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J’ai été victime de violences, et j’aurais voulu savoir que ça n’arrive pas qu’aux autres

La rédaction


Aujourd’hui, c’est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. De nombreuses mobilisations laissent espérer qu’elles pourraient un jour disparaître. Parce qu’au-delà des coups, ce qui tue, c’est la honte et la peur qui poussent à rester, et plus il y aura de mobilisations, plus la parole sera libérée.


J’en sais malheureusement quelque chose. À la fin de l’université, pendant cette période entre deux où on est un peu paumé au croisement de l’âge adulte et de l’adolescence, des études et de la “vraie vie”, je suis tombée au piège d’un garçon d’autant plus dangereux que personne n’aurait jamais soupçonné la violence dont il était capable. À commencer par moi. Les titres sentationnalistes d’une certaine presse et les scénarios souvent alambiqués des téléfilms qui lui sont consacrés laissent penser que la violence conjugale n’arrive qu’aux autres, et encore, à un type très spécifique “d’autre”. Des filles et des femmes fragilisées de base, sans système de support pour les protéger et prendre soin d’elles, avec un parcours qui les rend plus susceptibles de devenir victimes de prédateurs. Tout le contraire de mon profil, en somme.



Non seulement je n’ai pas de “daddy issues”, mais en plus, j’ai eu le privilège de grandir avec un père extrêmement aimant et présent, qui a toujours veillé à instiller en moi le sentiment que je pouvais tout accomplir. Les disputes parentales dont j’ai été témoin en 18 ans à la maison se comptent sur les doigts de deux mains (et encore) et n’ont jamais été plus violentes qu’une porte claquée. Accessoirement, mes parents sont mariés depuis environ un milliard d’années et sont toujours amoureux comme au premier jour. Entre mon grand-père, ce héros, et mon frère, un modèle de gentillesse, patience et bienveillance, j’ai grandi entourée de figures masculines fortes, qui m’ont montré ce qu’était un homme, un vrai. Et pourtant, je suis tombée dans le piège. C’est bête, hein, j’étais tellement persuadée que ça n’arrivait qu’aux autres qu’il m’a fallu des années pour m’en rendre compte.

Parce que contrairement à ce qu’on nous matraque encore trop souvent, la violence n’est pas uniquement le fait de bad boys marginaux qui ont la tête de l’emploi et qui distribuent des baffes pour un oui ou (surtout) un non. Cela peut aussi arriver à des garçons qui font des études réputées prestigieuses et qui viennent de famille a priori respectables. Et leurs victimes peuvent avoir été entourées de tout l’amour du monde et être prises dans leur étau quand même. Parce que ça commence d’abord souvent par une manipulation sournoise, tellement patiente et subtile qu’on ne se rend pas compte qu’on a été peu à peu coupé de tout le monde et que la confiance en soi a été amputée aussi au passage. Parce qu’avant les bousculades, les strangulations et les coups de pieds, il y a les cris, les coups dans le mur, les portes qui claquent, et l’évolution est tellement graduelle que quand le premier coup tombe on n’est pas surprise mais presque résignée.

Si j’avais su que ça n’arrivait pas qu’aux autres, peut-être que j’aurais compris avant d’avoir basculé tellement profondément dans une spirale destructrice que mes proches n’arrivaient plus à m’atteindre. L’amour a de nombreuses formes, mais quand les papillons sont remplacés par une boule au ventre à la moindre contrariété, quand la peur des réactions de l’autre devient une partie intégrante du quotidien, ce n’est pas de la passion, ce n’est pas de l’amour, c’est de la torture, et il faut partir. Parce que ça n’ira jamais mieux, que celui qui vous dit que “cette fois, c’était la dernière” vous ment et que vous méritez bien mieux que de le croire et de vous mentir à vous-même.

J’aimerais que ce témoignage ait un dénouement plus puissant. La vérité, c’est que comme beaucoup de victimes, j’ai refusé de porter plainte, aux prises avec une prison psychologique dont il allait me falloir longtemps à me défaire. Je suis allée à ma défense de mémoire deux jours après avoir dû passer mon après-midi aux Urgences pour vérifier que mon bras n’était pas fracturé. Et quand même, je n’ai pas porté plainte, et c’est une honte avec laquelle je dois vivre. Mais je choisis par contre de ne pas avoir honte de cette période de ma vie et de témoigner sous mon nom, pas de manière anonyme. Parce que ça n’arrive pas qu’aux autres, ça arrive aussi à des filles chéries par leurs familles, diplômées, tout sauf marginalisées. Ca m’est arrivé à moi, peut-être à vous ou à une femme de votre entourage que vous aimez beaucoup, et c’est en brisant le stigma qu’on parviendra à libérer la parole, et donc les victimes aussi.



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