital. Ils l'avaient retirée du fossé et elle était pleine de sang et de poussière. C'était un spectacle horrible, une vision qui reste gravée dans ma mémoire. Je me sentais abandonnée, seule, désormais. Maman a longtemps ouvert la porte de la chambre de Camille le matin, et y retournait aussi le soir. Cela me donnait l'impression que Camille était juste partie travailler. Mais on ne peut pas vivre éternellement dans l'illusion. C'était tellement dur après son départ. J'avais l'impression d'être tombée dans un trou noir et de ne pas parvenir à faire face au vide.

 

Une autre Elsa

Les semaines qui ont suivi sa mort, tout a changé. Maman et papa n'étaient plus les mêmes. Inquiets, angoissés. Où que j'aille, je devais les prévenir de l'endroit où je me trouvais et leur confirmer que j'étais en sécurité. Nous avons eu beaucoup de conflits, car je ne supportais pas cette situation. J'étais tellement en colère et ils étaient les seuls sur qui je pouvais déverser mon agressivité. J'imagine que ça a dû être très douloureux, ils avaient déjà perdu une fille, et j'étais tellement brutale avec eux. Je ne le réalisais pas, tant j'étais aveuglée par la fureur. J'ai aussi perdu de nombreux amis durant cette période. J'étais capable d'exploser n'importe quand. Aujourd'hui, nous nous sommes retrouvés, mais ce n'est plus pareil. Je ne suis plus la même Elsa qu'avant la mort de Camille. Ma rage a désormais disparu, mais j'ai encore du chemin à parcourir. Seulement, j'ignore comment. J'ai été durant un certain temps chez un psychologue, mais je ne supportais pas la manière dont il me scrutait.

 

Gravée dans la peau

Maman et papa vont presque chaque jour se recueillir sur la tombe de Camille. Pas moi. À mes yeux, ce n'est pas Camille qui est couchée là, dans la terre. Ce n'est qu'une pierre. Et je n'ai pas besoin de cela pour être près d'elle. Elle m'accompagne en permanence. Je me suis fait tatouer un papillon bleu sur le poignet, accompagné de son nom, de sa date de naissance et de celle de sa mort. C'était un acte assez impulsif, réalisé les premiers mois après l'accident. Je le referais aujourd'hui, mais peut-être sans ces dates. Je travaille en tant qu'infirmière en maison de retraite et les gens, voyant mon tatouage, posent des questions, encore et encore. Certains jours, c'est plus facile à gérer que d'autres. Je porte également un pendentif autour du cou, en forme de papillon bleu. Il contient quelques cheveux de Camille. C'est une façon de la garder toujours à mes côtés.

 

Papillon bleu

Je possède aussi un autre bijou. La moitié d'un cœur qui, complet, donnait le mot "Jumelles". Camille me l'avait offert. Elle a été enterrée avec sa moitié, tandis que je porte l'autre en permanence, même si j'ai un jour manqué de la perdre. À cette pensée, j'ai failli suffoquer, alors depuis, elle demeure dans mon portefeuille. J'ai également un livre rempli de photos d'elle. Je rêve beaucoup de Camille et cela semble à chaque fois si réel. Par moments, quand je suis assise dans ma voiture, j'ai soudain le sentiment profond que si je regarde dans mon rétroviseur, elle sera là, à l'arrière. Lorsque j'aperçois un papillon, je pense spontanément à elle. C'était le surnom que lui donnaient nos parents.

Camille vivait au jour le jour, virevoltant comme un papillon. Et, aussi étrange que cela puisse sembler, lors des moments importants, nous croisons souvent un papillon, dans sa chambre ou dans notre jardin.

Camille vivait dans l'instant. Si elle recevait 50 euros, elle fonçait s'amuser en soirée, alors que j'étais plus raisonnable. Elle a toujours testé les limites de ce qu'elle pouvait faire, à la maison comme à l'école. J'étais une jeune fille timide. Camille, elle, n'avait peur de rien.

 

Chambre intacte

L'accident s'est produit à 700 mètres de notre maison. Chaque fois que je me rends au travail, je passe par ce carrefour. Le plus douloureux est de passer par le tout dernier endroit où elle a roulé juste avant l'accident. Je roule souvent toute seule, et une partie de moi a très peur qu'il m'arrive la même chose qu'à Camille. Je ne veux pas de flashbacks de ce moment et je préfèrerais pouvoir éviter ce lieu. La chambre de ma sœur est restée intacte depuis ce jour-là. Peu de temps avant de partir en soirée, elle avait essayé des vêtements. Ceux qu'elle avait laissé traîner sont toujours au même endroit. J'y entre parfois. J'observe les photos sur les murs ou je vais chercher quelque chose qui lui appartient. Mon anniversaire, en octobre, est toujours un moment compliqué. J'aimerais me réjouir d'avoir un an de plus, mais je souffre de son absence. C'est la seule fois de l'année où je vais au cimetière, poser des fleurs sur la tombe de Camille.  Au début, certains craignaient de me le souhaiter, de peur que cela me fasse du mal, mais je leur ai expliqué qu'il fallait que ce jour soit aussi un peu le mien. Même si cela reste une date difficile.

