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AVC

À CŒUR OUVERT: ““J’ai fait un AVC ischémique avant même d’avoir 30 ans””

Julie Bourgeois

Saviez-vous que 1 Belge sur 10 qui subit un AVC a entre 18 et 55 ans? Nickie, 33 ans, en fait partie. Une semaine avant son 29e anniversaire, elle a été victime d’un infarctus cérébral, ce qui lui a causé une lésion cérébrale non congénitale.

Texte: Marijke Clabots Photos: Tales by Tessa Photography

« Il y a presque 5 ans, je vivais le pic de la vingtaine, cette période où tout semble aller comme sur des roulettes et où l’on prend de grandes décisions pour l’avenir. Je venais de commencer un nouveau travail à l’Université. Avec mon compagnon, nous avions fait une offre pour une maison avec jardin, et nous commencions à penser aux enfants. La vie suivait son cours. Jusqu’à ce qu’une semaine avant mon 29e anniversaire, je fasse un infarctus cérébral.

Du jour au lendemain, toute ma vie a basculé. Ce soir-là, en octobre 2020, je m’entraînais avec mon club de course. Nous venions de terminer une série d’intervalles. J’étais en pleine conversation quand j’ai soudain été prise d’un vertige intense. Au début, j’ai pensé que je m’étais peut-être trop donnée, et que tout rentrerait dans l’ordre en m’asseyant un moment. Mais au fil des secondes, je me suis sentie de plus en plus mal, jusqu’à vomir. Heureusement, je n’étais pas seule, même si les membres de mon club ne comprenaient pas ce qu’il m’arrivait. Ils ont appelé mon compagnon pour qu’il vienne. Un quart d’heure plus tard, il était là. Mais entre-temps, je ne tenais déjà plus debout. Je n’arrivais plus à garder mon équilibre, et tout mon côté gauche était paralysé. Il a tout de suite compris que c’était grave et m’a emmenée directement aux urgences.

Comme on était encore en pleine pandémie de COVID-19, il n’a pas pu m’accompagner à l’intérieur. Ce dont je me souviens le plus, c’est surtout du chaos de cette soirée – et du moment où le neurologue m’a annoncé, le lendemain matin, que l’IRM montrait que j’avais fait un infarctus cérébral. Et qu’à part commencer une rééducation, on ne pouvait plus rien faire. Je me souviens de ma première réaction: ‘Je peux rentrer chez moi?’ En réalité, je ne savais même pas vraiment ce qu’était un AVC. Je n’étais pas encore sortie du lit à ce moment-là, donc je ne réalisais pas que je ne pouvais plus marcher.

Courir un marathon sans préparation

Plus vite les médecins interviennent en cas d’AVC, moins il y a de dégâts, ai-je appris plus tard. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées comme prévu aux urgences. Le service de médiation de l’hôpital m’a expliqué après coup que mes symptômes avaient été mal enregistrés lors du triage. Si on avait tout de suite compris que c’était un AVC, ils auraient sans doute pu intervenir à temps. Je sentais bien que quelque chose clochait sérieusement. J’étais consciente que mon corps ne réagissait plus normalement, mais j’étais incapable de mettre des mots sur ce que je ressentais. Mon corps était figé, en mode ’verrouillage total’. Quand le diagnostic est tombé, une avalanche d’émotions et de pensées m’a submergée. Mais une chose était claire: il fallait avancer, pas le choix.

Quelques jours plus tard, j’ai été transférée dans l’unité AVC pour des examens médicaux, dans le but de découvrir une éventuelle cause. Les médecins ont pu écarter plusieurs pistes, mais aucune raison concrète n’a pu être identifiée. Mon AVC reste une question de pure malchance. Une fois les tests terminés, j’ai été transférée dans un hôpital pour la rééducation, où je suis restée 2 mois. Mais à cause de la pandémie, je n’ai pas pu recevoir beaucoup de visites, ce qui a été difficile. J’étais très seule et j’avais besoin du soutien de mes proches. C’est pour cela qu’après ces 2 mois, j’ai demandé ma sortie et décidé de poursuivre ma rééducation en ambulatoire.

