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Faut qu’on parle: quand la solidarité devient un délit

Elles s’appellent Anouk et Myriam. Ce sont des collègues et des amies. Elles sont toutes les deux journalistes et mamans. Elles sont intelligentes, généreuses, sympas, talentueuses. Ce sont des femmes comme vous et moi… à la différence près qu’elles font actuellement l’objet de poursuites en justice pour “Trafic d’êtres humains”.


Ce qui leur est reproché: avoir aidé des migrants en les accueillant chez elles. Elles risquent cinq à dix ans de prison et une amende de 38.000 euros. Aujourd’hui, je suis en colère. Je suis en colère parce qu’on essaie de couper les ailes de deux femmes formidables, dont le tort est d’avoir tendu la main à des personnes en difficulté. Peu importe son statut, un être humain est un être humain. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme garantit nos droits fondamentaux. “Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité”. C’est l’article 1 de cette Déclaration.

Aujourd’hui en Belgique, les dix premiers articles de ce texte fondateur -que je vous invite à relire- sont bafoués chaque jour. Aux migrants qui passent sur notre territoire et dont la volonté n’est pas d’y rester (ce qui est leur droit), on dénie les droits les plus fondamentaux. Pour des questions d’Etat, de droits, de frontières, de protectionnisme, de conservatisme, de peur, de repli sur soi. La chasse aux migrants est devenue une priorité, comme s’il n’y avait pas d’autres urgences, comme si ces gens étaient des criminels.

Aujourd’hui, Myriam et Anouk sont dans la mouise jusqu’au cou. Et à part leurs amis, il n’y a pas grand-monde pour leur venir en aide ou s’insurger. Pourtant, ce qui leur arrive est très grave. Car aujourd’hui, dans notre pays, on va juger des citoyennes dans un procès au pénal pour des qualifications parmi les plus graves qui soient. C’est insultant, c’est infamant.

En tant que citoyenne, je suis heurtée. En tant que journaliste, je me sens concernée. En tant qu’amie, je suis révoltée.


Myriam est journaliste chez Femmes d’Aujourd’hui, je la côtoie presque tous les jours car nous travaillons pour le même groupe de presse. Anouk est rédactrice en chef de Marie-Claire Belgique. Je la connais depuis des années. S’il est des personnes qui incarnent des valeurs de droiture et de dévouement aux autres, ce sont bien elles. Je leur voue une grande admiration pour l’énergie énorme qu’elles accordent à l’aide aux migrants. On ne parle pas ici de criminelles, de trafiquantes, de personnes faisant partie d’un réseau. On va juger des femmes engagées qui ont voulu faire le bien.

Aujourd’hui, je m’inquiète de vivre dans un pays où l’on peut désormais criminaliser la solidarité de citoyens.

Je m’inquiète de voir de simples citoyens assumer les carences de nos hommes politiques en trouvant chaque jour des solutions pour aider des hommes, des femmes et des enfants en situation précaire.

Je m’inquiète du peu d’intérêt qu’on accorde à la mort de dizaines de milliers de migrants ou encore aux tortures et aux condition d’esclavagisme que nombre d’entre eux subissent sur la route de l’exil.

Je m’inquiète de ce pays qui met de plus en plus au centre de ses valeurs l’ordre et la règle aux dépens de l’humain.

Je m’inquiète qu’on rejette des gens dont le seul crime est de fuir un pays ou une situation où règnent la guerre, la violence, l’insécurité et un avenir sans perspectives.

Je m’inquiète de plus en plus de voir des gens vomir leur rejet de l’autre sur les réseaux sociaux.


Je m’inquiète de voir des valeurs d’humanisme piétinées chaque jour.

Je m ‘inquiète de notre impuissance, de nos manques de réactions, de la fracture que tout ce débat soulève au sein de la population.

Où est donc notre humanité, où sont nos valeurs, où sont nos combats?

Dans ce flot d’inquiétude, jusqu’à présent, il y a des personnes qui pour moi, incarnaient la lumière et l’espoir. Ces gens qui ont su mettre de côté leur peur, qui ont écouté leur coeur, et qui ont agi. Anouk et Myriam en font partie, tout comme les nombreux bénévoles de la plate-forme citoyenne qui font un travail formidable. Il y a aussi ces milliers de citoyens de l’ombre qui, chaque jour, accueillent chez eux le temps d’une nuit ces déracinés dont personne ne veut. Ils les accueillent, et au-delà d’un toit ou d’un plat, leur offrent surtout chaleur, réconfort, fraternité. Dans leur parcours fracassé, cette main tendue est énorme car elle est symbole d’espoir et d’humanité.

Aujourd’hui, c’est à ces citoyens hébergeurs qu’on s’en prend. Après le projet de visites domiciliaires qui n’a pas eu l’air de choquer grandement les foules, voici maintenant arrivé le temps du procès. La justice considère que ces personnes ont enfreint la loi en aidant des personnes en situation illégale. C’est vrai. Il y a des lois. Mais quand la loi s’exerce dans des conditions parfois défaillantes ou que la loi est dépassée par une réalité tragique, on ne peut pas nous reprocher à nous, citoyens, d’agir. A travers l’histoire d’Anouk et Myriam, c’est à notre liberté de citoyen que nous devons faire attention. Car c’est notre liberté de citoyens qui est en danger.

 

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