 

Une peine insuffisante

Le procès de l'homme qui a tué Camille en la renversant a été éprouvant pour tout le monde. Il a duré cinq ans et à chaque fois nous étions inquiets. Serait-il là? Qu'inventerait-il encore cette fois? Il s'est raccroché à toutes les versions possibles et imaginables. Il s'était arrêté et était revenu sur ses pas, mais n'avait rien remarqué. Il pensait avoir heurté un cerf. Il avait vu deux filles sur un scooter, mais elles s'étaient enfuies, et ainsi de suite. Il n'a jamais admis les avoir percutées. Il a même osé affirmer que Camille avait tenté de se suicider. Le doute demeure sur de nombreuses questions, mais nous savons avec certitude qu'il conduisait trop vite. Il aurait pu éviter l'accident s'il avait roulé à 70 km/heure. Peut-être était-il saoul, mais lorsqu'il a été appréhendé par la police le lendemain après-midi, il était trop tard pour un test d'alcoolémie.

Il a perdu son permis, a dû payer des indemnités et effectuer des heures de travail d'intérêt général. Mais il n'a pas été en prison. Et ce, malgré le fait d'avoir causé la mort de deux jeunes filles.

Selon le rapport du médecin légiste, le fait qu'elles n'aient pas reçu immédiatement d'aide n'a rien changé. Camille et Joyce n'auraient pas pu être sauvées, même si les services de secours étaient arrivés directement. Mais peu importe la peine qui aurait été attribuée à cet homme, elle nous aurait toujours semblé trop légère, insuffisante. Lorsque la sentence a été prononcée nous nous sommes levés et avons quitté la salle, dégoûtés par cette sanction si faible.

 

Je l'ai laissé tomber

Nous sommes venues au monde ensemble, en tant que jumelles. C'était ainsi et nous n'y songions pas particulièrement, car nous ne connaissions rien d'autre. Mais la mort de Camille a été terrible. Nous partagions le même ADN. Et ce morceau de mon être est perdu pour toujours. Son absence est si grande que je ne pourrai plus jamais me sentir complète. Elle savait ce que je pensais et ce que je ressentais, même lorsque nous n'échangions pas le moindre mot. Je n'avais jamais imaginé devoir continuer à vivre sans elle. Nos existences semblaient tracées en commun. Je nous voyais déjà vivre dans des maisons voisines l'une de l'autre, avec nos bébés. J'ai toujours pensé que le jour où elle mourrait, je partirais avec elle. Nous ne pouvions exister l'une sans l'autre. Mais ensuite, elle est partie et je ne pouvais pas abandonner moi aussi ma famille. Je ne pouvais leur faire autant de mal. Une part de moi a malgré tout l'impression d'avoir brisé ma promesse. Je lui avais juré de ne jamais l'abandonner, mais je ne l'ai pas suivie.

 

Ressentir chaque jour son absence

Elle a disparu, mais pas entièrement. Je sais qu'elle est morte, mais je n'arrive pas à réaliser que je ne la reverrai plus. Peut-être est-ce une manière inconsciente de me protéger du chagrin. Sa présence est ce qui me manque le plus. Aujourd'hui, je suis seule en permanence. Son rire me manque. Et toutes les bêtises qu'elle pouvait faire. Même sa manière de tout obtenir. Son absence se ressent le plus durement dans les petits moments. L'anniversaire de maman ou celui de papa, lorsque les enfants font quelque chose de drôle. Quelqu'un a un jour dit à maman que c'était simple pour elle, qu'il lui suffisait de me regarder et de voir Elsa ou de poser les yeux sur moi et de choisir de contempler Camille à ma place. Comment peut-on imaginer que ce soit plus simple à vivre? J'ai trouvé ça tellement déplacé.

 

Très proche de Fanny

Notre sœur Fanny était une grande à nos yeux, du haut de ses cinq ans de plus. Je l'aimais bien sûr, mais ce n'était pas du tout la même relation qu'avec Camille. Après sa mort, Fanny et moi nous sommes énormément rapprochées. Elle a comblé une partie du vide laissé par ma jumelle. Fanny me protège et lorsque je ne sais pas comment agir, je lui demande conseil,. Durant les cinq dernières années, Camille demeurait constamment dans ma vie. Mais tout cela est terminé. Le procès s'est achevé et le panneau de signalisation SAVE (qui marque le lieu ou un enfant est mort dans un accident de la route) a été placé au carrefour où s'est déroulé l'accident. La dernière cérémonie s'est achevée. Et maintenant? Nous ne devrions plus jamais rien faire pour honorer le souvenir de Camille? C'est trop pour moi. Tout comme cette crainte que je ressens, de disparaître dans un trou noir.

Le manque de Camille restera toujours présent dans mon cœur, et je dois aujourd'hui apprendre à l'apprivoiser.

 

Quelle route emprunter?

Depuis sa mort, j'essaye jour après jour de vivre comme les autres. Parfois j'y arrive. Parfois je suis incapable de voir qui que ce soit de la journée. Je recherche encore ma place dans le monde. Avant, mon seul choix consistait à déterminer l'option que je prendrais à l'école. Tout le reste, nous le décidions ensemble.

Désormais toutes les options me sont ouvertes. Cette latitude me paralyse par moments. Qui suis-je toute seule?

Maintenant je me retrouve sans cesse face à son absence. J'espère qu'elle serait fière de moi si elle pouvait me voir aujourd'hui. J'ai un bon travail et une maison. Je suis devenue quelqu'un. Mais je sais aussi ce qu'elle me dirait. Je sais qu'elle me demanderait d'arrêter de vivre dans le passé et de tirer un trait. "Aime et profite, tant que tu en as la possibilité. Fonce. Tu n'as pas besoin de moi." Je peux presque l'entendre prononcer ces mots. Et elle aurait raison. Mais ce n'est pas parce que je le sais que j'y arrive pour autant. C'est tout sauf évident."

 

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