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© Getty Images

Témoignage: Héléna, 32 ans, est tombée amoureuse de son psy

La rédaction

Il y a quelques années, Héléna, 32 ans, a commencé une thérapie. Victime d’un transfert, elle s’est rapidement sentie irrésistiblement attirée par son psy.


“Ai-je grandi dans une famille normale ?  À première vue, oui, j’ai eu une enfance ­assez classique. Sauf que chez nous, ­personne ne montrait la moindre trace ­d’affection. Pas de geste tendre, rien. C’est comme si ma mère ne savait pas me prendre dans ses bras. Au début,  je n’étais pas consciente de ce manque, mais il a ­laissé des traces qui sont apparues des ­années plus tard. Tout a commencé à l’époque où j’ai décidé de suivre un cours de théâtre. Malgré mes efforts, je ne ­progressais pas. Jusque-là, je n’avais jamais eu de problèmes à l’école. Pour moi, étudier avait toujours été très facile. Et tout à coup, j’ai eu l’impression que je devais ­réapprendre à apprendre. Dans la vie ­normale, j’étais comme prise au piège. Je n’arrivais même plus à gérer les tâches ­ménagères les plus simples et à fonctionner normalement. J’en suis arrivée au stade où je n’avais plus d’autre choix que celui de faire appel à une aide extérieure. J’ai donc décidé d’entamer une thérapie. Après une recherche assez laborieuse, j’ai trouvé un professionnel avec qui j’ai commencé une thérapie de type psychanalytique.

Envie d’être comprise


Au début, la thérapie était tout sauf facile. J’avais du mal à entamer la conversation. Je me sentais un peu gênée. J’avais ­l’impression que le contact avec mon ­thérapeute était difficile. C’était le cas et c’est encore souvent le cas aujourd’hui. ­Habituellement, mon thérapeute me laisse parler. C’est moi qui dois amorcer la ­conversation. Si je ne le fais pas, rien ne se passe. Son rôle consiste à écouter et, le cas échéant, à me soutenir. J’étais ­régulièrement surprise de constater que mon thérapeute me manquait. Ce sentiment me faisait me sentir si mal que j’avais envie d’arrêter la thérapie, ma relation, mes rêves et même ma vie. Mais, la semaine suivante, j’avais à nouveau envie de le voir.

Je déteste le moment où je sens que je veux être avec quelqu’un. Le désir se loge au plus profond de mon ventre, de ma poitrine... Ce sentiment peut parfois être tel qu’il finit par créer une dépendance. Dans ces cas-là, je me dis que je pourrais tout révéler à mon thérapeute.


Au cours de ma thérapie, j’ai essayé de lui expliquer à ­plusieurs reprises ce que j’éprouvais pour lui, mais je n’y suis pas ­parvenue. Impossible de lui avouer ce que j’avais au fond du cœur. J’ai compris qu’il m’était très difficile de m’exprimer. ‘Je vois que vous êtes vraiment émue et touchée, mais vous vous fermez complètement.’, m’a dit mon thérapeute un jour. Quand il a lâché cette phrase, j’ai eu ­l’impression qu’il voyait tellement clair en moi. Une sorte de révélation. Depuis, quand je ressens ce besoin pressant d’être comprise, je lui envoie un court e-mail secret. Mais je sais que je dois apprendre à gérer ces ­émotions toute seule. Le réconfort, je dois d’abord le trouver en moi.

Processus déroutant


Au début de la thérapie, je consultais mon psy une fois par ­semaine, mais, rapidement, peut-être à cause de cette dépendance, on est passés à deux, puis à trois séances hebdomadaires. Peu de temps après le début de ma thérapie, j’ai démarré un nouveau job. Ce travail temporaire me causait beaucoup de stress. Je ne me sentais pas bien du tout. ­Cela a sans aucun doute aussi joué un rôle. ­Généralement, il me faut un certain temps avant de réaliser ce qui ne tourne pas rond chez moi. Cette ­situation de crise n’a fait ­qu’accentuer mon ­besoin de consulter. D’où ces trois séances par semaine. Mais pour mon thérapeute, ce rythme risquait de créer une ­dépendance chez moi. Le quitter s’apparente toujours à un processus ­déroutant. Si ça ne se passe pas bien, je peux être complètement stressée. Dans ces cas-là, je ressens le besoin urgent de lui écrire.

