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TÉMOIGNAGE: Anaïs et son amoureux se sont éloignés de leur smartphone pour leur couple

La rédaction

Les smartphones peuvent affecter les relations interpersonnelles. Phubbing (contraction des mots phone (téléphone) et snubbing (snober)), technoférence ou encore bluelighting… Ce ne sont là que quelques-uns des dangers qui rôdent autour d’une consommation accrue de son téléphone. Notre journaliste Anais et son amoureux ont cherché (et trouvé!) les moyens de les éliminer.

Nous sommes presque toujours ensemble, toute la journée. Il me réveille le matin et est à mes côtés quand je m’endors. Je peux compter sur lui, même à 3 heures du matin. Et à 3 h 45, et à 5 h 15. Il peut me divertir pendant des heures. Il joue des chansons, raconte des blagues et me touche avec les histoires les plus émouvantes. Quand il n’est pas là, je me sens vide, comme si quelque chose me manquait. Même lorsqu’il est dans une autre pièce, je veux l’attraper et l’avoir près de moi. Parfois, mon amoureux essaie d’intervenir. Il se plaint que je l’ignore et que je lui accorde trop peu d’attention. Enfin c’est ce que je crois. Car souvent, j’entends à peine ce qu’il est en train de me dire. Sauf qu’en fait, mon amoureux est mal placé pour faire la morale, parce qu’il fait exactement la même chose. Tous les deux, nous passons beaucoup de temps avec lui… Mais bon, nous ne sommes pas les seuls. Selon le site parlement wallonie.be, 1 Belge sur 5 passe plus de 5 heures par jour sur un smartphone. Quand on y pense, c’est plus que le temps d’un dîner ensemble.

Reine du multitâche

Naïve comme je suis, je ne vois pas où est le problème, car grâce à mon smartphone je peux faire plusieurs choses à la fois, non? J’écoute des podcasts en faisant la vaisselle et j’envoie des messages drôles pendant que mon amoureux essaye de me raconter sa journée. Selon les recherches, la première action est tout à fait possible car elle ne nécessite pas de présence cognitive profonde. En revanche, la seconde action serait impossible. Je m’explique: dans le livre Comment rompre avec votre smartphone, on s’aperçoit vite que le multitasking ou multitâche n’existe pas vraiment. On devrait plutôt parler d’alternance de tâches. L’autrice Catherine Price compare le multitasking aux voitures qui doivent effectuer des virages serrés et ralentir, changer de vitesse et redémarrer à chaque changement de tâche. Même quand ça semble anodin, comme jeter un coup d’oeil sur TikTok en regardant la télé, consulter ses mails en étant au téléphone, envoyer des SMS pendant que notre partenaire nous parle... Au final, on accomplit ces tâches à moitié.

Phubber en horreur

D’accord, mon amoureux marque un point. Mais pourquoi fait-il tout un drame de me voir de temps en temps sur mon smartphone? Ce n’est quand même pas si grave, si? Eh bien, selon les recherches, nous sous-estimons la fréquence à laquelle nous regardons notre smartphone, car nous le faisons en fait environ 150 fois par jour. Lorsque cela nuit aux conversations ou au temps de qualité avec notre partenaire, cela peut avoir de graves conséquences sur une relation. En fait, c’est tellement grave qu’on parle désormais de phubbing et bluelighting: quand le ou la partenaire est souvent distrait·e par son téléphone, faisant en sorte que l’autre se sente rejeté·e et non écouté·e. Le phubbing est si courant qu’il est l’une des principales causes de conflit dans les couples, avec l’argent, les enfants et le sexe. Cela commence souvent par un manque de contact visuel, mais parfois la présence de l’autre personne est complètement ignorée, ce qui peut même conduire à des problèmes au lit. Des études montrent que 62 % des femmes et 48 % des hommes ont déjà vérifié leurs téléphones portables pendant… un rapport sexuel. Les smartphones sont un danger pour nos relations intimes. La recherche montre que notre capacité à être avec les autres a considérablement diminué. Par exemple, un appareil sur la table réduit déjà la qualité de la conversation, on est plus empathique quand aucun téléphone portable n’est visible. Vous manquez d’expressions et de nuances, vous perdez de l’authenticité et de la connexion, qui sont cruciales pour une bonne relation. La psychologue clinicienne et relationnelle Sarah Hertens le remarque aussi dans sa pratique: « Les couples se plaignent souvent de l’absence de l’autre. Leur partenaire écoute, mais est ailleurs dans ses pensées. Le téléphone portable est parfois un élément perturbateur au lieu d’un moyen de communication. Cet appareil nous sépare littéralement. Il arrive même que certains couples viennent me voir et sont heureux de pouvoir se parler pendant une heure, sans être distraits par leur smartphone. » Le phubber n’a aucune intention malveillante lorsqu’il ou elle est distrait·e par son téléphone. Il ou elle réagit uniquement à une impulsion à laquelle il est difficile de résister.

