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Les violences gynécologiques blessent aussi les sages-femmes

Kathleen Wuyard

Dans la foulée de #MeToo et du vent de liberté que le mouvement a fait souffler sur la parole, de nombreuses femmes ont dénoncé les violences gynécologiques dont elles avaient été victimes. Une problématique qui touche aussi les sages-femmes, dont 70% souffriraient de dépression.


Selon une enquête menée en France par l’Association des étudiants sages-femmes, elles seraient 7 sur 10 à souffrir de dépression. La faute au manque de considération dont elles sont victimes, mais aussi à l’impact des violences gynécologiques, auxquelles elles assistent bien souvent en première ligne. Dans un témoignage accordé à Franceinfo, Mélanie, une étudiante en quatrième année, se souvient des violences physiques dont elle a été témoin lors d’un accouchement. Et qui lui ont laissé à elle aussi des séquelles.

Il a fallu faire une épisiotomie à vif puis utiliser des forceps toujours à vif. Le médecin devait faire ce qu’on appelle une révision utérine, c’est à dire aller décoller le placenta, pour ça on rentre une bonne partie de l’avant-bras dans le vagin, puis dans l’utérus donc c’est très très douloureux. Ce médecin voulait faire ça sans anesthésie. Avec l’autre sage-femme on l’a un petit peu rappelé à l’ordre.


Et Julie Kerbart, la présidente des étudiants sages-femmes, de dénoncer le fait qu’elles ne savent pas vers qui se tourner. “Les étudiants sages-femmes sont en détresse et n’ont personne à qui en parler“.



Crainte viscérale


D’autant qu’il n’y a pas que lorsqu’il s’agit de se confier que les sages-femmes ne sont pas écoutées. D’après Aurélie Surmely, sage-femme et coach périnatale, au sein même de l’hôpital, leur parole n’est pas entendue.

Lorsque la sage-femme parle en réunion, il semblerait que sa voix soit trop fluette pour être entendue. “Il faudrait que les femmes puissent utiliser la baignoire même si la poche des eaux est rompue...”, s’ensuivrait d’un silence puis d’un “oui oui”... Pourquoi la sage-femme ne prend pas position? Quelle est la crainte viscérale de refuser de travailler dans certaines conditions? De ne pas imposer les règles du jeu? Le risque de perdre son travail sans doute, une multitude de raisons qui la cloisonne, qui la “castre”... Et être castré par un homme, c’est quand même le pompon.


Pire, encore, quand l’homme en question ignore les voix de sa patiente et de la sage-femme qui lui disent toutes les deux que sa méthode est douloureuse, voire inutile.

Je me souviens d’une garde où j’ai refusé un déclenchement, dicté par le gynécologue. Le couple s’est présenté le matin. La maman était à peine à 38SA, en très bonne santé tout comme le bébé. Les raisons du déclenchement étaient purement de “convenance”. Quand je l’ai annoncé au gynécologue, il m’a fait vriller mon tympan, même en reculant le téléphone de 20 centimètres de mon oreille. Il voulait m’emmener devant le directeur si je n’acceptais pas.


Une problématique qui ne date malheureusement pas d’hier: en 1958 déjà, une sage-femme américaine avait écrit une lettre passionnée au Ladies Home Journal, les implorant “d’enquêter sur les tortures qui ont lieu en salle d’accouchement”. Et de souligner le fait qu’on “donne des médicaments aux patientes, qu’elles les veuillent ou non”, et que “trop souvent, dans une salle d’accouchement, on ne pense qu’au bébé à naître, et on doit travailler de manière rapide et efficace sans se soucier des sentiments de la patiente”. Une dissociation avec laquelle il est difficile de se réconcilier pour ces professionnelles de la santé qui ont choisi de consacrer leur vie à donner la vie.

Terrifiées et malheureuses


Amandine, sage-femme en région liégeoise, s’insurge, soulignant avoir choisi ce métier par amour de son prochain, et se retrouver à faire finalement un travail fort peu humain. “Entre le manque d’effectif, le manque de respect de la part de nos supérieurs et même parfois des patientes, et les horaires toujours plus long, j’en finis par devenir un robot”. Si des chiffres sur la santé mentale des sages-femmes ne sont pas encore disponibles en Belgique, Amandine prédit, lugubre, qu’elles seront au moins 7 sur 10 à être déprimées aussi. Voire plus. Pour endiguer le phénomène, et rendre le quotidien plus plaisant tant pour les sages-femmes que pour leurs patientes, il semble nécessaire de se rappeler ce conseil, prodigué par une des infirmières interrogées par le Ladies Home Journal en 1958. “La plupart du temps, la maman est terrifiée et malheureuse, parce que ses attentes et ses besoins ne sont pas écoutés. L’accouchement est un moment incroyable, où le miracle de la vie se produit, et c’est une des choses les plus naturelles au monde. Il faut le traiter comme tel, plutôt que de tout gâcher avec des “soins” inappropriés”.

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