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J’ai fait une ‘dépression du sportif’ malgré ma passion

Sarah Moran Garcia

Après plus de vingt ans de volley, plus de vingt ans de passion, j’ai fait une “dépression sportive”. Ce n’est que très récemment que j’ai pu mettre des mots sur ce que j’avais vécu, et pris une décision radicale.

Il y a un tout petit peu plus de vingt ans, je suis tombée amoureuse du volley. Je devais être en quatrième ou en cinquième primaire. Je me souviens qu’à cette époque, le dessin animé « Jeanne et Serge », qui contait les aventures sportives et amoureuses d’une volleyeuse, était rediffusé à la télé. C’est aussi à cette période-là que j’ai découvert ce sport à l’école. Ce sont ces deux éléments conjugués qui m’ont poussée à commencer le volley.

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Je vais passer sur les détails des premières années de ma “carrière” sportive, et en venir directement à 2019, quand j’ai repris le volley après une pause de trois ans pour mes études. J’ai intégré une équipe incroyable et soudée, la meilleure que l’on puisse imaginer. Humainement, c’était génial. Sportivement, j’ai pris conscience qu’il existait de meilleures joueuses que moi. Jusqu’alors, j’avais souvent été un élément-clé, voire la capitaine, des équipes dans lesquelles j’avais joué. Là, je recommençais presque à zéro, je devais me faire ma place, prouver ma valeur. C’est en tout cas comme ça que je l’ai vécu. Et j’ai beaucoup appris.

Suite de déceptions

Un an après avoir rejoint l’équipe, nous sommes montées de division. La saison suivante avait démarré sur les chapeaux de roue avec un nouvel entraîneur et de nouvelles joueuses motivées, mais le Covid-19 est arrivé. La reprise n’a eu lieu qu’un an et demi plus tard, avec une équipe amoindrie et, pour certaines filles, une motivation écornée. La saison a été une suite de défaites et de déceptions pour l’équipe, mais aussi pour moi.

J’ai commencé à me poser des questions sur mes propres capacités et sur le fait que je pourrais encore évoluer.

Sarah

Je me donnais à fond, je ne manquais aucun entraînement. Je mangeais volley, je dormais volley, je respirais volley. Bien souvent, je refusais des soirées parce que j’avais match le lendemain, alors que, quelques années auparavant, j’aurais assumé les deux sans problème. Bref, la place que le volley avait prise dans ma vie à cette époque-là était énorme. Alors la chute a été vertigineuse lorsque j’ai été reléguée sur le banc. Il faut dire que j’ai toujours été très compétitive, dans le sport comme en dehors. Un peu trop, peut-être. J’ai commencé à me poser des questions sur mes propres capacités et sur le fait que je pourrais encore évoluer, ce qui était très important pour moi.

C’est aussi à cette période que l’état de santé de ma grand-mère a commencé à se dégrader. Tout ça accumulé, j’ai pété les plombs. Alors que je n’aurais jamais imaginé manquer un entraînement ou un match, j’ai décidé de faire une pause pour réfléchir. Au bout de deux ou trois semaines, je suis revenue, toujours un peu frustrée. Et peut-être aussi en colère. Contre moi, surtout.

Changement soudain et rejet

Au terme de la saison, notre place au classement ne nous garantissant pas le maintien, nous avons été reléguées à la division inférieure. Avec ça, nombreuses sont celles qui ont décidé de changer de club ou d’arrêter le volley. Avec les coéquipières qui restaient, nous avons bataillé pour trouver de nouvelles filles. En vain. Pour la première fois de ma vie, le volley m’a obsédée même durant la trêve estivale. Mes questionnements sur mon avenir “volleyballistique” étaient nombreux. Finalement, en septembre, nous avons dû admettre que c’en était fini de notre très chère équipe.

La saison sportive avait déjà commencé. Stressée à l’idée de ne pas trouver de place ailleurs, j’ai enchaîné les tests. J’ai été recalée dans une première équipe. Une déception qui m’a, une nouvelle fois, fait me remettre en question, mais une décision compréhensible. Je n’avais pas encore le niveau pour une division nationale, et encore moins pour cette équipe-là en particulier. J’ai toutefois été acceptée dans une équipe adverse. C’était un peu pour moi comme une revanche sur la vie, et j’ai repris du poil de la bête. J’ai malgré tout préféré rester dans la division inférieure, la même que mon équipe d’autrefois, afin de ne pas revivre les mêmes frustrations que l’année précédente. Du moins, je l’espérais.

Plus que de la frustration, j’ai ressenti de la colère. Pourquoi cette décision, alors que l’on était content de mon jeu?

Sarah

J’avais tout de même trouvé un accord. Je m’entraînais et jouais les matchs avec “mon” équipe, et, une à deux fois par semaine, j’allais m’entraîner avec l’équipe de nationale. Tout se passait bien jusqu’à ce que, sous un prétexte fallacieux, on m’informe que je ne pouvais plus m’entraîner dans “l’autre” club. Plus que de la frustration, j’ai ressenti de la colère. Pourquoi cette décision, alors que l’on était content de mon jeu? J’ai ravalé ma fierté et je me suis efforcée à aller de l’avant.

