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Attentats: est-ce que je vais finir par ne plus sortir de chez moi?

Justine Rossius
Explosion en plein concert de pop star, camion-tueur à Nice, explosion dans le métro bruxellois... Ces derniers mois, les horreurs se multiplient et la barbarie se trouve juste en bas de chez nous. Alors est-ce qu'on va vraiment finir par avoir peur de tout? 

Ce matin, au réveil, je check par réflexe mon smartphone et mon fil d'actualité Facebook, avant même d'avoir bu mon premier café. "Explosion au concert d'Ariana Grande". Gloups. 

Il y a quelques mois, un camion écrabouillait des poussettes à Nice. Comme ça. Tellement fastoche. Qui a peur des camions?

Maintenant, on va sentir notre cœur exploser notre poitrine dès qu'on verra un poids-lourd s'avancer devant nous. On va avoir peur de quoi après alors sérieux?

 

Finir par changer nos habitudes

C'est ça ma question d'aujourd'hui: va-t-on vraiment finir par ne plus oser sortir de chez nous? J'habite à deux pas de City 2, big centre commercial de Bruxelles. C'est là que je fais mes courses de la semaine pour acheter mon lait, mes légumes, mes œufs. La routine, quoi. Sauf que depuis quelques temps déjà, je préfère aller autre part, plus loin, quitte à me lacérer les doigts avec des sachets et des briques de lait. Je n'ai pas peur, non. Mais quitte à choisir... Ce week-end, mon mec était à Tomorrowland. En général, je mets mon téléphone en mode avion pour dormir (les ondes, le cancer, tout ça...). Sauf que là, j'ai laissé le wifi toute la nuit, avec une idée précise en tête que j'ai du mal à avouer dans ce papier. Peur de voir mon écran s'illuminer à cause d'une sombre notification: "Attentat à Tomorrowland". Ressentir l'effroi, le silence, ressentir la mort, en fait. On connaît ce sentiment maintenant, par cœur et à contrecœur.

 

En plein cauchemar

Ce qui nous aurait semblé impensable il y a quelques mois est devenu une véritable potentialité. Pire encore: il y a quelques années, j'étudiais le terrorisme à l'école, dans mon cours de politique internationale. En cours, j'écoutais d'une oreille, je jouais à Tétris en même temps. Aujourd'hui, ce vocaculaire fait partie de nos vies et ça me glace le sang. Parfois, je me dis que tout ça n'est qu'un cauchemar. Que je vais me réveiller demain dans le monde de bisounours qui était le mien, dans ce monde où nous étions gâtés et protégés, un monde où la barbarie faisait partie du chapitre d'un livre d'histoire. Je rêve que j'en rigole, comme on rigole après-coup d'une soirée un peu pourrie.

Ça me saoule d'être née en 1991, ça me saoule de vivre mes 25 ans avec cette angoisse perpétuelle que je fais semblant de ne pas ressentir. 

Non, je refuse d'être cette génération de la peur, cette génération Daesh qui risque de préférer un petit Monopoly à la maison entre potes plutôt qu'un verre à la terrasse de Flagey. Pas envie de penser à la mort à 25 ans, en fait. C'est hors de question.

 

Choisir de ne pas avoir peur

Alors je me rassure en m'abreuvant de statistiques, que j'adore d'ailleurs répéter à tout-va. "On a plus de chance de gagner au Lotto que de mourir du terrorisme", "On a 250.000 fois plus de chance de mourir du cancer que du terrorisme." Idem pour nos proches du coup. Et ça a beau me rassurer sur le moment, finalement, ce n'est pas de ça dont j'ai peur réellement. J'ai peur d'avoir peur.

Peur de ne plus oser faire mes courses au City 2 et d'avoir peur pour mon mec qui boit juste des bières à Tomorrowland.

Peur de devenir claustro dans une foule. Peur de ne pas accepter d'aller boire un verre en terrasse et peur de préférer un Monopoly entre potes. Peur aussi d'avoir peur de faire des enfants, parce qu'on ne fait pas naître un bébé au milieu d'une telle pagaille. Imaginez: "Mon trésor, voilà, on est déjà sur terre pour une durée trop limitée et plutôt que de s'aimer et de profiter, des gros tarés s'amusent à foutre en l'air la vie des autres. Tu ne comprends pas? Bah, c'est normal". Peur d'entendre ma grand-mère me dire au téléphone: "Tu sais, vu que tu habites à Bruxelles, j'ai peur pour toi". Peur aussi d'entendre de plus en plus d'amalgames débiles et de ne pas pouvoir arrêter ça.

 

Notre pouvoir à nous, c'est d'y croire

Alors oui, je n'ai aucune emprise sur Daesh. Je ne suis pas invincible, pas immortelle. Je ne suis pas Madame Irma, je ne saurai jamais prédire un attentat. Je ne pourrai pas éviter d'entrer dans le métro qui explosera. Dans la boîte de nuit ou la salle de concert qui saignera. Mais je peux choisir de ne pas avoir peur. Choisir de sortir en terrasse, de danser en festival et de m'enivrer en boîte de nuit. C'est notre seul pouvoir et quel pouvoir! Celui de ne pas plonger dans la torpeur qui s'impose presque à nous, de répandre du feel good à tout-va, de ne pas céder au fatalisme. Parce qu'on peut changer les choses, les gars. Et ça passe par des mini-trucs: ne jamais accepter l'intolérance, les discriminations, le manque de respect. C'est ça qui me permet de croire que du fond de cette mine de boue qui nous salit le visage et nous entâche le cœur, on ressortira un petit diamant. Ça demande du courage, de l'audace même. Mais je crois très fort en nous.

 

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