Arme de destruction

Alors que les doux rayons du soleil viennent caresser les murs de notre chambre, mon amoureux me demande de fermer les rideaux. « Parce que je n’arrive pas voir mon écran avec cette lumière. » Nous sommes tous les deux réveillés depuis au moins une demi-heure, dos à dos, chacun sur notre téléphone portable. « C’est quand même dingue » dis-je. « Il est temps que ça change. » S’ensuit alors une longue conversation dans laquelle je lui parle comme une mère et lui comme un adolescent têtu. Un jeu de rôle qu’il vaudrait mieux éviter pour le bien de notre vie sexuelle. Il finit par céder, à contrecœur. « Ok, on commence demain.» Aussitôt dit aussitôt fait. Le premier jour de notre vie sans smartphone commence et nous sommes pleins de bonnes intentions. C’est dimanche, et nous passons la journée rien qu’à nous deux. Nous décidons de ne retrouver notre smartphone qu’après 19 heures. Optimistes, nous nous promenons ensemble. « Regarde ces arbres », s’émerveille-t-il. « Et est-ce que tu entends les oiseaux? », « Incroyable », concluons-nous. Que nous étions naïfs... Quand je rentre chez moi, j’ai un noeud dans le ventre, quelque chose qui m’attire, et je n’arrive pas à m’en débarrasser. Mon amoureux ressent la même chose. Sans nous regarder, nous attrapons tous les deux nos téléphones portables. « Je regarde vite si j’ai un message », se transforme en une heure à scroller, chacun plongé dans notre propre monde, en ne prêtant presque plus attention à l’autre. Avant de juger, soyez honnête. Depuis que vous avez commencé la lecture de cet article, avez-vous sorti votre téléphone? Ou du moins l’avez-vous regardé du coin de l’oeil? Nous sommes tellement conditionné·e·s à vouloir constamment de nouvelles impulsions. Souvent, notre cerveau n’est même plus capable d’accorder une attention à long terme et ininterrompue à un sujet ou à une tâche. Le neuropsychiatre Theo Compernolle raconte dans un article que c’est parce que nous sommes connecté·e·s en permanence à Internet, aux smartphones et à toutes sortes d’applications. L’attention est comme un muscle que vous pouvez entraîner. Si vous n’entraînez plus ce muscle et que vous vous laissez constamment interrompre, vous négligez ce muscle de l’attention et développé ce qu’on appelle un broken brain.

Couteau suisse

Lundi, pleins de bonne volonté, nous décidons de nous y remettre. Mais comment faire durant la semaine alors que nous avons besoin de notre téléphone portable pour travailler? On a souvent tendance à adopter une politique de tolérance zéro, mais mon téléphone portable n’est pas seulement un moyen de communication, je l’utilise aussi comme GPS, pour suivre mes performances sportives, écouter de la musique, lire l’actualité et checker Instagram.

Bye bye smartphone

Ultime épreuve, mon chéri et moi partons en week-end, sans portable ni autre écran, pour ne pas courir le risque de la technoférence: se laisser distraire par la technologie. Nous avons convenu de laisser le mien à la maison et de n’utiliser que le sien (dans le cas où c’était la fin du monde – une pandémie, une invasion russe, la variole du singe... Les premiers instants, je suis nerveuse, mais dès que notre train roule le long de jolis paysages, je me sens détendue. On se retrouve dans un magnifique AirBnb, avec vue sur un fleuve. Ça aide. Pendant trois jours, nous avons passé du temps ensemble, de manière consciente et attentive. Je ne dis pas que ça ne m’a pas démangé, surtout pendant certains petits temps morts. Et il faut l’avouer, nous n’avons parfois pas grand-chose à nous dire. Mais une fois que nous avons accepté ce bouleversement, nous nous sommes retrouvés. Ça peut sembler anodin de vérifier votre téléphone dans un moment de silence, mais une relation se nourrit dans ces micro-instants: une conversation au petit-déjeuner, un sourire lors d’une conversation, un regard coquin dans la chambre. C’est dans ces petits moments que l’on tisse vraiment du lien avec l’autre. Ces moments sont perturbés dès qu’un téléphone est présent. En tant que partenaire, nous ne pouvons pas rivaliser avec un appareil qui attire et séduit constamment l’autre. Cela nous donne l’impression que nous ne sommes pas assez important·e·s ou pire encore que nous ennuyons l’autre, ce qui peut conduire à des insécurités envers nous-mêmes et dans la relation. Vous devez faire des efforts l’un pour l’autre. Cela en vaut vraiment la peine. Mon amoureux et moi nous sommes beaucoup rapprochés. Nous nous sommes écoutés, nous avons eu plus de temps de qualité ensemble. Pendant nos vacances sans smartphone, nous avons lu des livres, fait des mots croisés, écouté de la musique, nous avons parlé jusque tard dans la nuit. Un couple de petits vieux ennuyeux? Moi, j’appelle ça être heureux.

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