Si pour certaines personnes, la moindre mention du mot “confinement” suffit à amorcer une crise de panique, pour d’autres, il évoque une période bénie qu’elles donneraient tout pour retrouver.
Et s’il est tentant d’y voir la prérogative de celles et ceux qui ont tendance à préférer le repli, la plupart des personnes qui nous ont confié espérer être bientôt confinées auraient plutôt tendance à se décrire comme sociables, parfois même à outrance. Et c’est bien là le problème, pour Léo*, trentenaire liégeois au coeur d’une bande de potes épanouie et cadet d’une grande famille, qui confie de but en blanc avoir “vécu sa meilleure vie en confinement”. Mais demande toutefois la garantie de l’anonymat avant de faire part de son ressenti, “parce que je ne voudrais pas vexer mes proches, et aussi parce que je réalise bien qu’il y a une forme d’obscénité à avoir kiffé le confinement alors que ça a été l’horreur pour tellement de gens et qu’il y en a même qui ont vu ceux qu’ils aimaient emportés par la pandémie”.
Le confinement m’a permis de vivre quelque chose que je n’attendais pas avant d’être retraité: la possibilité d’être entièrement maître de mon temps. Bien sûr, j’avais des obligations par-ci par-là, mais la nature de mon travail m’a permis de m’organiser à ma guise, et de prendre le temps de me poser, sans devoir courir à gauche à droite pour ne nier aucune invitation et faire plaisir à tout le monde.
L’enfer serait-il donc vraiment les autres?
Une pause s’impose
“C’est dingue, parce qu’avant le confinement, je n’avais jamais pris conscience du poids que la charge sociale faisait peser sur mon mental” confie pour sa part Louise*, dont l’Instagram laisserait plutôt penser qu’elle n’aime pourtant rien tant que de socialiser.
D’aussi loin que je m’en rappelle, j’ai toujours été celle sur laquelle on compte pour mettre l’ambiance en soirée et la dernière personne à quitter le dancefloor et c’est vrai que j’adore faire la fête. Mais être privée de sorties m’a permis de réaliser à quel point ça avait fini par me peser de ne jamais pouvoir refuser une soirée sous couvert que “non mais allez, pas toi quand même”. Alors que parfois, même quand on kiffe la fiesta, on a juste besoin de faire une pause.
Idéalement, de quelques jours ou quelques semaines seulement, mais pour Louise, cette période d’inactivité sociale prolongée qui a un temps semblé ne jamais vouloir s’étirer a permis une véritable remise en question. Même si, dans les faits aujourd’hui, la jeune femme ne voit pas bien comment parvenir à retrouver son équilibre. A part avec un nouveau confinement évidemment. “Je réalise que ce n’est pas la solution, mais depuis que les restos et les bars ont rouvert, j’ai l’impression qu’il y a comme une espèce de frénésie et cent fois plus d’invitations qu’avant. Du coup, ça devient encore plus difficile de répondre ‘non merci, je t’aime mais je ne suis pas en forme là’, surtout qu’il y a en plus une forme de culpabilité à nier des gens qu’on n’a pas pu voir pendant des mois”.
Alors comme Léo, Louise attend, sans trop se faire d’illusions pour autant, parce que “si après la double campagne de vaccination, on nous renferme chez nous, c’est quand même un sacré constat d’échec”. Et sans faire grand bruit non plus de son désir de reconfinement: “je pense que certains de mes potes pourraient limite ne plus me parler si je leur disais qu’en vrai, j’ai envie qu’on nous assigne à nouveau chacun chez soi” rit Léo.
Dans le cocon du confinement
Reste que le mal-être que ressentent les deux jeunes gens est tout sauf drôle, et loin d’être limité à l’un ou l’autre party animal un peu essoufflé d’enchaîner les soirées. Pour beaucoup d’entre nous, retrouver sa place dans le rythme effréné de la vie moderne, lequel semble s’être accéléré ces dernières semaines, est d’autant plus compliqué que le confinement a constitué une sorte de cocon.
Je fais partie des personnes qui ont eu la chance de ne pas perdre leur boulot et qui ont pu en prime bosser à la maison durant tout le confinement, avec même un espace bureau confortable déjà existant chez moi. Vraiment vraiment chanceux donc. Mais ce qui m’a fait me sentir le plus privilégié, c’est de découvrir une autre manière de travailler, plus réfléchie, moins speedée, plus respectueuse de la vie privée de chacun aussi. Je pense que si mes collègues parents avaient annoncé ‘je peux pas, je dois donner à manger aux petits’ dans la vie d’avant, mon boss les aurait trucidés. Mais là, il y avait une immense bienveillance qui me manque aujourd’hui – Paul*, 34 ans, actif dans la finance.
En ligne, les articles titrés d’une variation de “Pourquoi le confinement nous manque” et “les X souvenirs de confinement qui nous manquent” sont trop nombreux pour les compter, signe que le sentiment est répandu. Et si, toutes choses étant égales, souhaiter un nouvel arrêt (presque) total de l’économie et de la société est aussi égoïste qu’illusoire, rien n’empêche toutefois d’essayer de mettre le doigt sur les raisons du manque – et de tenter de trouver des manières d’y remédier. Dans le cas de Louise, par exemple, cela implique pas mal de franchise: “plutôt que de trouver une excuse bidon mais garantie de ne pas vexer, je n’hésite pas à répondre que pour ma santé mentale, j’ai besoin de rester un peu seule, mais merci pour l’invite”. Et d’ajouter dans un éclat de rire que “si ça vexe des gens, ce n’est pas plus mal, c’est comme s’ils disparaissaient de ma bulle et ça me fait moins de sollicitations sociales à gérer”.
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