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FAUT QU’ON PARLE: de la vague de racisme suite au naufrage de migrants en mer du Nord

Kathleen Wuyard

Début de semaine, quatorze migrants ont essayé de rejoindre l’Angleterre depuis la Belgique à bord d’un bateau qui a chaviré. Depuis ce mardi matin, des recherches sont en cours sur terre et en mer à la Panne pour tenter de les retrouver. En parallèle de ces efforts, une déferlante de haine s’est abattue sur les réseaux sociaux, et pour éviter de boire la tasse, il nous semblait important de réagir.


Parce qu’ainsi que l’a souligné la ministre CD&V Hilde Crevits, “Ce n’est pas ma Flandre”, et ici, à la rédaction de Flair, on ajouterait que “Ce n’est pas notre Belgique”. Aveuglés par une haine ignorante, les commentaires qui ont été laissés sur les articles détaillant les tentatives de sauvetage des migrants nous font honte et nous enragent. Certains ont été tellement virulents et abjects que nos collègues de Focus et WTV ont dû réagir fermement, et comme on les comprend.

Laissez-les en mer”.

Ils sont bien là où ils sont”.

Beau dénouement, il n’y a plus qu’à espérer que d’autres suivent”.


Pour peu, s’il n’était pas tellement plus simple de déverser sa haine sur son écran, confortablement installé derrière son clavier, c’est presque si on s’attendait à ce que des quidams aillent faire une danse de la joie sur la plage de la Panne. Pensez-donc: des migrants non seulement partis de Belgique, mais en plus noyés en prime, geweldig! Sauf que non, en fait. Que du contraire.

Et si c’était vous?


S’il est particulièrement compliqué de répondre à cette haine aveugle sans verser dans la colère, et parfaitement illusoire de vouloir opposer une réponse rationnelle à ces sentiments irréfléchis, il nous semblait toutefois important de rappeler quelques vérités. À commencer par le fait que non, ces migrants, et tous les autres, ne sont pas venus ici pour “se la couleur douce en Belgique” et encore moins pour couler au large de nos côtes. Ils ont fui un pays déchiré par la guerre, la menace de la répression pour cause d’engagement politique, de métier peu apprécié, ou même d’une orientation sexuelle condamnée. Ils ont dû abandonner leur maison, leur famille, leurs amis, tout ce qu’ils avaient toujours connu, pour tenter de recréer un semblant de vie dans un pays où ils ne parlent souvent pas la langue et où on ne manque pas de leur faire sentir qu’ils ne sont pas les bienvenus.

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S’ils quittent la Belgique en rêvant d’Angleterre, c’est pour toutes ces raisons, mais aussi parce que là, ils parlent souvent la langue, ont parfois de la famille, et peuvent espérer bénéficier d’une politique d’asile plus léniente, sans centres fermés pour les sans-papiers. Ils choisissent de braver la peur et les vagues pour se lancer à l’assaut de la mer du Nord et espérer trouver un meilleur futur sur le rivage d’en face. Ils risquent leur vie, et parfois, comme début de semaine à la Panne, l’issue est tragique. Car c’est bien de cela, qu’il s’agit: une tragédie, et ceux qui s’en réjouissent font preuve d’un manque d’humanité aussi glaçant que la mer du Nord en cette mi-janvier. Les migrants sont ici par contrainte, parce que rester là où leurs racines sont ancrées est devenu impossible, ils ne “volent pas nos travails”, ils ne “causent pas d’insécurité”, ils apporteraient même plutôt une richesse symbolique et réelle à la société belge, des études n’arrêtent pas de le prouver, et pourtant, en 2020, on peut lire ce genre de commentaires ignobles postés sans honte et signés du nom des personnes. Parce qu’ainsi que le soulignait récemment la secrétaire d’Etat bruxelloise Bianca Debaets (CD&V) dans une carte blanche pour Le Vif, “la minimisation du racisme est une évolution assez récente et très dommageable”.

Combien de fois encore devrons-nous répéter que ce n’est pas la faute des victimes, mais celle d’un groupe de personnes qui continuent de réduire les autres à leur couleur de peau et que nous, en tant que société, avons la responsabilité collective de les rappeler à l’ordre ?”


D’ailleurs, les commentaires ont tellement dérapé que Bart De Wever lui-même s’en est mêlé, rappelant que “dans la nation flamande que nous voulons construire, il n’y a pas de place pour le racisme”. On passera sur la “nation flamande”, et on choisira plutôt de rappeler que face à ce drame, nous sommes unis. Que la Belgique est un petit pays, certes, mais une grande nation aussi, bâtie sur des valeurs de liberté, d’accueil et d’égalité. Que ce sont des migrants originaires d’Afghanistan qui ont chaviré cette semaine en mer du Nord, mais qu’il n’y a pas si longtemps au fond, quand nos grand-parents avaient notre âge, c’étaient des Européens, dont des Belges, qui fuyaient le continent en masse pour se réfugier dans d’autres pays. Que cela pourrait nous arriver à nouveau aussi, personne n’est à l’abri. Ce sont eux aujourd’hui, cela pourrait être nous demain, et si aucun autre argument ne suffit à endiguer les flots de haine, celui-là devrait au moins pousser tout un chacun à réfléchir à comment il aimerait qu’on le traite si c’était lui qui devait braver les vagues.

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