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““Désenchantées””: le podcast sur le système d’accueil des victimes de violences sexuelles

Justine Rossius

Pendant un an, Audrey Vanbrabant et Marine Giuet ont enquêté sur la prise en charge des victimes de violences sexuelles en Belgique, après le phénomène « Balance Ton bar ». Une enquête fouillée restituée à travers le podcast Désenchantées.

« Désenchantée », c’est quoi exactement ?

Marine : « Il s’agit d’un podcast de huit épisodes sur le système de prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles en Belgique. Chaque épisode s’attache à un lieu ou à un moment. On a suivi trois femmes dans leur parcours de combattante. Nous nous sommes rendues au commissariat, au CPVS, dans les cabinets des psychologues, jusqu’au parquet de justice où en théorie finit ce parcours de prise en charge. »

Vous avez éprouvé des difficultés dans la réalisation de cette enquête?

Marine: “Les autorisations d’interview n’ont pas toujours été faciles à avoir, car on s’est attaquées à des institutions de taille comme la police, la justice… Tout a pris énormément de temps. Certaines interviews ont été négociées pendant des mois. Et d’autres n’ont juste pas pu avoir lieu. On a voulu assister à une formation donnée par la police aux futur·e·s inspectr·eur·ices de police, mais  n’avons jamais eu l’autorisation. »

Il existe cette croyance que déposer une plainte pour violence sexuelle est souvent compliquée et vouée à l’échec. Est-ce que votre enquête vient le confirmer ?

Audrey : « La crainte de la police et du commissariat n’est pas infondée. Certaines études chiffrent le fait qu’il y a énormément de victimes qui ont peur de passer la porte d’un commissariat. Et d’autres enquêtes attestent aussi du manque de formation du corps de police, voire de la non-formation pour certain·e·s agent·e·s. »

Marine : « Si vous arrivez au commissariat pour déposer une plainte, vous vous retrouverez devant un·e agent·e de police, qui vous demandera la raison de votre venue. Il faut pouvoir dire devant tout le monde : ‘je viens pour déposer plainte pour un viol’. Une fois qu’on a passé cette porte, on se retrouve face à l’accueil, où l’on doit répéter la raison de notre venue à côté de personnes présentes pour une perte de carte d’identité ou une voiture volée. Rien n’est fait pour rassurer la victime. Dans certains commissariats, il y a des inspecteur·trice des mœurs, spécialement formé·e·s pour accueillir les victimes. Mais malheureusement, c’est loin d’être le cas partout en Belgique. C’est l’un des gros enjeux actuels. » 

Audrey : « Pourtant, le commissariat est un des noyaux durs de la prise en charge des victimes. Sans dépôt de plainte : pas d’enquête. Sans enquête : pas de procès et pas de condamnation. »

Vous consacrez un épisode entier aux CPVS, qui sont les Centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles. En quoi ces centres sont-ils révolutionnaires ?

Audrey : « Ces centres, qui existent depuis 2017, fonctionnent très bien en Belgique et sont un modèle pour d’autres pays européens. L’idée de ces centres est d’être des lieux pluridisciplinaires ; ce qui signifie qu’une victime, quand elle passe la porte d’un CPVS, va pouvoir être prise en charge d’un point de vue médical, déposer plainte ou encore avoir un premier contact avec un·e psychologue et un·e avocat·e si elle le souhaite. Tous les acteur·trice·s du système d’accueil sont rassemblé·e·s. C’est une révolution car il n’est plus nécessaire pour une victime de se rendre aux urgences d’un hôpital, pour ensuite ressortir et ré-expliquer toute l’histoire au commmissariat, etc. » 

Marine : « La Belgique était tenue, par la convention d’Istanbul (2016) de créer des centres d’accueil comme ceux-ci. Pour le moment, le territoire belge en compte 7, reliés chacun à un hôpital. Dans les mois et années qui viennent, on arrivera à 14 centres : de sorte à ce que chaque arrondissement judiciaire soit couvert par un centre de prise en charge. 

Ce qui est intéressant, c’est de constater l’impact que peuvent avoir des hashtags comme #MeToo ou comme #balancetonbar pour mettre la pression sur le politique pour mettre et maintenir le combat contre les violences sexuelles comme priorité pour le gouvernement.

 Avant le hashtag #Balancetonbar, Audrey et moi n’avions jamais entendu parler des CPVS. Ces hashtags vont permettre de visibiliser des pans du système de prise en charge. »

Vous citez ce chiffre dans le podcast : un dossier sur deux concernant des viols est classé sans suite. Quels sont les critères qui entrent en jeu si on veut qu’il y ait procès ?

