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Le Maroc divisé suite au calvaire de Khadija, une adolescente séquestrée, violée et torturée

Kathleen Wuyard

Elle s’appelle Khadija Okkarou, elle a 17 ans, et elle affirme avoir été enlevée il y a trois mois au Maroc devant chez sa tante par des garçons appartenant à une “bande dangereuse”. Après des semaines de calvaire, elle vient enfin de retrouver la liberté. Mais alors que le hashtag #justicepourKhadija prend de l’ampleur, des accusations sont également portées contre la jeune femme.


Car si son histoire est particulièrement horrible, maintenant qu’elle a échappé à ceux qu’elle accuse d’être ses bourreaux, Khadija doit faire face à un second calvaire. Entre ceux qui affirment qu’elle aurait en réalité fugué, qu’elle s’est faite tatouer de son plein gré ou encore que c’est une fille “aux moeurs légères”, le pays est divisé. Et ce, malgré la gravité des sévices que la jeune fille dénonce. Dans une vidéo diffusée le 21 août dernier par les médias marocains, Khadija raconte l’horreur. Le corps recouvert de tatouages en tous genres, du verset coranique aux dessins obscènes, elle explique comment elle a été séquestrée pendant près de deux mois, violée par ses agresseurs qui l’ont également torturée, notamment en lui écrasant leurs cigarettes sur la peau, mais aussi en la recouvrant de tatouages afin qu’elle n’oublie jamais.

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Rapidement, Internet s’emballe. La barbarie des sévices décrits, ainsi que le jeune âge de la victime, font de Khadija une martyre, dont le calvaire transcende les frontières. Un hashtag est lancé, #JusticepourKhadija, accompagné d’une pétition destinée à lui fournir des soins et une aide psychologique, qui compte déjà des milliers de signatures. L’affaire fait du bruit, et des personnalités s’en mêlent, à commencer par l’auteur Waleed Al-Husseini qui en profite pour interpeller l’ONU au sujet des violences faites aux femmes.


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Car ce n’est malheureusement pas la première fois que le Maroc est agité par un tel fait divers. En 2012, Amina Filali, une adolescente de 16 ans, s’était suicidée après avoir été contrainte d’épouser son violeur. Fin 2015, une mineure de 16 ans s’était quant à elle immolée par le feu après avoir été victime d’un viol collectif, ses agresseurs ayant été appréhendés mais remis en liberté provisoire en attendant leur procès. Ici, l’impunité ne semble pas être de mise puisque pas moins de 12 personnes ont déjà été interpellées, et 3 des agresseurs de Khadija comparaîtront devant la justice le 6 septembre. Sauf que selon les parents des agresseurs, Khadija aurait tout inventé.

“Une cible à abattre”


Les parents de l’un d’entre eux ont accepté de s’exprimer au micro de Chouf TV, où ils affirment que Khadija se serait enfuie de chez elle depuis trois ans déjà, et qu’elle est connue dans le village pour être une fille aux moeurs légères, “toujours à demander de l’alcool, des cigarettes, des drogues... Après, elle va accuser des innocents”.

Elle boit, elle fume... Elle traîne avec les dealers de drogues, et elle éteint elle-même la cigarette sur ses mains (...) Elle se mutile avec un rasoir et dit aux autres que c’est sa mère qui lui fait ça. Sa mère est d’ailleurs une traînée à Oulad Ayyad (...) et pousse sa fille à se prostituer. (..) Si la fille était vraiment une victime, moi-même j’aurais présenté mon fils à la justice.


Des accusations violentes que les proches de l’adolescente se sont empressés de réfuter. Youssef, un voisin, souligne que “si elle se prostituait vraiment, elle et sa famille ne vivrait pas dans des conditions aussi médiocre”. Et d’ajouter que “les 400 villageois ne seraient pas sortis manifester samedi dernier devant la municipalité pour défendre Khadija si elle était vraiment comme ces gens-là la décrivent. Ils se sont mis d’accord pour raconter la même histoire sur Khadija”. Pour l’avocate basée en France Laila Slassi, au-delà des mensonges éventuels, les réactions des familles des accusées sont symptomatiques de la société marocaine.

Quand une fille est vive, curieuse, qu’elle ne reste pas enfermée chez elle, on dit tout de suite que c’est une pute, et donc une cible à abattre. Oui, elle parlait aux garçons, elle n’est peut-être l’archétype d’une nonne mais c’est une fille battante, et ses traits de caractère font qu’elle est encore debout aujourd’hui.


Et cette battante peut notamment compter sur le soutien de l’avocate, qui n’a pas hésité à se rendre au village d’Oulad Ayad pour soutenir la jeune fille dans ses démarches juridiques.

En attendant le procès, c’est la société civile qui se mobilise, entre les psychologues qui offrent leur soutien à la jeune fille, les dermatologues qui promettent d’effacer gratuitement ses tatouages, et les associations qui se mobilisent pour que ces agresseurs ne soient pas impunis. Une mobilisation qui porte déjà ses fruits selon le père de Khadija: “grâce au soutien des associations et de toutes les personnes qui sont venues nous voir, elle a repris espoir. Aujourd’hui, Khadija sourit de nouveau, son état de santé est stable”. La justice n’a pas encore tranché, mais pour l’opinion publique, Khadija est une victime, et la solidarité s’organise. Le 14 février dernier, le parlement marocain a adopté une loi contre les violences faites aux femmes. Après des années d’impunité dans le pays, si les agresseurs présumés de Khadija sont reconnus coupables, ils pourraient servir d’exemple et dissuader ceux qui voudraient encore croire qu’ils peuvent abuser des femmes sans être punis.

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