Cela signifiait que je pouvais retourner chez moi, mais je devais revenir à l’hôpital 3 à 4 fois par semaine pour mes séances de rééducation. J’ai poursuivi ainsi tout ce ’marathon’ pendant plus d’une année.

Je me souviens surtout du chaos de cette soirée, et de la manière dont le neurologue m’a annoncé, le lendemain matin, que j’avais fait un infarctus cérébral, et qu’il n’y avait plus rien à faire »

La rééducation, c’est un travail acharné pour aller le plus loin possible. Je compare ça parfois à courir un marathon sans préparation. Je ne pouvais pas imaginer ce qui allait se passer, c’était un véritable combat contre l’épuisement, avec une grande part d’incertitude. Parfois, il y avait des moments de réconfort, des progrès qui semblaient apparaître, mais le lendemain, tout semblait retomber, comme si l’amélioration n’était plus au rendez-vous. Cela a eu un impact énorme sur mon moral, alors qu’en rééducation, l’accent était mis avant tout sur la récupération physique et l’apprentissage des bases, comme se tenir debout ou marcher.

Ma motricité fine a également été affectée, ce qui m’a obligée à réapprendre à nouer mes lacets et à tenir une fourchette correctement. Heureusement, ma parole, à l’exception du moment de l’AVC lui-même, n’a pas été perdue. Il m’arrive parfois de chercher mes mots, mais je n’ai pas gardé d’aphasie (trouble du langage dû aux conséquences d’un traumatisme cérébral non congénital). D’un point de vue médical, ma rééducation est considérée comme terminée puisque j’ai réappris ces compétences, même si je vais toujours 2 fois par semaine chez le kinésithérapeute. Oui, je peux à nouveau me tenir debout et marcher, mais mon côté gauche sera toujours plus faible que mon côté droit.

La vie 2.0

Je dois m’accrocher et reprendre le fil de ma vie. C’était le sentiment que j’avais au début. Je pensais que je pourrais reprendre ma vie comme avant. Pendant ma rééducation, on m’a dit que le cerveau des jeunes est beaucoup plus flexible, ce qui augmente les chances de guérison. Quand on parlait de cette ’guérison’, j’avais interprété ce message en pensant que je serais de nouveau exactement comme avant. C’était une erreur, car souvent, ce n’est pas le cas, et il faut apprendre à vivre avec une autre version de soi-même. La guérison peut exister, et je l’ai certainement vécue, mais cela ne signifie pas redevenir exactement comme avant. Il y a énormément de changements dans le cerveau. Pas seulement physiquement, mais aussi mentalement et cognitivement, il y a de nombreuses conséquences avec lesquelles j’ai dû apprendre à vivre, sans mode d’emploi.

Les conséquences les plus invisibles, comme la surcharge sensorielle, la fatigue et les problèmes de concentration et d’attention, ne doivent pas être sous-estimées lorsqu’on doit reprendre sa vie quotidienne. J’ai dû découvrir une nouvelle version de moi-même. Depuis l’AVC, presque chaque aspect de ma vie a changé. J’ai essayé de reprendre mon travail, mais comme cela ne fonctionnait plus comme avant, mon contrat a été résilié pour raison médicale. La carrière que j’avais envisagée a dû être mise de côté. Notre désir d’avoir des enfants, mon mari et moi avons aussi dû le réévaluer. Après un AVC, il n’est pas impossible de fonder une famille, mais étant donné que mon énergie et ma patience sont très limitées, je trouve que ce n’est pas une bonne idée pour moi d’avoir des enfants. C’était et c’est un vrai combat entre le cœur et la raison, mais si je réfléchis de façon rationnelle, je sais que c’est mieux de ne pas le faire.

Ma motricité fine a été affectée. Je devais non seulement réapprendre à me tenir debout et à marcher, mais aussi à refaire des gestes simples comme nouer mes lacets et tenir une fourchette.