Désir intense


Je me souviens parfaitement de quand j’ai commencé à me sentir attirée par lui. À un moment donné, face au chagrin que je ressentais, il m’a montré qu’il me comprenait. Pour moi, c’était une première. ‘Il est ­normal que vous soyez triste, et cette tristesse, vous devez l’accepter sans lutter’, m’a-t-il dit ce jour-là. En temps normal, ce sont les parents qui ­réconfortent leurs enfants. On apprend ça pendant l’enfance. Ainsi que gérer le désir qui va avec. Moi, je n’avais rien appris de tout ça, mais sa ­reconnaissance m’apportait tant de réconfort que j’en ai été bouleversée. J’en ai même eu honte.

Ce n’était pas la première fois qu’une telle chose m’arrivait. Quand j’étais étudiante, je suis tombée à plusieurs reprises amoureuse d’un de mes professeurs. C’était généralement des professeurs plus âgés, avec qui je tentais d’établir un contact ­personnel.


Mon premier thérapeute a ­engendré un désir si intense que j’ai eu la sensation de subir une perte énorme lorsque la thérapie s’est terminée et que je me suis à nouveau retrouvée seule. C’est un sentiment que je pouvais ou n’osais ­partager avec personne. Très peu de gens le comprenaient. C’était difficile pour moi. D’autant que j’étais en couple. Le fait que quelqu’un d’autre soit soudainement ­devenu le centre de mes pensées me faisait me sentir coupable. C’était comme tromper mon amoureux. Au début, j’ignorais que ces sentiments ­pouvaient être normaux.  Je n’avais ­d’ailleurs jamais entendu le mot ‘transfert’.

Cercle vicieux


Les vacances ont toujours été un test. Dès que la période pendant laquelle je ne ­pouvais pas consulter trois fois par semaine approchait, je commençais à me sentir mal. Une colère montait en moi. Je me sentais abandonnée. Comme si un être cher venait de me quitter. Au début, cela me faisait très mal parce que je ne comprenais pas ce qui se passait. Mon besoin de le voir était si grand qu’il dépassait tout. Je lui envoyais alors un e-mail qui commençait presque toujours de la même manière. En résumé, je lui disais que j’étais paumée. C’était  un message que j’écrivais sur le coup de ­l’émotion. Une fois qu’elle était retombée, je me sentais très coupable. Du coup, ­j’envoyais un deuxième e-mail dans la ­f­oulée pour m’excuser d’avoir envoyé le ­premier. Puis un troisième dans lequel ­j’expliquais que je n’aurais jamais dû lui écrire. Sans le vouloir, je me retrouvais dans un cercle vicieux.

En lieu sûr


À un moment donné, j’ai envoyé tellement d’e-mails à mon thérapeute qu’il m’a ­stoppée dans mon élan. Il m’a gentiment expliqué qu’il n’allait jamais pouvoir les lire tous et y répondre. Que cela ne lui convenait pas. C’était difficile à ­accepter au début, mais cela nous a conduit à une conversation très ­sérieuse qui portait sur l’angoisse de la séparation et sur ce fameux ­transfert. Désormais, je peux mieux analyser les ­sentiments que j’éprouve pour lui. Je réalise que même si je connais très peu sa vie et que je ne ­ressens aucune attirance physique pour lui, il continue à me manquer.

Ce qui me manque, en fait, c’est surtout le temps et l’espace dans ­lesquels je peux être totalement moi-même. Ce que ce thérapeute m’offre, c’est un lieu sécurisant, un lieu d’écoute.


Même si je me tais encore souvent pendant nos séances et que, parfois, je ne dis rien. Je suis consciente qu’il m’est difficile d’exprimer mes ­sentiments. Vu de l’extérieur, je réalise que cette dépendance est difficile à comprendre.

La jalousie


La plupart du temps, jusqu’à ce que la peur d’être abandonnée et de ne plus être comprise ­réapparaisse soudainement, je parviens à garder le contrôle. Quand l’équilibre se brise, je retombe dans mes anciens ­travers. Je recommence à lui envoyer des appels au ­secours par e-mail. Je fonctionne par cycle. Je n’ai jamais osé avouer à mon amoureux que mon thérapeute me ­manquait parfois. J’ai peur que ça le rende jaloux. Parfois, je réalise qu’il l’est tout de même. Pendant une dispute, il me dit ­souvent que je ferais mieux d’aller voir mon ­thérapeute. Lui seul semble capable de me ­comprendre. ­Normalement, notre relation est ­plutôt ­sereine. C’est donc le genre de phrases qui fait mal. D’un autre côté, je le ­comprends. Dans le fond, il a raison. ­J’essaie de lui parler le moins possible de ma thérapie ou de mon thérapeute.