Audrey : « Peu de plaintes sont déposées, et quand elles le sont, peu arrivent devant le tribunal pour être jugées. Car il y a l’importante question de la preuve. Dans l’enquête, cet enjeu est incarné par Zoé, qui a été victime d’un viol dans les toilettes du El Café (bar bruxellois, ndlr). Elle a directement été prise en charge par le CPVS pour des prélèvements, des analyses, etc. Zoé n’a pas été droguée donc elle se rappelle de tout : de la personne qu’elle accuse de viol, des heures, du lieu, etc. Beaucoup d’éléments se trouvent entre ces mains et donc dans les mains des enqueteur·trices et de la justice et qui font que son histoire à elle est arrivée jusqu’au parquet. »

Marine : « C’est tragique d’utiliser ce terme mais Zoé a eu un ‘parcours idéal’ de victime. Elle n’a pas eu de trou de mémoire qui aurait compliqué l’enquête. Les trous de mémoires sont pourtant courants dans les cas de viols : certains mécanismes, comme la sidération, font qu’on oublie certains éléments. »

La soumission chimique vient aussi occulter la mémoire des victimes…

Audrey : « Avec Balance ton bar, l’utilisation du GHB a été mise en lumière. Il s’agit d’une drogue incolore, inodore. Le GHB est pernicieux car il entraîne des trous de mémoire gigantesque : jusqu’à 10 heures de black out complet. Dans notre podcast, cette problématique s’incarne autour de l’histoire de Margaux, qui était en soirée avec ses potes, et qui s’est réveillée 6-7 heures plus tard à un arrêt de tram, sans savoir ce qui s’est passé pendant ce laps de temps. Comment dépose-t-on plainte ? Comment espère-t-on arriver devant la justice quand on n’a pas un seul souvenir de ce qui nous est arrivé ? La recherche de preuves est d’autant plus compliquée dans ce genre de situation. »

Marine : « Il y a aussi l’aspect culpabilisation. Les victimes culpabilisent car elles ont l’impression qu’elles se sont mises elles-mêmes dans cette situation, ne sachant pas ce qui s’est passé réellement. »

L’épisode 6 est consacré à la prise en charge des agresseurs. Et là, le constat semble encore plus décourageant…

Marine : « Avec Audrey, il nous a semblé super important de voir ce qui se passait de l’autre côté. Comment les auteurs de délinquances sexuelles sont pris en charge? C’est compliqué, car il n’existe pas grand-chose, excepté certains centres, alors qu’il y a une vraie responsabilité à avoir de ce côté-là pour empêcher que de tels actes se produisent. »

Audrey : « L’idée n’était pas de donner la parole aux auteurs de violences sexuelles mais bien de faire prendre conscience qu’une meilleure prise en charge des victimes passe par une prise en compte des délinquants. Il y a tout un travail d’éducation de prévention à faire, mais une fois que les auteurs de violences sont condamnés, la prison ne va rien faire pour qu’ils ressortent changer. Et donc quoi ? Le taux de récidive est énorme. »

Marine : « Il existe une idée reçue comme quoi le viol est lié à une pulsion sexuelle. L’enquête montre que ce n’est pas du tout ça : la violence sexuelle dépend d’une prise de pouvoir sur l’autre, d’une domination. Si on pense que le viol dépend d’un désir sexuel, on va prendre l’enquête sous ce prisme-là. On va chercher une personne qui pourrait avoir une pulsion sexuelle pour la victime. Mieux comprendre ce qui se passe dans la tête des agresseurs permet in fine de mieux prendre en charge les victimes. »

Quel est la plus grande conclusion de votre enquête ?

Audrey : « L’un des constats, c’est que la perte de confiance est monumentale. Les personnes victimes de sexisme en général n’ont plus confiance ni en la police, ni en la justice.

Avec Désenchantées, on montre qu’il existe des failles, énormes, dans la prise en charge, mais qu’il y a aussi des solutions, parfois timides, parfois brouillons, et que c’est possible de s’en saisir si l’on se sent la force et l’envie de le faire.

Je ne crois pas qu’il faille encourager les victimes à déposer plainte : c’est un choix personnel et intime. On veut surtout montrer à ceux qui sont chargés de faire fonctionner ce système qu’ils ont encore des leviers à actionner pour que ça fonctionne mieux et pour pouvoir renouer un lien de confiance. La balle est dans le camp de ceux qui conçoivent et gèrent le système d’accueil. »

Si vous êtes victime de violences sexuelles ou en êtes témoin, vous pouvez appeler gratuitement et anonymement SOS Viol au 0800/98.100. 

Désenchantées” est une enquête Tipik réalisée par Audrey Vanbrabant et Marine Guiet produite par lvdt.studio avec le soutien du Fonds du journalisme.

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