Il y a aussi une perte sur le plan relationnel, car je ne suis plus vraiment la personne dont mon homme est tombé amoureux. De plus, sur le plan social, beaucoup de choses ont changé. En raison des conséquences de mon AVC, j’ai développé de l’épilepsie. Ce n’est pas mortel, mais cela fait que je n’ai plus de permis de conduire pour le moment. Cela entraîne de nombreuses limitations sur le plan de la mobilité. En outre, ma batterie sociale s’épuise très rapidement. Étant souvent épuisée et surstimulée, je n’ai plus vraiment de place pour la spontanéité et je vis plus repliée sur moi-même. Je ne vais plus à des festivals et je ne participe plus à de grands événements. En résumé, je vis de façon beaucoup moins insouciante et j’ai toujours un plan B en tête. Foncer sans réfléchir n’est plus possible. Je ne peux faire autrement que de réfléchir beaucoup plus à chaque aspect et de tout planifier de A à Z.

Nostalgie du passé

La notion de ‘perte de vie’ est celle qui me semble le mieux décrire ce que je ressens. Avant mon AVC, je connaissais une certaine version de moi. Je me souviens de ce que je pouvais accomplir, de qui j’étais, de mes rêves pour l’avenir. Du jour au lendemain, j’ai dû tout laisser derrière moi et trouver un moyen de continuer à avancer. Quand quelqu’un de mon entourage obtient une promotion ou annonce une grossesse, cette nouvelle me touche encore plus profondément. Bien sûr, je suis heureuse pour eux, je leur souhaite tout le bonheur du monde, mais cette expérience de transformation s’accompagne également d’un processus de deuil. Un processus sans fin. Il m’arrive parfois de ressentir de la nostalgie pour la version 1.0 de moi-même, celle que j’étais avant l’AVC. Mais je m’efforce de trouver un équilibre, de lâcher prise tout en continuant à avancer dans ma vie. La première année après mon AVC a été consacrée à la récupération et à la rééducation.

Pendant cette période, je n’ai pas vraiment pris le temps de réfléchir à tout ce que j’avais perdu. Bien sûr, il m’arrive parfois de lutter avec cette réalité. Il serait étrange que ce ne soit pas le cas, mais ce qui est fait est fait, et le passé ne peut pas être changé. De plus, si vous avez déjà eu un AVC, il y a plus de risques que cela arrive de nouveau. D’après la médecine, je suis une patiente à risque. Je devrai prendre des anticoagulants pour le reste de ma vie et essayer de vivre aussi sainement que possible. Je ne peux pas faire plus. Vivre dans la peur ne sert à rien. Je me concentre sur les choses sur lesquelles j’ai un contrôle et j’essaie de lâcher prise sur l’incontrôlable, afin de trouver suffisamment de calme intérieur.

Notre désir d’avoir des enfants a dû être réévalué. Après un AVC, il n’est pas impossible de fonder une famille, mais mon énergie et ma patience sont très limitées, donc je pense que ce n’est pas une bonne idée pour moi d’avoir des enfants »

Je dois admettre que j’ai du mal quand les gens disent que tout arrive pour une raison, et je trouve cela assez simpliste quand on dit que j’en suis sortie plus forte et meilleure. Je ne suis pas nécessairement meilleure ou pire, je suis simplement différente. De plus, je pense qu’on ne peut pas tout relativiser ou bien tout voir toujours uniquement sous un angle positif, car cela peut aussi être très toxique. D’un autre côté, je ne dois pas non plus rester trop souvent dans le négatif. Les choses se sont déroulées différemment de ce que j’avais imaginé. Les cartes ont été distribuées et voici la carte que j’ai tirée, avec laquelle je dois avancer.