Envie de dire ‘stop’


Ces dernières années, j’ai dû trop souvent lutter contre mes sentiments envers mon thérapeute. J’ai encore du mal à réaliser qu’il s’agit d’une ­relation normale. Parfois, je vis des moments difficiles. Comme lorsque je suis très en colère contre lui et qu’il ­essaie de m’expliquer ce qui se passe dans ma tête. Par exemple, lorsque

je traversais une crise ­professionnelle, il y avait des ­moments où il me disait que j’avais tort. Je me sentais tellement ­incomprise que je n’avais qu’une envie : ­arrêter ma thérapie. Mais, au final, la conviction qu’il allait me manquer a ­toujours prévalu.

J’ai du mal à associer cela à un vrai sentiment amoureux, car il n’y a aucune connotation sexuelle là-dedans. Je ressens plutôt un désir de m’asseoir sur ses genoux, un désir ardent qu’il ­m’embrasse et m’enlace.

Peur de dire au revoir


L’idée que mon thérapeute puisse arrêter de consulter demain ou qu’il n’ait plus le temps de me recevoir me fait peur. ­Pourtant, un jour, je devrai continuer sans lui. C’est moi qui ­devrai trouver mon ­chemin. Je pense parfois que je devrais lui dire à quel point ce futur ­m’angoisse. Il me dit d’ailleurs des phrases dans ce sens : ‘Peut-être qu’il ne vous reste que quelques mois de ­thérapie’ ou ‘Peut-être que vous ne serez pas prête avant ­l’année prochaine’. Cette ­incertitude ­m’angoisse. Quand je vois tous les ­efforts qu’il doit ­déployer pour m’aider aussi ­professionnellement que ­possible sans me faire mal, je me sens comme une petite fille. Il m’a récemment rappelé, avec beaucoup de prudence, que nous approchions de notre dernière session avant le début de ses ­vacances. Ce genre de nouvelles peut me contrarier une journée entière. Je suis en thérapie depuis un certain nombre d’années maintenant. Une grande partie de ma vie était placée sous le signe de cette thérapie. Mais, récemment, j’ai fait de gros ­progrès. J’ai notamment ­beaucoup ­appris sur mon angoisse de la séparation. Plus le temps passe, plus je réalise que je n’ai pas toujours besoin d’une confirmation ­extérieure pour pouvoir fonctionner. Je ­travaille maintenant au contact d’enfants. Ce job me procure beaucoup de satisfaction. Sans compter que je suis heureuse en amour. Plus que jamais, j’envisage l’avenir avec confiance.”

Comment expliquer ce type de transfert ?


F. Peers, psychologue clinicienne “Le transfert signifie que le ­patient projette des sentiments, des désirs, des attentes ou des fantasmes qui n’ont peut-être pas été satisfaits lors d’une relation antérieure. Parfois, il s’agit de sentiments positifs, tels que le fait de tomber amoureux, mais pas forcément. Si le manque d’amour maternel ou une dispute non résolue sont mis à jour pendant une thérapie, ils peuvent conduire à une forme de ­transfert. La réaction du thérapeute à cette expression de sentiments ­s’appelle le contre-transfert. Ce type de transfert dans un cadre ­thérapeutique peut se présenter sous différentes formes. Ce n’est pas ­surprenant. Chacun de nous possède son propre bagage ­émotionnel. Le ­travail du thérapeute consiste à écouter et à soutenir son ­patient.

Précieux transfert

S’il y a transfert, il est important d’en discuter clairement dans le cadre de la thérapie. En tant que thérapeute, j’insiste pour que mes clients aient la liberté de s’exprimer en toute transparence. Il suffit souvent que le patient dise qu’il se débat avec quelque chose sans qu’il ait besoin d’en dire davantage.

Le transfert ne doit pas toujours avoir une connotation négative. C’est parfois même très utile pour la thérapie. Par exemple, si un patient projette un sentiment particulier sur son thérapeute, le psy peut alors chercher la cause sous-jacente de ce transfert et ainsi résoudre le problème latent.


Il n’est en tout cas pas nécessaire de mettre fin à une relation thérapeutique sous ­prétexte qu’il y a transfert. Il arrive aussi que le thérapeute sente que le ­patient voit sa mère en lui et que la colère que le patient ressent envers elle l’affecte. Sur le plan thérapeutique, le transfert n’implique pas que cette ­histoire sous-jacente doive être forcément évoquée. Cela veut plutôt dire que l’histoire est maintenant vécue d’une manière différente. Elle prend une nouvelle tournure. En tant que thérapeute, il est important de réaliser que si un transfert se produit, il y aura forcément contre-transfert. Il faut gérer cela de manière appropriée et maintenir une objectivité et la distance nécessaires dans le cadre de la relation patient/thérapeute.”

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