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Une blessure salutaire

À côté de cela, le plaisir de jouer n’était pas présent dans mon club. Je me suis sentie inutile sur le terrain comme en dehors. Les promesses du début de saison se sont très vite envolées. Le volley était presque devenu une obligation. Je feignais prendre cela par-dessus la jambe, mais le fait que j’en parle tous les jours à mon copain, souvent jusqu’à l’overdose pour lui comme pour moi (surtout pour lui), était bien le signe que je me fourvoyais. J’ai souvent songé à arrêter la saison en plein milieu, mais abandonner n’est pas dans ma nature. J’ai mordu sur ma chique.

Puis un jour, au détour d’une sortie à ski, je me suis méchamment tordu le pouce. Le verdict était sans appel, j’avais une entorse et une microfracture. Nous étions à peine en janvier, et j’ai dû arrêter la saison malgré moi. Tout ce que j’avais voulu éviter. En réalité, cet accident m’a été véritablement salutaire. Je n’avais plus à me tracasser du volley, de savoir si j’allais jouer ou non au match. J’ai retrouvé du temps pour moi, je me suis apaisée. Chez moi, je n’abordais plus, sinon à de très rares occasions, ce sujet qui m’avait tant tourmentée.

Ce n’est qu’il y a quelques semaines que j’ai décidé de faire une pause d’un an au moins. Jusqu’alors, j’avais dans l’espoir de reformer une équipe avec mes anciennes coéquipières, mais je me suis rendu compte qu’il était peut-être encore trop tôt. Ou du moins, que je n’avais pas envie de reprendre le volley dans l’immédiat. Je n’abandonne pas le sport, qui a toujours fait partie de ma vie, mais cette année, je la prends pour moi, pour appréhender le sport différemment. Plus comme une compétition constante, mais comme un moyen de me sentir bien dans mon corps et dans ma tête. Je ne sais pas ce que je ferai au bout de cette année sabbatique, je ne sais même pas si j’arriverai à tenir une saison complète sans toucher une balle. Mais une chose est certaine, je recommencerai, un jour ou l’autre, à faire du volley.

De la dépression au burn-out

Ce n’est que très récemment que j’ai pu mettre des mots sur ce que j’ai ressenti. Bien qu’il m’ait été difficile de l’admettre, j’ai vécu un épisode dépressif. Mais certains·es sportifs·ves peuvent connaître ce que l’on appelle un “burn-out du sportif”.

Les dépressions peuvent être assez fréquentes, tout simplement parce que le·la sportif·ve est fort sollicité·e, qu’il·elle connaît des moments de fortes émotions.

Manuel Dupuis

Psychologue du sport

Cela se produit quand un·e sportif·e, professionnel·elle comme amateur·rice, n’en peut plus physiquement et/ou mentalement. “Les vrais burn-out sont assez rares. Le plus souvent, il s’agit d’un épisode de dépression”, nous explique Manuel Dupuis, psychologue du sport. “Ce type de période difficile peut être assez fréquent, tout simplement parce que le·la sportif·ve est fort sollicité·e, qu’il·elle connaît des moments de fortes émotions, comme de grandes déceptions.” Les blessures, aussi, peuvent être des causes de dépression.

Stress, frustration, sentiment d’injustice

D’après le spécialiste, la dépression et le burn-out du sportif sont souvent mal perçus ou mal compris dans le milieu, et malheureusement, la personne qui en souffre peut parfois se sentir isolée.

Les facteurs pouvant entraîner une dépression ou, dans les cas les plus graves, un burn-out, sont le stress, la frustration (de ne pas avoir été sélectionné·e, par exemple), le sentiment d’injustice ou encore un trauma, comme un décès. “Il y a bien sûr des facteurs personnels qui rentrent en jeu, car un·e sportif·ve n’est jamais qu’un·e sportif·ve. Il·elle a une vie privée et familiale”, ajoute Manuel Dupuis.

Guérir d’une ‘dépression sportive’

Mais comment guérit-on? “Pour les vrais burn-out, il faut du temps, et il est surtout nécessaire d’entamer une psychothérapie. Pour une période dépressive, il faut se reposer, prendre du temps pour soi, pour récupérer. Aborder le sport autrement et investir d’autres sphères, faire autre chose en dehors du sport. Il faut savoir créer une certaine distance, car il n’y a pas que ça dans la vie”, conseille notre spécialiste.

Après un épisode dépressif, le sport n’est pas proscrit, au contraire. “Il y a des bienfaits dans le sport, aussi bien pour la santé mentale que pour la santé physique”, insiste Manuel Dupuis. “Il faut juste comprendre pourquoi on en est arrivé là et aborder le sport différemment. Il faut aussi prendre conscience que nous ne sommes pas des robots.”

Derniers conseils

Enfin, le psychologue nous donne ses derniers conseils pour se remettre ou éviter ce genre d’épisode dépressif. Ceux-ci sont aussi valables en dehors du sport :

1. Soigner son alimentation

2. Être bien entouré·e

3. Veiller à avoir un bon sommeil

4. Avoir autre chose que le sport, afin d’éviter l’obsession

5. Ne pas accorder trop d’importance aux résultats

6. Voir un psychologue quand cela est nécessaire

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