J’ai dû sortir de la course effrénée et cela m’oblige surtout à voir la vie différemment. Je me concentre davantage sur les petits points lumineux de l’existence. Je vis beaucoup plus dans le présent. Quand quelqu’un me demande où je me vois dans 5 ans, je réponds que je ne vis plus que d’une semaine sur l’autre. Je ne suis plus aussi matérialiste. Cela n’est plus possible, étant donné que ma situation financière n’est plus la même. Mon allocation ne s’approche même pas de mon ancien salaire. Mais aujourd’hui, je tire beaucoup plus d’énergie des expériences que des objets. Je suis également beaucoup plus forte dans la relativisation et je trouve que je suis devenue plus ouverte d’esprit qu’avant. Mon AVC a donc élargi ma vision des choses, et c’est définitivement un atout.

La pointe de l’iceberg

Autrefois, je planifiais facilement 8 tâches à accomplir dans une journée. Aujourd’hui, je veille à étaler mes activités sur plusieurs jours, afin de préserver mon énergie. Étant à la maison, je me charge autant que possible des tâches ménagères. Chaque jour, je note quelques petites tâches à faire et j’évalue ce que je peux accomplir, et ce qui devra attendre. Par exemple, faire la lessive et plier le linge me demande une énorme énergie. Ce n’est pas une simple corvée supplémentaire, mais un véritable effort en soi.

Je ne sais pas si je pourrais un jour retravailler. J’aimerais essayer, mais le système actuel est trop rigide, et j’ai besoin de flexibilité. Il y a des jours où ça va bien, et d’autres où c’est plus difficile, mais je ne sais jamais à l’avance ce que la journée me réserve. Cela rend la recherche d’un employeur compréhensif particulièrement complexe. Cependant, je suis en train de chercher des opportunités de bénévolat, je marche tous les jours, et l’écriture est devenue plus que jamais un moyen d’évasion. Par exemple, pour « La ligue des cérébro-lésés », j’écris un blog, ce qui m’a finalement menée à la publication d’un livre.

Quand quelqu’un me demande où je me vois dans 5 ans, je réponds que je ne vis plus que d’une semaine sur l’autre »

Comme je l’ai mentionné, la rééducation classique se concentre surtout sur la récupération physique. Dès que vous pouvez à nouveau marcher, on a l’impression que tout est réglé, mais j’ai découvert que ce n’est absolument pas le cas. Les conséquences visibles sont évidentes, mais les nombreuses plaintes invisibles qui suivent un AVC impactent profondément la vie quotidienne: le travail, la
vie de famille, les projets d’enfants, la vie sociale, la situation financière et même l’identité. C’est déjà difficile à comprendre pour soi-même, alors il est encore plus ardu d’expliquer à quelqu’un qui n’a pas vécu cela pourquoi vous êtes souvent fatigué, pourquoi vous ne pouvez pas faire de projets comme les autres…

C’est pourquoi je n’ai pas écrit mon livre comme un simple récit personnel. Bien que j’y partage évidemment mon expérience, mon objectif était d’élargir la réflexion et d’en faire une sorte de guide pour vivre avec un traumatisme cérébral. Ce livre s’adresse non seulement aux personnes vivant avec des lésions cérébrales, mais aussi à leur entourage et aux professionnels du secteur. Si vous me croisez, vous ne remarquerez probablement pas que j’ai fait un AVC. Le fait que cela ne soit pas immédiatement visible est à la fois une bénédiction et une malédiction. Si c’était plus apparent, je ferais probablement face à des étiquettes et à des stigmates. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que je dois sans cesse justifier mes symptômes, mes comportements. Il arrive qu’on pense que je dramatise, que j’invente ou que tout cela soit dans ma tête. Mais oui, c’est dans ma tête, mais comme une réalité que vivent les personnes atteintes de maladies invisibles. Les conséquences visibles sont déjà lourdes, mais pour moi, elles ne représentent que la pointe de l’iceberg. Ce qui se cache en dessous est ce qui rend tout cela si sournois et intense… »

Si vous avez des questions sur la LCA (lésion cérébrale acquise) ou si vous avez besoin de soutien, vous pouvez contacter la Ligue des Lésions Cérébrales via la Ligne Lésions Cérébrales au 02/681.81.81 ou rendez-vous sur belgiqueenbonnesante.be.

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